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Pascal
a-t-il raison quand il exhorte les hommes à « penser
leur âme » ?
Dans « Pensées, Blaise Pascal. 2e édition. G. Desprez. 1610, p. 1-18 : «L'immortalité de l'âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, entre ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence de ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, à ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et m'épouvante : c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. J'entends au contraire qu'on doit avoir ce sentiment par un principe d'intérêt commun. » Dans le principe, on peut lui donner raison, mais le monde évolue autrement, et non aux injonctions philosophiques de l'homme. Evidemment, cela aurait été magnifique si tous les êtres pensaient « philosophie », mais la vie et la réalité de l'existence ne sont pas une « philosophie », mais plutôt l'expression d'une existence dure à vivre. D'autre part, « si tous les hommes pensaient ce que pense Pascal, les hommes ne feront que « penser » ». Qui alors occuperait l'emploi de maçon, du peintre, du menuisier, du mineur, du boucher, de l'éboueur, et autres emplois difficiles et pénibles ? Que seront les chômeurs à « penser philosophie », et ceux-ci se comptent aujourd'hui par centaines de millions, qui ont peu de foi à la vie ? Et quid de l' « immortalité de âme ». « Penser » vraiment n'est donné qu'à quelques hommes qui pensent les problèmes de l'existence, et tenter de le penser le plus objectif possible, du moins s'y efforcent-ils. Combien de penseurs pensent-ils le sens du monde ? Probablement, une infime partie de l'humanité. Et à quoi cela sert de penser si penser n'apporte ce pourquoi nous existons. L'homme dans sa pensée cherche surtout à être, à exister, à vivre si possible en évitant les problèmes. Et ce n'est pas du tout évident. Pascal exhorte les hommes à « penser leur âme » au point qu'il le définit comme d'intérêt commun pour les humains ; il y voit un travail que pourrait faire l'homme et y tirer des bénéfices pour une meilleure prise de conscience de son existence. Mais peut-on répondre, à quoi bon « penser son âme ou simplement soi » si « penser ne fait pas vivre l'homme ». Et la vie n'est pas une sinécure. Ne pense, dans le sens pascalien, que celui qui n'a pas d'obligations à travailler, qui vit d'une rente, d'une richesse héritée, d'une retraite, etc. ; il peut alors « penser », et « philosopher » ; et encore « il doit être inspiré pour penser l'âme » et donc porter cette réflexion en soi, sinon ce n'est pas possible s'il n'a pas d'intérêt sur cette question, s'il n'est pas attiré sur ce sujet. Cependant, chaque homme, à un moment de son existence ou des moments d'existence (il faut plutôt dire une multitude de moments qu'on ne peut compter) se « repense », cherche à comprendre son destin, ce qu'il est réellement, surtout dans les moments difficiles face à l'adversité. Qu'il perde son emploi alors qu'il a des obligations de famille, ou même célibataire, il doit travailler pour survivre, perdre un emploi peut l'installer dans l'angoisse de l'existence. Ou, face à une grave maladie et les médecins sont impuissants, et même une simple maladie qui le diminue peut l'effrayer, son moral peut être gravement touché. Et encore pire dans une guerre, où des milliers d'êtres humains sont tués, et la mort rôde tous les jours. Et des situations de ce genre sont innombrables. De même en amour, l'homme peut s'aliéner pour une femme, et réciproquement. Combien de suicides ont été entraînés par de « graves chagrins » ; ou simplement des problèmes familiaux complexes qui, extrêmement stressants, rompt l'homme dans son désir d'exister. Un Premier ministre français socialiste s'est suicidé, selon des informations télévisées françaises, parce qu'il a été accusé de corruption pour un appartement acheté à 100 millions de Frs. Enfin, ce sont ces raisons qui ont été avancées pour justifier sa mort. Comment peut-on penser qu'un Premier ministre si important dans la hiérarchie politique française se donne la mort ? Le problème n'est ni la position politique, ni la richesse, c'est son statut d'être, son intégrité morale et donc ces principes moraux qui ont commandé la sanction, la « mort » du Premier ministre Pierre Bérégovoy. Il n'a pas accepté de vivre avec cette tâche qui a été « mise » sur son dos, surtout s'il ne l'a pas commise. Et probablement il ne l'a pas commise ou il a été trompé. Un homme malhonnête ne se donne pas la mort ; c'est tout le contraire, il est contre la mort, il chercherait même à tromper la mort. Dès lors, la « pensée » s'avère être aussi une « affection ». Une affection intérieure qui a droit de vie et de mort sur l'être humain. A Pascal, la pensée lui intime sa « philosophie sur l'immortalité de l'âme » et ses exhortations sont aussi une « affection » pour son être. Il le dit « où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elle m'étonne et m'épouvante : c'est un monstre pour moi. » Il y a cette formidable force affective qui agit en l'être humain, ce qu'on appelle l'« amour de soi » cependant à différencier de l'« amour propre » qui peut créer des conflits ; souvent cette affection en l'humain passe inaperçue même pour les psychologues, les psychanalystes, psychiatres qui ont la charge de guérir. Le problème est que tous les êtres ont besoin de ce réservoir d'affectivité que ne secrète que la Pensée. Et si ce « réservoir d'affectivité » est malmenée, ou venait à s'épuiser, les conséquences, on peut imaginer ce qu'elles seraient pour l'« équilibre affectif de soi ». C'est par le « réservoir affectif » et les faits interhumains que la pensée qui est secrétée en nous nous fait éprouver des sentiments intérieurs qu'ils nous rendent heureux ou non. Une situation affective en fait contradictoire. Notre pensée nous fait sentir tout de notre vie : notre existence, nos plaisirs, nos peines, nos douleurs, nos espoirs aussi et tant de sentiments contradictoires. Et, notre pensée nous est intime, elle est le « lien » qui nous relie avec nous-même et l'extérieur, c'est-à-dire le monde. Et elle n'a pas que cet attribut ; elle est aussi notre « conscience ». Et peut-on dissocier la pensée de la conscience ? En énonçant que la conscience est la connaissance immédiate de notre état, elle est alors la connaissance de notre réalité d'exister, de tout ce qu'on est dans notre vie ; elle est donc notre expression d'être, et de notre être ; et aussi, en termes de convictions, de croyances, d'idéaux moraux. C'est la conscience de soi et en soi qui détermine toute notre existence. Mais, si la conscience s'est formée progressivement par le vécu de l'être, depuis notre enfance, il reste que l'action de la pensée a été centrale dans sa formation. La conscience n'est pas venue avant la pensée, ni après la pensée, elle est venue avec et par la pensée. C'est la pensée, en faisant cogiter l'être humain sur ses événements existentiels, non seulement elle a édifié sa conscience mais lui a imprégné cette conscience par laquelle il prend appui sur tout ce qui relève de son existence. Chaque Homme a sa conscience ; chez les êtres humains, il n'y a pas une conscience, mais des consciences. Si tous les hommes pensaient la même pensée, il demeure que leurs pensées sur leur vécu sont différentes. Chacun pense selon ce que sa pensée lui dit, lui inspire ; il y a des pensées proches comme il y a des pensées antagonistes. Et en pensée humaine, il y a autant d'êtres humains que de pensées. Quand Sartre écrit : « La seule façon d'exister, pour la conscience, est d'avoir conscience d'exister ». On peut aussi compléter et dire : « La seule façon d'exister, pour la conscience, est de prendre conscience qu'on pense ; c'est par la pensée que nous avons le sentiment d'exister ; et ce sentiment d'exister est un sentiment intérieur, donné « pour-soi », et de lui dérive la « conscience d'exister ». On rejoint finalement la formulation de la pensée existentialiste de Jean-Paul Sartre, notamment de sa notion de conscience comme dans le « pour-soi » (conscience). La conscience ne donne à l'homme qu'un état de ce qu'il est, de son être, et des problèmes de l'existence auxquels il fait face. Il existe et c'est l'essentiel puisque c'est l'existence même qui l'oblige à penser son existence et donc à penser tout ce dont ce qu'il faut pour assurer son existence. C'est l'objectif premier de sa pensée et de sa conscience dans l'existence de l'homme. Dans un livre de Camille Flammarion, « L'âme existe-t-elle ? », Edition 1920, l'auteur relate (page 70) : « Tant il est vrai que la Vérité s'impose par elle-même et brille, inexigible, comme Sirius au milieu de la nuit éternelle. D'ailleurs Henri Poincaré m'a souvent affirmé personnellement, dans nos nombreuses et souvent longues conversations, que doutant même de la réalité du monde extérieur à nous, il ne croyait qu'à l'esprit. C'était excessif. Il y a quelque chose en dehors de l'esprit. N'exagérons rien. Après tout, nous savons bien ce que nous sentons en nous-mêmes. Pendant que je compose ce livre, que j'en conçois le plan, que j'en distribue les chapitres, je sens exactement, rigoureusement, sans dogme quelconque, simplement, directement, que c'est moi qui fait ce travail, mon esprit, et non mon corps. J'ai un corps. Ce n'est pas mon corps qui m'a. Cette conscience de nous est notre impression immédiate, et c'est sur nos impressions que nous pouvons et devons raisonner : elles sont la base même de tous nos raisonnements. [ ] La volonté est, certes, une énergie d'ordre intellectuel. Prenons un exemple entre mille. Napoléon veut conquérir le monde et sacrifie tout à son ambition. Examinez tous ses actes, même les moindres, depuis la campagne d'Egypte jusqu'à Waterloo. Ni la physiologie, ni la chimie, ni la physique, ni la mécanique n'expliqueront cette personnalité, cette continuité d'idées, cette persévérance, cet entêtement. Vibrations cérébrales ? Ce n'est pas suffisant. Au fond du cerveau, il y a un être pensant dont le cerveau n'est que l'instrument. Ce n'est pas l'œil qui voit, ce n'est pas le cerveau qui pense. « L'étude d'un astre au télescope ne peut être légitimement attribuée ni à l'instrument, ni à l'œil, ni au cerveau, mais à l'esprit de l'astronome qui cherche et qui trouve. » La volonté humaine suffirait, à elle seule, pour prouver l'existence du monde psychique, du monde pensant, différent du monde matériel visible, tangible. [ ] Considérons maintenant spécialement dans l'homme sa pensée. [ ] La pensée est ce que l'homme possède « de plus Précieux », « de plus personnel », « de plus indépendant ». Sa liberté est inattaquable. Vous pouvez torturer le corps, l'emprisonner, le conduire par la force matérielle : vous ne pouvez rien contre la pensée. Tout ce que vous ferez, tout ce que vous direz, ne la forcera pas. Elle se rit de tout, dédaigne tout, domine tout. Lorsqu'elle joue la comédie, lorsque l'hypocrisie mondaine ou religieuse la font mentir, lorsque l'ambition politique ou commerciale lui fait revêtir un masque trompeur, elle reste elle-même, envers et contre tout, et sait ce qu'elle veut. N'y a-t-il pas là un témoignage flagrant de l'existence de l'être psychique indépendant du cerveau ? » L'extrait est long mais il est suffisamment révélateur des contradictions qui se jouent dans l'être humain. Henri Poincaré, un savant mathématicien français comme Camille Flammarion, un savant dans la vulgarisation de l'astronomie populaire ne peuvent avancer des idées sans qu'ils aient une emprise certaine sur leurs pensées. Ce qui est tout à fait naturel. Cependant, dans l'absolu, cela évolue autrement, on peut dire que l'homme est conscient dans l'inconscience. Ceci dit dans le sens qu'il vit sans savoir pourquoi il vit ; il vit « parce que c'est donné » ; il pense parce qu'il pense ; et ce penser est donné, sans que l'homme sache pourquoi il pense. Et c'est d'ailleurs pourquoi il s'interroge, et explique pourquoi une « conscience dans l'inconscience ». On sait sans savoir pourquoi on sait. Et ces interrogations ouvertement affichées sur l'essence de l'homme sont tout à fait naturelles pour tout être qui veut savoir ce qu'il y a en lui ; une réflexion qui relève de l'« essence humaine », et quelle réponse sur l' « essence humaine », sinon qu'elle est inconnaissable, elle est « métaphysique ». Quand Flammarion dit de Napoléon qu'il « veut conquérir le monde et sacrifie tout à son ambition. Examinez tous ses actes, même les moindres, depuis la campagne d'Egypte jusqu'à Waterloo. Ni la physiologie, ni la chimie, ni la physique, ni la mécanique n'expliqueront cette personnalité, cette continuité d'idées, cette persévérance, cet entêtement. Vibrations cérébrales ? Ce n'est pas suffisant. Au fond du cerveau, il y a un être pensant dont le cerveau n'est que l'instrument. » Il n'a pas si bien dit. Napoléon a été un « Elément de l'Histoire ». L'Histoire n'est pas une succession de hasards, d'événements fortuits. Pour la « Pensée », rien n'est fortuit, tout dans l'univers est intelligé sauf que l'homme crée, mais, « pensé par l'essence sans qu'il ne sache rien de l'essence en lui », est limité pour saisir toutes les forces en jeu dans sa constitution et la dynamique du monde. Napoléon a existé et ses campagnes victorieuses n'ont été possibles que parce que le monde humain était, à l'époque, à la croisée des chemins. Napoléon comme le peuple français ont été l'«instrument de l'Histoire » ou encore l'« instrument de l'Essence qui gouverne le monde » pour transformer l'ordre européen. Les régimes politiques monarchiques devaient « muter », et cela a échu à un homme, Napoléon, et, à un peuple, le peuple français, pour faire avancer non seulement l'Europe, mais le monde. Comme ce qui a prévalu ensuite avec la montée en puissance de l'Allemagne, toutes les guerres qu'elle a provoquées au tournant du monde, dans la première moitié du XXe siècle, l'Allemagne, sans le savoir, a été aussi l'« instrument de l'Histoire », qui devait faire avancer le monde. Tous les savoirs scientifiques venus et à venir, tous les conflits et les guerres s'inscrivent dans un « devenir ». L'humanité est pour devenir ; elle doit avancer malgré elle ; elle ne peut pas rester dans l'état. L'homme ne fait que constater que chaque siècle amène un progrès à l'humanité. C'est son destin et ce progrès, il la doit à la pensée, et tout ce qu'il fait est fait par sa pensée ; sauf que les humains n'en prennent pas conscience ; ils ne savent pas que l'ordre du monde est aussi pensépar et à travers leurs pensées. Pour preuve, « qu'a-t-il l'homme pour penser le monde ? » Et cela dit biologiquement. Il a cinq sens, dont deux directs, le cerveau comme interface à la pensée et trois indirects (ouïe, vue, toucher). Ce qui signifie que les organes des sens de l'homme sont certes développés mais très insuffisants pour l'homme d'appréhender le monde matériel et immatériel, le visible et invisible. L'homme ne voit que le « visible donné », rien n'exclut qu'il n'y a pas d'êtres invisibles autour de lui. Et l'homme ne connaît ni l'infiniment petit et l'infiniment grand, tout au plus ce que ses organes sensoriels lui transmettent via son cerveau, à sa pensée qui extrapole à travers des dispositifs scientifiques matériels (microscope optique et électronique, lunette astronomique et télescope spatial). L'homme sait peu de chose de son existant. De plus, même son cerveau n'est qu'une « interface physique » qui relie son corps à sa pensée dont le véritable siège n'est pas forcément le cerveau ; celui-ci n'en est que le récepteur, et à travers lui, la « pensée ordonnatrice » qui régit son existant. La médecine peut greffer une rétine, un cœur ou autre organe sur l'être humain, ou même une rétine artificielle, ce qui est tout à fait naturel et compatible avec la science de l'homme. Mais l'homme ne fait que créer un processus de substitution physique au corps biologique humain. Quand bien même cela se réalise, le cerveau de l'être humain reste néanmoins qu'une « interface » même si cette interface décode tous les signaux qui lui arrivent. Qu'un être humain aveugle arrive à voir par une rétine artificielle, ou un handicapé moteur arrive à bouger un bras robotisé, via des implants cérébraux reliés à des neuroprothèses, le vrai décodage, i.e. la compréhension et le traitement des messages échoiront obligatoirement à la pensée. Et donc à la pensée. Et où se trouve le siège de la pensée ? Dans le cerveau ? En dehors du cerveau ?L'être humain n'en a pas la réponse. Si la pensée se trouvait dans le cerveau, lorsque le cerveau meurt, forcément la pensée meurt. Mais est-ce que la pensée meurt ? Si la pensée venait à mourir avec le corps humain, que serait alors le sens de la vie humaine sur terre ? Que serait le progrès de l'humanité et toutes ces générations qui ont précédé et contribué au progrès du monde ? Quel sens à donner à ces humanités qui ont existé ? La vie humaine doit avoir un sens. Il y a un être pensant, que l'on peut appeler esprit, intelligence suprahumaine, ou ce qui nous vient à l'« esprit », qui donne vie à l'être humain, et c'est par cet être pensant que l'homme existe et pourvoie à son existence, c'est là le « sens de l'humain ». L'homme existe, malgré lui, malgré qu'il ne sache rien sur son essence, malgré qu'il dispose d'un libre-arbitre. Qu'il vienne au monde ou qu'il quitte le monde, ce sont là des phénomènes naturels qui font partie de l'ordre cosmiquedu monde. Dans cet ordre cosmique, il passe d'un état à un autre état, restant partie intégrante de l'ordre cosmique du monde sans début ni fin, gouverné par une raison universelle (Logos, Dieu) où tout est interconnecté. En clair, l'être humain meurt mais son esprit dont il a peu de connaissance sinon qu'il pense en lui demeure dans l'éternité. *Chercheur |
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