Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Dialogue social dans la fonction publique : une pratique qui peine à s'installer

par Boudina Rachid*

Introduction - Une ambition réformatrice affichée

Depuis plusieurs années, la question du dialogue social occupe une place centrale dans le discours de réforme de la fonction publique algérienne. À travers le décret exécutif n°20-119 du 25 juillet 2020, relatif aux commissions administratives paritaires, aux commissions de recours et aux comités techniques, les pouvoirs publics ont entendu structurer les relations professionnelles au sein des administrations publiques et promouvoir une culture de concertation.

Le texte se présente comme une réponse aux exigences de modernisation de la gestion publique :prévention des conflits, consultations sur les projets de réformes statutaires, conditions de travail, écoute et participation des agents, transparence des décisions, prévention des tensions internes. Toutefois, l'écart persistant entre le cadre normatif et les pratiques administratives invite à une analyse plus attentive. Non pour contester le principe du dialogue social, mais pour interroger la manière dont il est conçu, institutionnalisé et mis en œuvre.

I. Une conception procédurale à l'excès du dialogue social

Dès son économie générale, le décret exécutif n°20-119 du 25 juillet 2020 appréhende le dialogue social sous un angle essentiellement procédural. En agrégeant, dans un même dispositif réglementaire, des instances relevant à la fois de la gestion individuelle des carrières et de la concertation collective, le texte tend à réduire le dialogue social à un ensemble de consultations formelles, sans en distinguer clairement les finalités, ni les niveaux d'intervention. Ce faisant, le simple observateur ou même l'administrateur aguerri voient le comité technique comme un simple appendice des commissions administratives paritaires.

Cette approche privilégie l'organisation des mécanismes institutionnels au détriment d'une définition substantielle du dialogue social qui a besoin qu'on lui donne vie. Celui-ci apparaît davantage comme une succession de séquences administratives encadrées, que comme un espace structuré de discussion collective sur le travail, son organisation et ses conditions d'exercice. Ce choix initial pèse lourdement et négativement sur l'effectivité du dispositif.

II. Le dialogue social : une réalité nécessairement collective

Il convient de rappeler une distinction essentielle, souvent brouillée dans les pratiques comme dans les discours : le dialogue social ne saurait se confondre avec la consultation sur des situations individuelles. Il relève, par nature, des questions collectives touchant à à l'organisation des services, aux conditions de travail, à la gestion prévisionnelle des effectifs, à la formation et à la modernisation de l'action publique. Il doit même être associé tant aux réformes statuaires qu'aux textes relatifs aux primes et aux indemités.

À ce titre, le dialogue social ne peut trouver son expression réelle que dans les espaces spécifiquement dédiés à ces enjeux collectifs. Toute assimilation avec des mécanismes de gestion individuelle affaiblit sa portée et entretient une confusion conceptuelle préjudiciable à sa crédibilité.

III. Les comités techniques : formalisme contre fragilité pratique

Dans l'architecture réglementaire en vigueur, les comités techniques constituent, en principe, le lieu privilégié du dialogue social. Ils sont appelés à se prononcer sur les grandes orientations de l'organisation du travail et sur les conditions d'exercice des missions de service public. Dans les faits, leur rôle demeure largement marginalisé. Les consultations interviennent souvent tardivement, avec des marges d'influence réduites. L'accès à l'information est limité, les données transmises sont parfois incomplètes, et les avis formulés peinent à se traduire en décisions effectives.

Cette situation conduit à un affaiblissement progressif de ces instances, perçues moins comme des lieux de construction collective que comme des passages obligés destinés à satisfaire une exigence réglementaire. Le dialogue social se transforme alors en formalité, perdant sa fonction de régulation et d'anticipation.

IV. Le poids des pratiques administratives

Les limites observées ne peuvent être imputées uniquement au cadre juridique. Elles s'inscrivent dans un environnement administratif marqué par une culture hiérarchique forte, une centralisation persistante de la décision et une faible tradition de concertation.

L'expression d'un avis divergent reste, dans de nombreux cas, assimilée à une remise en cause de l'autorité plutôt qu'à une contribution à l'amélioration du service.

La circulation de l'information demeure inégale réduisant, voire empêchant la capacité des représentants du personnel à formuler des propositions étayées.

Dans ce contexte, le dialogue social peine à s'imposer comme un mode normal de gouvernance. Il reste souvent cantonné à un rôle périphérique, sans impact réel sur les choix structurants de l'administration.

V. Héritages normatifs et cohérence inachevée

Les difficultés actuelles du dialogue social doivent également être replacées dans une continuité réglementaire plus large. Les textes antérieurs ayant structuré la gestion des ressources humaines dans la fonction publique ont privilégié une logique de déconcentration des pouvoirs et de gestion administrative de proximité.

Si cette orientation répondait à des impératifs organisationnels à un moment donné, elle a aussi contribué à installer des pratiques où la décision demeure largement unilatérale, laissant peu de place à la délibération collective, qui souffre d'être considérée comme n'étant pas légitime et vue en conséquence comme inacceptable. Dans ce cadre, les tentatives récentes de structuration du dialogue social se trouvent contraintes par des habitudes de gestion profondément ancrées.

Le décret 20-119 a beau apparaître comme une volonté de rééquilibrage, il ne remet pas pour autant en cause explicite le modèle sous-jacent. Faute d'une cohérence globale entre les objectifs affichés et les pratiques héritées, le dialogue social s'épuise à dépasser le stade de l'intention.

VI. Les limites d'un dialogue social voué à un exercice formel

Lorsque le dialogue social se réduit à une consultation sans effet, il perd sa fonction essentielle, celle de prévenir les tensions, d'améliorer les conditions de travail et de renforcer l'adhésion des agents aux réformes. L'existence d'instances formelles ne suffit pas à garantir la qualité de l'échange social.

Ce décalage entre le discours et la réalité alimente une forme de désengagement silencieux. Les agents, n'étant pas vraiment sensibilisés, ils perçoivent le dialogue social comme un dispositif institutionnel éloigné de leurs préoccupations concrètes, tandis que l'administration y voit un cadre à respecter, plus qu'un levier de performance.

Conclusion : Repenser le dialogue social comme mode de gouvernance

Le dialogue social ne se décrète pas. Il se construit dans la durée, à travers des pratiques cohérentes, une reconnaissance réelle des acteurs et une volonté assumée de partage de la décision sur les questions collectives.

Le décret exécutif n°20-119 a posé des bases institutionnelles, mais celles-ci demeurent imparfaites tant que le dialogue social est conçu principalement comme un mécanisme procédural. Une évolution réelle suppose de clarifier son périmètre, de renforcer le rôle des comités techniques, à supposer déjà qu'ils sont effectivement installés, et de faire du dialogue social un élément central de la gouvernance administrative.

À défaut, il restera une norme bien intentionnée, mais éloignée de la réalité quotidienne des administrations publiques et des agents qui les font vivre.

*Inspecteur en chef de la fonction publique retraité