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Longtemps perçu comme une discrète cité-État du
Golfe, le Qatar s'est imposé en quelques décennies comme l'un des pays les plus
visibles et les plus influents du monde contemporain.
Cette notoriété ne repose ni sur une puissance militaire dissuasive ni uniquement sur l'abondance de ses ressources énergétiques - privilège partagé par bien d'autres États riches - mais sur une stratégie patiente et méthodique de soft power, dont le football est aujourd'hui l'un des piliers centraux. Contrairement à ses voisins qui ont choisi la voie de l'unification au sein des Émirats arabes unis après les indépendances, le Qatar a suivi son propre destin le menant sur un chemin singulier : celui de la projection symbolique et médiatique. La création d'Al Jazeera, devenue en quelques années le groupe médiatique le plus influent de la région MENA, marque un tournant décisif. La chaîne ne se contente pas d'informer : elle structure les débats publics, façonne les opinions et, parfois, accompagne ou fragilise des régimes. Le Qatar comprend alors que l'influence moderne se joue autant sur les écrans que dans les chancelleries. Cette logique sera transposée avec une remarquable efficacité au monde du sport. La transformation d'Al Jazeera Sport en beIN Sports, empire mondial de la diffusion sportive, permet au Qatar de contrôler une part stratégique des droits de retransmission des plus grands événements footballistiques : Ligue des champions, championnats européens, Coupe du monde. Le football devient ainsi un langage universel que Doha maîtrise parfaitement. L'achat du Paris Saint-Germain marque une nouvelle étape : il ne s'agit plus seulement de diffuser le football, mais de l'incarner. En investissant massivement dans les compétitions, les clubs et les événements, le Qatar s'installe durablement au cœur de l'écosystème du football mondial. Son influence croissante au sein des instances de la FIFA culmine avec l'organisation de la Coupe du monde 2022, dont les phases finales, disputées dans des stades ultramodernes construits pour l'occasion, ont offert au monde une vitrine spectaculaire du pays. Mais la stratégie qatarie ne se limite pas à l'échelle globale. Elle s'inscrit aussi dans une quête de proximité culturelle avec le public arabe. La Coupe arabe de la FIFA illustre cette volonté de conjuguer sport, identité et mémoire collective. L'émission Al Kass, diffusée dans un décor évoquant les salons traditionnels des maisons arabes, incarne cette approche subtile : un cadre simple, chaleureux, presque intime, où les invités commentent les matchs avec décontraction et authenticité. Sous la conduite du journaliste qatari Khaled Al Jassem, cette émission a offert une tribune singulière à l'ancien footballeur algérien Ali Bencheikh, dont les analyses, livrées sans filtre en arabe algérien, ont d'abord surpris avant de séduire. Ce parler perçu comme un «créole» par les autres participants est progressivement devenu un élément de richesse et de pluralité linguistique, illustrant la capacité du football à rapprocher des cultures arabes parfois fragmentées. À travers ces choix, le Qatar démontre que le football n'est plus un simple sport, mais un outil diplomatique majeur, capable de produire de l'adhésion, de la sympathie et du prestige. En maîtrisant à la fois la diffusion, la narration et l'émotion, Doha a compris avant beaucoup d'autres que l'influence du XXII siècle se joue moins par la force que par la capacité à raconter une histoire - et à faire vibrer des millions de supporters à l'unisson. |
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