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L'autre aspect de la sécurité

par Ghris Djillali

C'est devenu aujourd'hui une chose automatique, tout ce qui nous entoure est considéré comme un ensemble composé d'une partie matérielle, le hardware et d'une autre abstraite, le software. C'est le monde de l'informatique par excellence, et tout est programmé. Si la partie équipement est visible pour l'exploitant et surtout pour l'équipe d'entretien, les logiciels de fonctionnement peuvent ne jamais être bien compris. Et selon l'application programmée, une machine effectuera toujours un travail bien déterminé.

Pour l'être humain, les choses ne sont pas trop différentes. Bien au contraire, non seulement le cerveau humain est de loin beaucoup plus complexe, mais il est capable d'incroyables surprises, bonnes ou mauvaises.

 On parle surtout de caractéristiques propres à l'individu, telles que l'intelligence, le comportement, la mentalité, etc.

 Des citoyens simples vous surprennent parfois par un raisonnement qui mérite attention. Un vieil homme pris en autostop sur la route Oued Tlélat - Arzew, me confie son opinion sur l'état de la route, surtout au niveau du lac Eddhaya. A ce niveau, et sur une longueur avoisinant deux kilomètres, la route ressemble à un véritable oued, malgré sa grande importance économique. Avec tous les dangers qu'elle présente, surtout pour les centaines de camions citernes transportant les hydrocarbures pour les wilayas du sud ouest, elle reste encore négligée comme si personne ne l'a vue. « Quelque part dans les rouages administratifs, il doit y avoir des commissions de contrôle. Et comme les projets de ce genre nécessitent généralement l'interaction de plusieurs organismes, des bureaux d'études, des entrepreneurs, des services de contrôle et autres operateurs, tous relevant de la compétence collective des différentes administrations, il est donc bien clair que la responsabilité reste partagée, et personne ne dénoncera personne.

 Et si un projet finalisé doit avoir un minimum d'années comme durée de vie, et que la route n'a tenu que quelques mois à peine, on sera obligé de vivre le calvaire au moins quelques années encore. Il est évident qu'on ne peut pas justifier un budget pour un travail déjà effectué. Et puis, ce sera rebelote. C'est la corruption, l'incompétence et l'impunité qui feront que pour une énième fois, la route sera refaite pour ne tenir que quelques mois au lieu de quelques années. Et c'est toujours avec l'argent du peuple, du beylek. »

C'est malheureux.

 En parlant de cette zone, on continue de voir des camions citernes transportant des hydrocarbures, à l'état liquide et gazeux, et avec la mention bien inscrite en grandes lettres et en rouge « Attention produit inflammable », passer en plein milieu d'une grande fumée dense et parfois sous le vent, avec des petits objets ou papiers en flamme. De vrais kamikazes. Et ceci est facilement vérifiable. La décharge publique, souvent en flamme, se trouve en parallèle et côte à côte avec la route nationale liant Oued Tlélat à Arzew qui est quotidiennement empruntée par des centaines de camions citernes des hydrocarbures, surtout pour le sud ouest.

 A voir ces scènes, on se demande si ces chauffeurs sont conscients, ou bien tout simplement s'ils ignorent à ce point le danger encouru. Mais d'un autre côté, les gestionnaires de ces décharges sont-ils eux aussi à ce point ignorants ? Et ceux qui nous parlent sans cesse de la sécurité routière ?

A voir depuis quand ce problème persiste, on se demande si on a bien compris le sens des termes priorité, urgence, et sécurité.

 Malheureusement, de nos jours tout est devenu possible. Les yeux sont ouverts mais les cerveaux aveugles. Tout le monde est responsable mais personne n'est comptable. On dit une chose et on fait son contraire le plus normalement du monde. Et comme en 2013 on nous parle de tonnes de kif, on doit chercher quel est l'objectif tracé par les forces négatives. Le développement d'une société nécessite l'étude de tous les facteurs d'influence et leur importance. Les moyens financiers ne sont qu'un facteur parmi tant d'autres. Le développement humain est beaucoup plus important que l'argent disponible, mal géré. Si on cherche à développer le pays, on doit aussi se rendre compte que les forces du mal ont elles aussi un objectif bien tracé. L'ignorance et le laisser aller étant les autres sources dangereuses du mal.

LA SECURITE A ARZEW

Le terrorisme a frappé à Ain Amenas et il essaiera encore partout où il lui sera possible d'agir. S'il a décidé de s'attaquer à la richesse principale du pays, c'est-à-dire aux hydrocarbures, ce sont donc toutes les unités de Sonatrach, grandes ou petites, au nord ou au sud, qui doivent être bien gardées. Les premiers gardiens des unités sont bien les travailleurs.

 A l'instar de la sécurité globale du pays, la principale force pouvant garantir la paix, c'est le peuple. Les forces de sécurité ne peuvent rien sans le peuple. Et puis ce qu'il faut retenir, c'est que seul un équilibre hard ? soft peut aboutir à une performance acceptable. Des décisions irréfléchies peuvent être très impopulaires et n'avoir aucun effet. Ben au contraire, elles peuvent conduire à des dérangements inutiles et même à des effets contraires.

Un ancien cadre de Sonatrach raconte : « La zone industrielle d'Arzew s'étale sur des kilomètres le long de la côte, avec des dizaines d'unités pétrochimiques éparpillées sur cette zone et des milliers de travailleurs. Après les événements de Tiguentourine, on a tout simplement interdit l'accès aux véhicules personnels. Le travailleur passe mais son véhicule n'est pas autorisé. Il doit entrer la zone et attendre sous le froid et la pluie, les bus qui circulent, entre les unités, tels les transporteurs de voyageurs. Les travailleurs qui ont passé plus de vingt ou trente ans dans cette zone sont tout d'un coup devenus suspects et ne peuvent pas utiliser leurs véhicules pour se déplacer à l'intérieur de la zone. Ils sont des milliers à être perturbés de cette façon. Lorsque les gens sont démotivés et tendent vers la voie du moindre effort, il faut s'attendre à des surprises dans des unités qui exigent une totale présence d'esprit et une vigilance accrue. Techniquement parlant, les accidents dus aux problèmes techniques ne sont pas très différents des accidents qui peuvent être produits par des actes terroristes. Une bombe est une bombe et une étincelle est une étincelle. On doit donc peut être interdire l'accès aux fumeurs aussi, ou bien couper l'électricité pour éviter l'étincelle, ou encore arrêter les torches et les fours pour éliminer les flammes, ?

 Pour une zone industrielle à haut risque, dans laquelle sont traités, stockés, et commercialisés des produits chimiques dangereux et du gaz sous très haute pression, ce n'est pas dans la malle de son véhicule qu'un homme dangereux portera ses idées criminelles mais dans son crâne. Ceux qui sont en charge et qui pensent réellement à la sécurité de la zone doivent revoir leurs définitions. Le problème technique est plus dangereux que le terrorisme, parce qu'il risque d'être invisible si le travailleur n'est pas vigilant et s'il est perturbé et n'arrive pas à se concentrer dans son travail. »

 Sur les lieux, au niveau des différentes entrées de la zone industrielle d'Arzew, c'est une autre triste histoire qui rappelle l'absence de l'état. Juste à côté des dizaines de policiers censés contrôler l'accès à la zone, au poste trois par exemple, il y a des jeunes avec des gourdins qui se sont proclamés patrons des trottoirs et font payer les travailleurs pour le stationnement de leurs véhicules. Les travailleurs n'étant pas autorisés à conduire leur voiture jusqu'au lieu du travail, se trouvant à quelques kilomètres, ils doivent les abandonner hors zone.

 Pour ceux qui savent que toutes les unités à l'intérieur de la zone sont dotées de parkings bien loin des installations et des équipements, et ont des équipes de sécurité qui interdisent l'accès même aux piétons sans permission et tenue de travail adéquate, cette décision d'interdire l'accès aux véhicules des travailleurs est absolument insensée, et n'a qu'une seule explication :

1 soit le décideur réel est bien loin du terrain et considère la zone comme une simple unité de production avec quelques centaines d'ouvriers et quelques hectares de surface, et donc ne peut pas imaginer l'ampleur des problèmes causés par une telle décision, 2 soit c'est une combinaison d'incompétence et de mépris envers les employés, et là il faut bien revoir les choses.

 En termes de sécurité, les travailleurs sont pour la zone, ce que sont les roues pour la carrosse et l'arme pour le soldat, pour ne pas dire ce qu'est l'eau pour la vie.

 Un ex raffineur raconte comment, durant les années quatre vingt, un grand four a pris feu, et les courageux operateurs sur place, sans attendre l'arrivée des équipes spécialisées pour ce genre d'accident, ont commencé à intervenir, au risque de se faire brûler. Des fournisseurs étrangers se trouvaient sur les lieux et ont observé la scène. Ils étaient stupéfaits.

Le feu a été maitrisé après quelques heures, avec l'intervention des pompiers bien sûr, mais avec un minimum de dégât, parce que les braves opérateurs ont réussi à ralentir la propagation des flammes. D'après ces observateurs étrangers, un feu du même genre s'était un jour produit dans une raffinerie au Texas, et comme seules les équipes spécialisées devaient intervenir, on avait évacué les lieux. Seulement, avant l'intervention des équipes de sécurité, et vu la vitesse d'avancement des flammes, le feu avait très vite atteint d'autres équipements du procédé pour finalement ravager la raffinerie toute entière.

Ceci pour dire que la sécurité réelle c'est le travailleur. Alors, comment parler de sécurité si on ne lui fait pas confiance ?

Ou bien, est-ce-que le véhicule est plus dangereux que l'homme ?