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«Grand malaise»

par  G. O.

L'optimisme du wali n'est pas forcément partagé par les citoyens de Bechar qui font vite classer leur ville parmi les «dix wilayas du Sud qui vivent un grand malaise».

Les cadres sont les premiers à se  plaindre de «l'exclusion et la marginalisation». Beaucoup d'entre eux disent avoir entre 20, 30 ans et plus de service mais n'ont jamais eu aucune promotion. Nous en avons rencontré deux, vendredi soir, dont l'un disait non sans sourire que «je connais des personnes qui ont 60 ans mais qui n'ont jamais travaillé faute de n'avoir pas trouvé d'emploi. Ceux qui ont des appuis et des épaules larges en trouvent sans difficultés et obtiennent tout de suite des promotions». Notre interlocuteur reproche aux «gens du Nord» de croire que le Sud manque de cadres. «Le Sud a ses cadres, on se demande pourquoi les institutions préfèrent recruter ceux venant du Nord», se plaint-il. Il rappelle que Béchar possède une université depuis 1985. «Chaque année, ce sont 1.200 diplômés qui en sortent mais sans avenir puisqu'ils ne trouvent pas d'emploi», fait-il savoir. Le groupe de cadres qui ont accepté de parler avec nous estiment que «c'est impensable que Béchar n'ait pas d'infrastructures de base pour son développement économique alors qu'elle est comptée parmi les 15 premières wilayas qui ont été constituées au lendemain de l'indépendance du pays». Ils notent que «Béchar a été la 1ère ville industrialisée du pays grâce à la mine de charbon et de houille de Kenadsa, loin du chef-lieu de wilaya de 18 km». Mais soupirent-ils, «c'était au temps de la colonisation, aujourd'hui, la mine est complètement délaissée». Ils déplorent le manque de logements «pour une région qui ne manque pas d'espace». Ils nous parlent du seul quartier «huppé» de Béchar «la Barga» hérité, disent-ils, «du temps de la colonisation». Mais, racontent-ils, «au début des années 80, l'armée a fait sortir tout le monde pour s'approprier les lieux».

 Bien que ses habitants se plaignent d'un quotidien morose, ils affichent cependant une grande sérénité. «Nous avons eu des émeutes l'été 2005 parce que la ville souffrait des délestages en électricité», se rappellent nos interlocuteurs. L'un d'entre eux nous fait savoir qu'en décembre dernier, un match de football entre la Jeunesse Saoura et El-Harrach a tourné à l'émeute. «La colère a été tellement forte qu'il a fallu le général commandant de la 3ème région pour calmer les esprits», indique-t-il.

 Le secteur de l'agriculture fait beaucoup de mécontents. «Tous les programmes agricoles n'ont pas réussi parce qu'il n'y a jamais eu de contrôle des projets qui ont été lancés par les jeunes», nous dit-on. L'on note beaucoup d'abandon «sans qu'aucune autorité demande des comptes aux jeunes défaillants». Un des cadres du secteur indique qu'«il y aurait 14.000 agriculteurs inscrits auprès de la Chambre régionale de l'agriculture dont 5.600 ont bénéficié d'aides financières de l'Etat sans pour autant produire». L'on raconte que le wali d'avant, Abdelghani Zehane, avait établi une liste des agriculteurs «qui ne travaillent pas alors qu'ils ont été aidés par l'Etat et l'avait remise aux services de la gendarmerie pour enquête». Il fallait compter, selon eux, sans la décision du président de la République d'effacer les dettes des agriculteurs. «Quand l'Etat efface des dettes, c'est un encouragement pour ne rien faire», estime un fonctionnaire.

 L'on pointe alors du doigt «la dépendance commerciale de la région en fruits et légumes des villes comme Tiaret, Tlemcen ou Oran. Le marché qui ouvre le vendredi et samedi est, selon des citoyens, «à 80% vide par manque d'approvisionnement en produits agricoles». Flash-back pour rappeler les grandes crues des oueds en 2008 «qui ont provoqué un isolement total de la wilaya pour 3 ou 4 jours». L'on reconnaît quand même que «depuis deux ans, des ponts ont été construits pour éviter aux oueds, comme Kaloum ou Zoubia, de déborder sur la ville.

 Les habitants de Béchar hésitent beaucoup à parler de certaines zaouïas, de Kenadsa par exemple, ou alors de l'Hermitage De Foucault de Béni Abbès. «Parce que, susurre-t-on, ce sont d'autres histoires d'esclavagisme, de racisme et de maltraitance qu'on préfère taire?». Ou pour lesquelles, il faut accorder le temps et l'intérêt nécessaires?

 La wilaya de Béchar est loin des frontières avec le Maroc d'à peine 30 km. Figuig en est le premier point. Dès son évocation, on rappelle que de grandes quantités de drogues parviennent de ces contrées. «Ici, beaucoup de monde fume (yakmou), moi-même, je fume (nekmi)», nous disait un cadre sans aucune gêne.