Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Mon figuier algérien

par Kamal Guerroua

Un ancien postier de la ville de Mostaganem, fan invétéré des planches d'Abdelkader Alloula qu'il croyait encore vivant, des blagues croustillantes de l'humoriste Mohamed Felag, de la musique de Safy Boutella sur fond des paroles de l'indétrônable chanteur Djamel Allam, m'a dit un jour en badinant: «J'ai toute l'Algérie, pour moi seul et chez moi». Face à mon étonnement, le vieux enlève son béret basque, le pose sur le banc en bois sur lequel on était assis, et poursuit volontiers, dans un arabe dialectal aux sonorités plutôt marocaines : «J'ai passé toute mon enfance à Oujda au Maroc, là où travaillait mon père comme saisonnier pendant la guerre d'Algérie. A l'âge adulte, je suis revenu à Mostaganem, la ville de ma naissance où je me suis marié et exercé pendant une dizaine d'années comme postier.

Arrivé à Paris au milieu des années 1970, j'ai longtemps bossé dans le déménagement, puis dans une usine de textiles. Je t'avoue que ma relation avec mon pays, quoique perturbée par mes différents déplacements, est restée solide». «Dans quel sens ?» lui répondis-je, pour creuser un peu son vécu. «Tu sais, entre le monde et moi, il y a mon jardin et entre ce dernier et ma pomme, il y a mon figuier. Le monde entier se résume dans ce figuier-là» ! «Mais comment ça» ? «Tu sais, seul ce figuier m'est vraiment très cher. Il est ma mémoire, ma fierté, ma vie». «A ce point» ? «Oui, et tu sais pourquoi» ? «Absolument pas». «Parce que tout simplement, il est la manifestation de la diversité de mon pays et de sa diversité. Je l'ai planté à la fin des années 1970, lors de mes vacances au bled, tout près du jardin attenant à la maison familiale. Au fil du temps, j'en ai fait des greffes dessus.

Tu ne l'aurais jamais pu imaginer, même dans un rêve : chaque début d'automne, quand j'en fais la cueillette, il y en a de tous les goûts, toutes les couleurs, tous les genres : figues blanches ; noires ; jaunes ; rouges ; panachées, etc. Mes collègues et amis européens avec qui je travaille m'en demandent et je leur en offre souvent, une fois à Paris, en leur répétant, non sans une pointe d'humour : je suis un Algérien multiple, certes impulsif sur les bords, mais n'en reste pas moins généreux ; pluriel ; multiple ; fécond ; exceptionnel à l'image dans mon figuier. Quand mes amis en rient, j'emprunte à ma façon l'aphorisme de Pierre Dac : «A la question qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous? L'humoriste répondit avec malice : «En ce qui me concerne personnellement, je suis moi, je viens de chez moi et j'y retourne... quand je veux».