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Du sucre à de l'huile sur le feu

par El Yazid Dib

L'on dit que c'est une affaire de sucre et d'huile. L'on dit aussi que tout est parti d'une rumeur qu'une campagne d'assainissement du commerce illicite allait être menée.

Le ministre du Commerce, nous semble-t-il, est loin d'être pour une cause ou une autre derrière cette agitation.

Ce que vient de vivre le pays n'est en soi qu'une simple expression de la rue. Car l'huile c'est vital, le sucre aussi. Avec toute la charge que celle-ci rapporte dans son lot de soucis quotidiens, l'accumulation de ce malaise ne doit pas être perdue de vue ou partir dans de simples statistiques de morts, de blessés et de dégâts matériels. Il est pourtant prédit, dans les sciences de la communication, qu'en face de situations précises, l'on oppose des solutions précises. Non pas agir toujours et encore dans l'éloge d'un système arrivé aux limites de la patience collective.

 La communication est une source omnipotente aussi et surtout dans la manipulation possible et imaginable. La télévision en est la princesse. Du moins chez nous, le semblerait-il. Elle croit, comme au temps du ciel fermé, attirer les convoitises de tous les prétendants au trône, elle distille donc au gré de la circonstance ce que la manip crée, génère et désire répandre. Le fait que l'événement ne soit pas unique en son genre, mais bel et bien répandu à travers plusieurs agglomérations et en un seul moment, la nuit principalement, ne peut échapper à la thèse de la manipulation. C'est troublant de constater cette simultanéité dans le temps et l'espace. Chez certains, la manipulation devient une forme de gérer et de gouverner. Chez les autres, la manifestation est une forme de décrier et de rejeter cette forme de percevoir les choses. L'une et l'autre, sans frontière aucune, se rejoignent. La manifestation est le fruit de la manipulation. L'emploi tacite justement de cette stratégie de l'ombre tend à encourager ou décourager, selon la circonstance, la tendance de l'expression. Les émeutes chez nous ont pris de façon polymorphe l'habit d'une contestation généralisée de l'ordre établi. Avec cependant des cibles et des mires définies à l'aide de slogans bien agencés.

C'est légitime et opportun disent les uns. Il y a quelque chose derrière ces enfants, disent les autres. Sinon, l'on ne pourra jamais justifier le savoir, chez un gosse de 12 ans, le prix d'une savonnette. Peut-être, il saura le prix à payer pour une heure d'Internet, pour de belles godasses griffées, pour un jean usé à neuf, mais non pas la valeur d'un kilo d'oignons ou de sucre. La rue est par excellence le présentoir de la mal-vie et aussi du bonheur et de la liesse. Elle accueille la casse et les actes de saccage mais aussi le bruit et les klaxons d'une victoire sportive et même électorale. La télévision dans cette optique croit aussi faire et défaire la rue. Cette même rue a vu dire et s'entonner par les gosiers des gamins beaucoup d'insanités à l'égard de dirigeants ou d'élus locaux. La télévision dans ces émeutes de janvier, certes, a pu attirer de la réprobation citoyenne face à ces actes de barbarie, mais a carrément brouillé le résultat escompté par ces images montrant des gosses vociférant avec hilarité et insouciance «yahia Bouteflika». Ces scènes n'auront produit qu'un effet contraire. Le président en ces circonstances n'a pas besoin de soutien. Il doit agir juste et vite. Faire un discours clair et sincère vaudrait mieux que de faire partir tout le gouvernement. Il aura à sa façon d'expliquer par ces même mots le désarroi du pouvoir, nous le comprendrons cinq sur cinq.

Dans ce pays, l'on dirait qu'en plus de la fuite des capitaux, des cerveaux, la joie aussi a foutu le camp. Laissant place au dénuement et aux angoisses. Malgré les embellies, financières, électorales, il n'en demeure pas moins que rien ne semble indiquer une quelconque joie de vivre ni celle de travailler, encore plus oser espérer. Le pessimisme gagne tous les cœurs. Plus personne n'arrive à convaincre personne. Les mômes dans les écoles ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. Seule importe cette note assurant un passage ou une réussite. L'université n'est faite que d'un unique et rébarbatif cursus. Les grèves. Les lycées aussi. Les professeurs du secondaire, à force de ne pas être écoutés, s'arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. La tutelle, le ministère dont le titulaire détient le record de longévité et survit sans fracas à toute ses reformes. Réformes contre réforme, l'on est bien arrivé à démolir toute reforme. Les casseurs lors de ces émeutes ne sont en fait que le produit de l'école de Benbouzid. Si l'un d'eux est âgé de moins de 22 ans, c'est qu'il a connu l'école pour la première fois à six ans, alors que Benbouzid était déjà ministère de l'Education nationale. Lui l'est toujours, l'écolier d'hier est devenu casseur, rebelle, harrag, snifeur, terro, etc. Pars mon vieux, c'est salutaire pour le pays !

 Les gens ne voient plus rien venir sauf si n'était cette inquiétude sociale qui taraude l'esprit le plus juste de ceux qui rares sont aux commandes des destinées diversifiées du pays. L'on n'ose pas se dire toutes les vérités. L'allusion dans les propos officiels est devenue telle une règle syntaxique évitant à bon escient le style connu du clair, net et précis. Tellement la morosité a pu faire son petit bout de chemin dans les allées des cœurs souffrants, qu'il ne se trouve plus d'ambitieux pouvant afficher des prétentions de vivre mieux. Le bonheur aussi aurait été rendu otage du système. Comment garder le moral des troupes en éveil souriant, quand le chargé de le leur donner se trouve en pleine tempête ? Les raisons en vue de fuir ou de sortir de l'orbite censée vous contenir sont tellement justes qu'aucune logique ne pourrait les disqualifier. Ils sont nombreux les grévistes autant que les affamés le sont et au même titre que les diplômés chômeurs ou les chômeurs tout court.

La stabilité, paradoxalement que celle-ci le paraît, y est pour beaucoup de choses. Avant que Ouyahia ne s'installe dans une durée aux contours malaisés eu égard aux humeurs changeantes d'un président plein mais toujours insatisfait. Sa maladie avait sans cesse démontré l'inutilité d'un chef de gouvernement s'il agit ainsi. Limité dans l'exercice du pouvoir, il ne représente quelque part qu'un très grand commis de l'Etat. Sans autonomie dans l'action politique. Joue-t-il par conséquent un rôle mal défini, exerce-t-il une haute fonction de l'Etat ou effectue-t-il une simple mission de routine? Le questionnement est continuel. Comme le wali et le ministre, le chef du gouvernement reste tout aussi indéchiffrable. Son profil n'est astreint en apparence à aucune exigence intrinsèque. Sinon, à défaut du président, pourquoi n'aurait-il pas pu prendre la parole et nous dire de quoi ça retourne ces manifestations ? Laissant le soin à un ministre d'une jeunesse désemparée de lancer comme un parent d'élève ému et chagriné des appels au calme. Les imams ont été aussi appelés à la rescousse. Le ministre de l'Intérieur paraissait pris par une forte inquiétude qui lui faisait perdre le sens des mots. Il souhaitait ardemment que ça se termine aussi vite. Il était précipité de trouver cette main, non étrangère cette fois-ci, mais «khaffia» (secrète).

Alors le comble du ridicule aurait été franchi lors de ce conseil interministériel convoqué pour la circonstance où il a été décidé de suspendre les droits et taxes d'importation de certains produits, objet soi-disant de controverse. Ces mesures sont anticonstitutionnelles. La fiscalité est du ressort de la loi et non des prérogatives du gouvernement. A moins d'une ordonnance. Cette entrave à la notion de l'Etat de droit démontre une fois encore que le pouvoir est prêt à céder le pas à la moindre secousse, aux dépens même de la haute légalité. Cette suspension de droits et taxes, qui s'élèverait, tous taux confondus, à 41%/, s'accorde un moratoire jusqu'au 31 août 2011. Certainement au moment propice de l'initiative introductive d'une loi de finances complémentaire. L'on y verra à la baisse tous les coefficients d'une fiscalité qui semblerait se faire sans discernement et loin d'une étude de faisabilité. Le ministère des Finances est innocemment partie prenante dans l'arrière raison de ces émeutes. La commission de l'APN également. Pour les députés, qu'en dites-vous ? On les aurait même blâmés pour ce manque de dynamisme d'aller prêcher le calme dans leurs circonscriptions. Mais leur rôle n'est pas celui d'un sapeur-pompier. Il devrait se jouer dans l'hémicycle et non dans la rue. Je me rappelle d'un député UMP, vu à la télé à l'assemblée, répondant à son contradicteur socialiste qui lui demandait de voir et d'écouter la rue (3 millions de Français ont marché pour dénoncer la loi sur la retraite d'Eric Werth), l'autre de répondre «mais mon cher collègue, c'est ici que s'exerce la démocratie et non dans la rue !» Alors nos pauv' députés n'ont rien à voir dedans. Cependant, leurs partis si. Ces derniers doivent investir la rue et non se vautrer dans les sièges soyeux d'El Biar ou d'Elmouradia.

Comme il y a lieu d'intercepter à travers ces jeunes qui saccagent, pillent et détruisent, de vifs signaux politiques. Non pas en terme de réformes à mener, mais d'ouverture de canaux de dialogue et de libre expression. Qu'on le veuille ou non, l'expression n'est toujours pas totalement libre dans ce pays. Sinon comment explique-t-on qu'il existe toujours de l?opposition agissant à partir de l'étranger ? Est-ce que les Etats-Unis ou la France connaissent une opposition qui soit installée ailleurs que chez elle ? Il ne sert à rien de châtier l'avis contraire ou le défaut de mise en rang. La divergence n'est pas forcément une opposition. Comme la dissemblance dans le choix de projet ne peut être perçue comme une contrariété. Pour le bonheur du peuple, les avis doivent justement être partagés, différenciés et pourquoi pas opposés les uns aux autres. Même dans les sciences théologiques, n'est-il pas dit que la différence est une clémence. Alors que dire si au moment où l'homme interdit à l'homme de le contredire, le Bon Dieu tout-puissant s'est créé une opposition, pas des moindres, celle de Satan, tout en lui fournissant, dans le sang, la progéniture et la fortune, un bon siège social.

 Au plan local, la bonne gouvernance éternellement exigée n'est pas en passe de devenir une satisfaction des populations autochtones. Un wali, qui, lors de ces tournées, fait rassembler ce qu'il appelle « société civile » et s'entoure d'associations, de comités de quartier, de soutien, tous triés sur le volet et les stimule de lui offrir l'aubaine de savonner gratuitement son exécutif, présent sur les lieux, n'est pas fait pour donner libre cours à la parole, tant de cette société civile que de l'autre et a fortiori à ses directeurs auxquels le droit de réponse est renié sine die. Il ne sera pas un bon wali s'il se positionne tout le temps à imposer avec autorité sa propre vision des choses aux maires, aux techniciens, les obligeant à réaliser, aux dépens de leurs budgets ou a contrario des normes, la petitesse de l'idée de ses grandes envies. Planter des palmiers ou lutter contre la sacherie, le populisme et l'ego deviennent ainsi une pathologie virale qui n'ira qu'en gangrenant le balbutiement d'une démocratie à peine éclose. Ce jeu justement alimente la cagnotte de la manipulation et fait le bonheur de ceux qui excellent dans le chantage silencieux, fût-il au sommet de la pyramide.

 Ces signaux doivent être pris au sérieux, et seule une politique de prévention, d'ouverture et de garantie des droits mènera le pays vers la stabilité et le bonheur. Qui n'a pas envie de vivre bien dans ce beau pays ? Qui n'a pas envie de faire bien son métier dans une bonne organisation sociale ? Alors svp, que ceux qui se sucrent et se huilent cessent d'approcher le feu.