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La créature n'arrêtera pas de surprendre son concepteur

par Farouk Zahi

Exclu du système éducatif, non pas pour inaptitude scolaire, comme on veut le faire croire, mais par inefficience pédagogique, l'adolescent, livré poings et pieds liés à la délinquance, se rebiffe à sa manière.

Placé en marge du système social et harcelé par ceux-là mêmes qui versent des larmes de crocodile sur son sort, dont les médias notamment, on se surprend à s'étonner de sa hargne à tout casser. Ce comportement suicidaire, ne peut être que morbide. Que n'a-t-on pas de fois lu et entendu, la stigmatisation «de ces gardiens de parcs autoproclamés munis de gourdins», « d'occupation des rues par les marchands à la sauvette » et de mise à l'index des services de l'Etat pour leur indifférence coupable. Soyons honnêtes et reconnaissons notre part de responsabilité dans ce qui se déroule, aujourd'hui, sous nos yeux. Le « monstre » est bien de notre modelage. En octobre 88, étiquetée à tort de « révolte de la semoule » tout comme celle d'aujourd'hui, celle «de l'huile et du sucre », la charge rancunière était moins prégnante car les différences sociales étaient moins perceptibles, et le renvoi référentiel moins rutilant. Il ne s'est agi, à l'époque que de Honda-Accord et de téléviseur couleurs. Maintenant, la débauche du luxe est orgiaque, on voit, de plus en plus, de « morveux » roulant carrosse en Q7 Audi ou en BMW avec plusieurs X. Il n'est nul besoin encore de citer ces « joujoux » de mustangs rugissants à deux roues, cadeaux d'anniversaire de papy. Jadis, les récits de voyages ne dépassaient guère Marseille ou Paris, maintenant on parle volontiers de Montréal et de Dubai. On y habite même en résidence secondaire. Que peut penser un jeune chômeur muni de son permis de conduire ou de son passeport, et qui lorgne sur la vitrine d'un show room automobile et sur une agence de tourisme vantant les charmes des Seychelles ou même ceux du proche Bosphore ? Le milieu social le réprimande quand il ose flâner, main dans la main, avec sa compagne ou même sa fiancée. Il ne sait même pas de quoi remplir son désœuvrement. Mal encadré, l'oisiveté le happera pour l'expédience addictive qui générera en lui tous les instincts déviants. Le nouveau clergé inquisitif, le traînera devant les tribunaux pour outrage à la chose religieuse.

Son vieux père arrive à peine à joindre les deux bouts avec sa pension de retraite, d'un peu plus de 10.000 DA, ou sa mère qui émarge sur le dispositif du filet social. Une injure à la dignité humaine ! L'exclusion a été plus marquée pour lui quand seule, sa sœur, détentrice d'un diplôme d'études supérieures, a réussi à dégoter un emploi chez un privé dans le cadre du pré emploi et que rien n'est encore joué pour elle. Elle se retrouvera bientôt sur le carreau si, elle ne consent pas à quelques concessions. Faudra-il continuer à mésestimer la nuisance de cette jeunesse, cette « bombe à retardement », avertissait Yahia Guidoum ? La plus instruite d'entre elles, quittant le pays pour des cieux plus cléments et l'autre, la plus démunie intellectuellement, n'aura que la force physique pour quémander des droits qu'elle suppose lui être dus. Le « monstre de Frankenstein », se réveille, il n'ouvre, pour le moment, qu'un œil. Faut-il attendre l'éruption d'un talibanistan afghan ou d'un chebabistan somalien pour rendre l'équité sociale, politiquement affichée, effective ? Les évènements vécus, présentement, présagent de signes annonciateurs de désordre. L'autoroute menant à Tipaza, fait épisodiquement l'objet de séquestre par des délinquants qui rackettent les automobilistes. Que faudra-t-il en déduire, dès lors que l'anomie installe ses quartiers ? Il se trouvera toujours des ana-lystes

 qui ignorent tout de la ghettoïsation des quartiers urbains pour pérorer, après coup, sur les tenants et les aboutissants du mal-vivre. Et çà n'a pas raté, voilà qu'après l'accalmie, des oracles du dernier quart d'heure , montent au créneau, avocats, anciens ministres, anciens sénateurs pour dire, il faut que «ça change», pour qui en fait ? Ce jeune délinquant n'a dû s'adresser à un avocat qu'au parloir de sa geôle ou au prétoire. Il ne s'en rappellera que par les honoraires exorbitants que ses parents n'ont pu payer qu'en mettant au clou, les bijoux de famille. Quant à M. l'ancien sénateur, à l'affût d'un rappel aux affaires, il découvre soudain que la « chose » boite. Touchant, une confortable retraite à vie pour un ou deux mandats, il serait malvenu de parler de misère humaine. La fausse illusion de bien-être que donnaient les quartiers dit européens dans les années soixante jusqu'aux années quatre-vingts, a volé en éclats. Faits, généralement, pour des familles de petites tailles, ils ne peuvent plus contenir le produit de la forte démographie devenue endémique. Le jeune couple des années 70 est présentement aïeul de plusieurs petits descendants dont certains, sont au collège déjà. De pleins villages de transfuges des années de turbulence terroriste, sont venus se rajouter au déficit chronique en gîtes décents. Les postulants au logement social, acquis des masses laborieuses, comme on aime à le qualifier à la Centrale syndicale, voient leur rêve partir en fumée par le squat huppé. D'anciens cadres de l'Etat, s'adjugeant des unités locatives, ici et là, se constituent des rentes opulentes par la sous location prohibitive. Faut-il encore préciser, qu'ils ne paient aux organismes logeurs que de modiques pécules comparés à ceux du marché sauvage de l'immobilier ? Les mêmes vautours, en bottes et kachabia, planent sur les marchés de gros des fruits et légumes pour spéculer sur les produits maraîchers. Ils dictent leurs prix aux détaillants. Certains élus nationaux, logés presque « à l'œil », ont trouvé le filon de la location diplomatique ou consulaire de leurs belles demeures sur les hauteurs. Les baux de location, généralement et sciemment sous estimés, sont en euros. Ils assureront, ainsi, l'avenir de leur progéniture hors du pays auquel ils n'y ont jamais cru. Véreux, ils se sont fait dans le négoce des passeports du Hadj et dans une foultitude de sordides transactions. Le véritable délinquant et le plus condamnable est, en réalité, le truand B.G.B.C. qui passe, le plus clair de son temps, à mystifier son monde, y compris sa propre progéniture à qui, il donne l'image surfaite du bon père de famille.

La classe politique dite d'opposition aura la partie belle, en claironnant qu'elle avait prédit les dérapages. Les partis de l'alliance présidentielle, tels les escargots, n'ont sorti la tête qu'à la fin de l'orage. Et quand certains de nos gouvernants se décident à intervenir médiatiquement, ils font des bourres langagières. Ils n'arrivent, souvent pas, à restituer le sens des mots qu'ils manipulent. Il n'y a, comme bouclier à la déferlante, que les services de sécurité pour absorber la colère ; ses raisons étant, assurément, ailleurs. Que gagne en fin de compte un agent de l'ordre public pour s'exposer au danger parfois fatal ? On ne peut dire qu'il fait partie des nantis, pour la simple et bonne raison que beaucoup de ses congénères habitent des bidonvilles. Lui aussi a suivi un cursus jusqu'en terminale, il n'a dû trouver comme débouché que l'école de police ou de gendarmerie pour pouvoir subvenir aux besoins de la vie qui n'est souvent pas colorée. Il y a même, les nostalgiques du «souk el-fellah», qui, il n'y a pas si longtemps, reprochaient à l'Etat sa prodigalité et ses restrictions à la libre entreprise. Nous ne savons plus qui a dit : « Ce n'est pas la girouette qui tourne, mais les vents ! ». La fragile «chair à canon » juvénile constitue pour tous les bords, un moyen de marchandage sordide. On parle volontiers de hogra, quand on la pratique, soit même, sans état d'âme.

 Il suffit de voir de plus près, ces gens de maison et veilleurs de nuit exploités dans le plus pur style négrier, sans heureusement, le fouet. La couverture sociale que mêmes certains colons accordaient aux indigènes, s'est rétractée comme une peau de chagrin. Rappelons-nous ce manutentionnaire d'Akbou, victime d'une chute traumatisante du haut d'un camion qu'il déchargeait et dont le propriétaire n'a même pas daigné évacuer vers le point d'urgence le plus proche. Il eut pour lui, une seule et laconique phrase : « Va?ce n'est pas grave ! »

On se pose candidement la question sur la rancœur haineuse des « casseurs ». Le levain du caractère acrimonieux et agressif ne peut être généré que par l'humiliation. Humiliez quelqu'un, vous êtes sûr d'en faire un ennemi mortel. Les renvois de l'école, du travail, du logis, sont autant de séismes psychologiques aussi bien pour les victimes que pour l'entourage, même lointain. La dernière image, parue dans la presse, montrant une famille sous un toit de fortune, à même le ruisseau, au pied d'une superbe demeure à Mohamadia (Alger), n'est certainement pas faite pour réjouir. La famille expulsée, arborait bien en évidence, le portrait du président de la République et l'emblème national. Tout un discours inaudible. Elle regrette seulement que la personne qu'elle a élue, en l'occurrence le maire, n'a pas encore daigné lui rendre visite, ne serait-ce que pour le soutien moral. Une famille de Blida «moins chanceuse» n'a trouvé pour toit que le tablier d'un pont. Tout quidam, se sentira interpellé par les drames qui peuvent le toucher, lui aussi et à tout moment. Le développement socioéconomique, par le seul investissement infrastructurel ne suffira, certainement, pas à lui seul, à répondre aux besoins immédiats et incompressibles d'une jeunesse avide de vivre. Un jeune immature, ne pourra jamais comprendre l'incapacité financière de sa localité pour résorber le chômage, quand celle-ci se démène fiévreusement pour refaire les trottoirs ou construire des ronds-points. Il comprendra, encore moins, l'absence de l'eau dans son robinet, alors que cette ressource coule à flots dans le jet d'eau de la place publique. Il est, probablement, des espaces de dialogue qui sont demeurés fermés ou qu'il faille inventer. L'école, ce sanctuaire profané par la dénaturation du maître, nous renvoie le produit que nous voulions obtenir, au rabais. Ne faut-il pas aiguiller le train du développement sur la valorisation de la ressource humaine plutôt que sur le bâti, momentanément, du moins ? Une sorte d'année blanche. Pour l'heure, les zélateurs dithyrambiques du programme du président de la République remplissant, il y a peu, tous les espaces médiatiques sont bien cois !