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La banque d'Algérie ballotée dans son suivisme du gouvernement

par El Kadi Ihsane

Pris dans le tourbillon des émeutes des jeunes exclus, le gouvernement de Ahmed Ouyahia poursuit trois objectifs immédiats de politique économique : contenir la hausse des prix, réduire la part de l'informel, traquer les monopoles.

Sur ces trois fronts la banque d'Algérie joue presque contre son camp. Il est vrai sous les injonctions du pouvoir politique.

La banque d'Algérie (BA) est ballotée et l'irruption de la jeunesse démunie dans les rues n'arrange rien à sa gouvernance. L'institution de la «Villa Jolie» a tangué lourdement sous les changements de directions brusques et imprévisibles de l'exécutif sous lequel elle s'est rangée depuis les révisions successives de la loi sur la monnaie et le crédit depuis 1997. Ainsi pour lutter contre les importations, encore la première priorité du gouvernement algérien en décembre dernier, une circulaire de la BA, la 286 du 09 décembre dernier, prenait, sans le nommer, pour cible le Credoc à paiement différé et sommait les banques commerciales de baisser leurs dettes à court terme résultat de cette pratique des importateurs avec leurs fournisseurs. Une réaction qui a suscité de nombreux commentaires au sujet de l'incompétence de l'institut d'émission algérien, «peu au fait d'un phénomène statistique mécanique qui ne lui remontait pas avant l'interdiction du libre transfert par la LFC 2009». La banque d'Algérie a apporté de l'eau au moulin de ses critiques sur sa navigation à vue, avec une autre circulaire, la 257, toujours du 09 décembre, qui «enjoint les banques commerciales de signifier à leur clientèle d'entreprises de droit algérien ayant reçu des avances en trésorerie de leur maisons-mères à l'étranger après le 26 juillet 2009 à intégrer ces avances ? temporaires par définition - dans leur capital social», avant le 31 décembre 2010. Une mesure qui, outre les conséquences qu'elle allait avoir dans de nombreux cas sur la répartition du capital entre nationaux et étrangers (respect du 51%-49%) s'est, de fait, avérée impossible à exécuter dans ces délais. Le dévoiement du rôle de la BA dans une mission de «bras séculier» d'un gouvernement sans boussole économique n'arrive plus à suivre les changements d'orientation de l'exécutif. Pour Messaoud Farhi, consultant, «Par inertie ou par application des injonctions, la banque d'Algérie agit de fait à contre courant dans, par exemple, la lutte contre l'informel».

Limitation de l'extension du réseau des banques privées

Pourquoi dans la lutte contre l'informel ? La sortie de Daho Ould Kablia sur «Algérie Plus», ministre de l'Intérieur admet que la bataille contre l'économie informelle ne peut pas être gagnée dans le court terme parce que, entre autres, le réseau bancaire ne s'est pas suffisamment densifié ces deux dernières années. «On a essayé de le maîtriser (l'informel), il y a deux ans en imposant le chèque mais on a reculé car pour imposer le chèque il faut avoir des structures qui répondent, un nombre de guichets de banque, de poste ou de toute autre institution financière extrêmement important ?,».

 «Le retard dans la bancarisation, est en grande partie, assumée aujourd'hui par la politique restrictive de la banque d'Algérie en matière d'ouverture de nouvelles agences», explique Messaoud Farhi, qui a eu à recruter pour des banques privées du personnel qui attend encore pour être employé que l'agence bancaire à laquelle il est affecté obtienne l'agrément de la banque d'Algérie. Les banques privées souffrent toutes d'une limitation de l'extension de leur réseau d'agences dans le pays. Les délais d'obtention d'un agrément d'agence dépassent l'année en moyenne et cela alors que l'agence est prête à ouvrir. La seule Société Générale Algérie compte ainsi plus de 20 agences en stand by. Une instruction adressée par le Premier ministère à la banque d'Algérie peut donner une explication à ce goulot d'étranglement. La banque d'Algérie y est invitée à accélérer le traitement des demandes d'agréments des nouvelles agences? pour les banques publiques. «La distinction public-privé dans cette orientation n'est pas fortuite. Le rythme de l'extension du réseau des banques privées est beaucoup plus rapide. Préserver les parts de marché dominantes (85%) des banques publiques est un souci plus important pour le gouvernement que de réduire la fuite fiscale et le biais à l'économie que produit un secteur informel disproportionné» conclut le consultant dans le secteur bancaire. La banque d'Algérie exécute, sans résistance au politique, des orientations qui poursuivent des objectifs contradictoires : freiner la montée des banques privées, accélérer l'intégration de l'informel dans le circuit bancaire.

La banque d'Algérie applique et se tait

Le rôle «suiviste» de la banque d'Algérie vis-à-vis de chaque virage d'urgence du gouvernement fait de plus en plus ouvertement problème pour les opérateurs économiques. Mais il existe aussi ses rigidités historiques. Ainsi pour de très nombreux opérateurs privés, mais aussi des cadres de Sonatrach, l'interdiction faite par la banque d'Algérie, d'exporter des capitaux pour investir à l'étranger dessert la croissance en Algérie. «Les investissements à l'étranger d'aujourd'hui sont les dividendes rapatriés demain. Regardez Orascom. Chez nous Sonatrach, Cevital, NCA ou Condor ne peuvent ils pas étendre leur implantation ailleurs dans la région ?» s'élève un industriel, «d'ailleurs si le gouvernement veut limiter à 40% la part de marché que peut prendre un opérateur en Algérie, il doit bien accepter que cet opérateur profite de la croissance à l'étranger» ajoute-t-il. La banque d'Algérie pourrait donc ainsi se retrouver également, sur ce point, en porte-à-faux avec le contre-feu allumé par le gouvernement qui a décidé de lutter contre les positions de monopoles sur le marché. Cela pourrait également être bientôt le cas aussi au sujet de la lutte contre l'inflation importée. Pour Mohamed S. directeur d'agence dans une banque publique, «une partie du coussin d'amortissement de la hausse des prix des matières de base à l'international réside dans une relative appréciation du dinar face à l'euro et au dollar. Issad Rebrab le patron de Cevital en a parlé. Le dinar n'obéit plus aux règles habituelles qui déterminent un fixing. Rien ne permet plus de savoir où se situe sa valeur de marché puisque la décote des autres devises et le gonflement des réserves de change algériennes ne l'ont pas empêché de rester à sa parité d'avant 2008, voire par moment en dessous». Dinar trop bas ? Peut-être. La aussi la banque d'Algérie applique. Et bien sûr se tait.