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Comment la transition verte peut soutenir le développement de l'Afrique
par Saliem Fakir* LE
CAP - Alors que le monde se précipite vers des échéances climatiques de plus en
plus urgentes, les décideurs politiques africains doivent dépasser l'illusion
réconfortante selon laquelle la simple production d'une plus grande quantité
d'électricité renouvelable permettra d'atteindre les objectifs mondiaux de
réduction des émissions. En réalité, une stratégie climatique qui se concentre
sur les énergies vertes mais néglige le développement risque d'apporter des
bénéfices climatiques sans générer de dividendes en matière de développement.
Si les émissions de gaz à effet de serre de l'Afrique restent faibles en moyenne, le continent est confrontéà de profondes pressions économiques et financières qui pourraient entraver sa capacitéà décarboner et à renforcer sa résilience. Toute stratégie climatique crédible doit donc combiner l'allègement de la dette avec un développement axé sur la croissance et à faible intensité de carbone. Ces idées sont au cœur du dernier rapport du Panel d'experts africains, créé sous la présidence sud-africaine du G20 afin d'examiner comment canaliser les investissements de manière à soutenir un développement durable et généralisé. Le rapport appelle à un allègement coordonné de la dette et exhorte les dirigeants du G20 à mobiliser des capitaux publics et privés pour relancer l'innovation en Afrique. Malgré levaste potentiel de l'Afrique en matière d'énergies renouvelables, le rythme et l'ampleur de sa transition verte dépendront en fin de compte des réalités sous-jacentes de ses économies nationales. Le continent dispose déjà de près de 34 gigawatts d'énergie hydraulique installée, avant même que des projets majeurs tels que le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne, d'une puissance de 6,5 GW, ne soient mis en service. Son potentiel solaire, qui s'élève à7 900 GW, est extraordinaire, avec une capacité installée en augmentation de 54 % par an entre 2011 et 2020. Les ressources éoliennes représentent un potentiel technique estiméà 461 GW. Et le rift est-africain à lui seul recèle environ 15 GW de ressources géothermiques inexploitées. Le véritable défi n'est pas de compter le nombre d'électrons verts que l'Afrique pourrait produire, mais de veiller à ce que les investissements dans les énergies propres aident les pays africains à atteindre leurs objectifs de développement. Pour cela, les décideurs politiques doivent se concentrer sur plusieurs questions clés. Il faut avant tout comprendre les causes profondes des problèmes de développement du continent. La plupart des pays subsahariens restent fortement dépendants des exportations de matières premières et de produits de base, une voie de développement qui a renforcé les déséquilibres structurels et freiné la croissance d'autres secteurs. Le Nigeria en est un exemple frappant. Avant la découverte du pétrole, le pays disposait d'un secteur agricole dynamique. Mais avec l'explosion des revenus pétroliers, l'agriculture a rapidement perdu du terrain, les exportations chutant de 17 % au plus fort du boom pétrolier des années 1970. Cette dépendance excessive à l'égard d'une seule matière première - un cas classique de «syndrome hollandais»- a rendu l'économie nigériane extrêmement vulnérable aux chocs des prix et à la volatilité des marchés. Deuxièmement, pour augmenter les investissements adaptés au climat, il faut avoir une image beaucoup plus claire du paysage de la dette du continent : son ampleur, sa composition et la manière de la stabiliser. Si un financement supplémentaire sera essentiel, tout nouvel emprunt devra être liéà des améliorations de la productivité et à la résilience économique. À court terme, cela nécessite de renforcer des secteurs tels que l'agriculture et le tourisme, tout en jetant les bases d'une transition vers des biens et services à plus forte valeur ajoutée. Le Ghana et la Côte d'Ivoire, par exemple, produisent environ la moitié du cacao mondial, mais en raison d'investissements limités dans la R&D et la transformation, la majeure partie de la valeur ajoutée est encore captée ailleurs, ce qui expose ces deux économies aux fluctuations du marché et limite leurs possibilités de diversification. Troisièmement, des économies telles que l'Afrique du Sud devront renforcer leur compétitivitéà mesure que des politiques telles que le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne entreront en vigueur. Ces mesures frapperont durement les secteurs à forte intensité de carbone, soulignant la nécessité de s'éloigner du modèle africain actuel «croître maintenant, nettoyer plus tard». Pour que la transition énergétique se traduise par une croissance économique durable, la décarbonation doit s'accompagner d'une industrialisation et d'une véritable diversification. Quatrièmement, une mauvaise allocation des capitaux serait particulièrement coûteuse pour les pays fortement endettés, à un moment où les coûts d'emprunt montent en flèche dans une grande partie de l'Afrique. Il est donc essentiel de se concentrer sur des initiatives de croissance verte qui permettent des gains de productivité significatifs et offrent des opportunités économiques. Dans le même temps, un approvisionnement en électricité abordable et fiable reste essentiel pour réaliser le potentiel productif de l'Afrique et intégrer sa population jeune et en rapide urbanisation dans l'économie mondiale. Les entreprises opérant dans la zone économique spéciale de Diamniadio au Sénégal, par exemple, ont souligné que le coût élevé de l'électricitéétait un facteur majeur qui nuisait à leur compétitivité. Enfin, les décideurs politiques africains ont besoin d'une vision à long terme de ce à quoi devraient ressembler leurs économies dans deux ou trois décennies. Les solutions climatiques ne doivent pas seulement réduire les émissions, elles doivent également créer des voies permettant aux pays de progresser dans la chaîne de valeur et de participer au développement des technologies de demain. L'économie du XXIe siècle est une économie d'idées, dans laquelle les pays rivalisent pour développer des solutions aux défis nationaux, régionaux et mondiaux. Bien menés, les investissements climatiques peuvent contribuer à nourrir des économies africaines dynamiques et axées sur l'innovation. Cela exige toutefois une vision cohérente à long terme de la trajectoire économique que le continent souhaite suivre. *Fondateur et directeur exécutif de l'African Climate Foundation |
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