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Retraité... c'est mourir un peu

par El Yazid Dib

La retraite chez nous s'assimile un peu à une chambre d'attente de la mort... De se voir finir et de ne broyer que du noir le long des jours noirâtres et des nuits blanchâtres. C'est un peu rendre l'âme avant même l'arrêt du souffle.

Le régime des retraites est appelé impérativement à connaître une totale réforme. C'est une question de justice sociale. Des inégalités subsistent au grand jour. Les uns ont la leur dorée, tandis que les autres vivent la leur dans l'appauvrissement, le ressentiment et le regret. Si les pensions ne sont pas identiques ; le marché et ses prix sont le même pour tous. Les uns s'offrent, en cet été 2022 des nectarines, des cerises royales et des pêches bigarrées ; les autres se rabattent difficilement sur un quart de pastèque frelaté. Si tous les retraités survivants sont abonnés à Sonelgaz et à l'eau, ont le même compteur, reçoivent les mêmes factures ; les uns s'en acquittent aisément, les autres pensent à se remettre au quinquet et à la fontaine publique. Sale temps pour une rallonge de vie précaire et sans espoir.

L'on imagine mal qu'un p'tit mandat parlementaire ou même du défunt CNT puisse permettre une rente viagère conséquente, alors que tout un labeur de peine et de travaux effectifs pour un agent communal, un travailleur de chemins des fers ou un enseignant ne permet à ses titulaires que de vivoter et de sous-vivre. Malades, grabataires, souvent impotents, ils n'ont pas accès aux cliniques privées ou aux prises en charge en offset, juste une minable carte chiffa qui ne rembourse pas tout.

La retraite est une situation de non activité. Elle est perçue dans l'esprit de la loi comme l'accomplissement final d'une mission, d'un travail dont le contrat fut conclu à l'origine comme étant à durée indéterminée. En règle générale, arrivé à un certain âge, l'individu travailleur est déclaré inapte juridiquement à la continuation de son travail. Il sera ainsi mis d'office en position de cessation d'activité. Est-ce là, une protection douée d'une reconnaissance pour services rendus, ou est-ce une disgrâce sociale et un abandon, voire un rejet après usage ?

J'ai vu des gens mourir de retraite. J'ai vu des gens se plaindre d'une chronologie trop hâtive. J'ai vu ces gens finir et se finir à la limite d'âge. La sénescence aurait été longtemps considérée comme un risque économique dans la tête de l'employeur. Elle impliquait la certitude, à ne pas généraliser ; de devenir avec l'âge, incapable de travailler et de subvenir à ses besoins et ce en l'absence d'un système cohérent de solidarité nationale, voire d'entre-aide mutuelle. Alors qu'en termes réels l'âge n'influe en rien sur la capacité de travailler et encore sur celle de devoir subvenir à ses propres besoins. Ailleurs, sous d'autres cieux, l'on a déjà imaginé la mise à profit de ces compétences, de cette somme d'expérience pour la mettre benéfiquement au service du développement local, du service public ou dans l'élan de solidarité nationale. C'est le travail des seniors. C'est une organisation toute particulière. Prise en charge sur le plan du fonctionnement par une approche d'autogestion, l'Etat ou la collectivité locale ne fait qu'encadrer, stimuler et parfois réguler la panoplie d'actions entreprises par les retraités au bénéfice tant des retraités ou au profit d'autres. Ils sont là, dans des associations, ils émargent dans des états de bénévolat.

Vieillards ou moins jeunes, nos retraités ont du mal à vivre leur condition. La somme de la solde à verser est tellement dérisoire qu'elle entraîne la dérision pour permettre de donner le sens le plus péjoratif au rapetissement social d'un retraité. Désigner quelqu'un de retraité c'est lui concéder une raison de pitié. C'est le harponner par compassion. Quel est le canal le mieux adapté pour des retraités de pouvoir faire entendre leur voix ? Le suicide collectif ? La grève, la marche ? Ils s'épuisent. Les sit-in ? Ils les font chaque jour, devant les guichets de postes ou de banques. Attention la retraite, quelque que soit la définition qu'on lui attribue demeure un passage obligatoire pour les plus chanceux en fait de cumul d'années ouvrables. Expiation ou aire de repos, elle guette tout le monde. Tomber dans ses bras, peut être une mise entre les dents acérées d'un destin houleux.

Exposés aux souffrances, solitaires dans le dénuement et mal accompagnés, nos retraités se résignent à accepter leur état. Les maladies sont leur lot quotidien. Qui du diabète, qui de l'hypertension, qui d'un pire dégoût, tous subissent l'effroi et l'indifférence. Le sommeil ne leur est plus un besoin qu'une obligation. Il décampe au milieu de la nuit pour laisser place aux affres de l'insomnie, de l'inquiétude et surtout de la souvenance et de la méditation. Malgré ces infortunes le retraité garde toujours sa vivacité d'antan. Il est debout s'il n'est pas invalide, comme la dignité qui sait encore se tenir stable et haut la tête.

L'Etat est moralement dans l'obligation politique de trouver des solutions aux silencieux, nombreux et épars que constitue le corps de la famille des retraités. Leur imaginer un monde où il fait bon d'y couler de paisibles ultimes jours n'ira que dans le sens de la gratitude et de la reconnaissance. Leur aligner progressivement un salaire, soit une pension décente, juste et équilibrée selon l'exigence du marché confirmera intrinsèquement cette reconnaissance. Leur assurer un minimum d'égard public, un retour de regard, une invitation symbolique ne serait qu'un honneur à leur rendre périodiquement jusqu'à extinction totale et définitive des feux. Ainsi le meilleur cadeau qu'ils puissent recevoir de la générosité d'un trésor public c'est la suppression totale de cet IRG qui les poursuit jusqu'à la tombe.

Le retraité algérien continue dans une large majorité à s'incarner aussi dans la peau d'un chômeur très âgé. Il cherche du travail. Pour l'un ce sera pour une finalité financière, pour l'autre ce sera la même finalité. Tous dans son cas, se disent en retraite ; qu'ils n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Pensions minables, couverture sanitaire aussi minable, ces hommes crient dans un silence de haute dignité leur malaise. Ils scrutent à chaque augmentation de salaires, la lueur de voir le leur suivre le cours du marché, la courbe des prix et la mercuriale libre des fruits et des légumes. La facture ne leur est lourde que dans sa rubrique pharmaceutique. Nombreux sont les produits du genre qui ne sont plus remboursables ou qui l'astreignent à un contrôle médical zélé et abusif. Il croit légitimement, ce retraité quand la santé ne lui fait pas assez de défaut, en son aptitude de pouvoir encore exercer le métier qu'il avait fait depuis des années. Il garde digne, pour certains, cette sensation d'avoir encore du tonus à produire du service. Il tient à le démontrer par la régularité dans le suivi strict de toute l'actualité nationale ou internationale.

Cette condition de retraite demeure cependant sujette à plusieurs visions. Elle est tout le temps estimée d'une manière peu concluante. C'est à dire le départ en retraite est pressenti par son titulaire comme une façon hardie que son institution n'aurait pas du prendre à son encontre. Car cette mesure n'est jamais ressentie comme un privilège en sa faveur. Il redevient tel un objet éjecté de l'outil de production générale. L'écœurante sensation de l'éviction et le sentiment meurtrier de l'inutilité remplissent désagréablement son cœur. L'œil des autres l'envoie aux derniers sous-sols de la vie citadine. Il n'est rien. Il ne vaut qu'une petite allocation à reconvertir en cas de décès. Dans l'essentiel de la conception de la retraite, une vie active est censée se terminer par principe dans une aisance où le repos est censé également attendre le récipiendaire. A un âge avancé où naturellement le corps n'a plus la force des organes muscles d'antan, la retraite devait procurer un accompagnement amical et aidant à surpasser les effets du vieillissement. Rares sont ceux qui nourrissent encore moins goûtent aux impressions doucereuses du repos du guerrier. La contradiction des temps les empêche par tous moyens d'y accéder. Nos retraités ne sont pas sans rien faire. Ils fréquentent les mosquées, s'agglutinent autour des monuments, interprètent la vie, l'univers et ses voltes faces. Elle serait difficile, cette retraite à vivre pour les gens lettrés. L'instruction leur fait présenter des choses et leur fait toucher du doigt leur inutilité. Elle les laisse comprendre que les choses devraient marcher autrement. Pas comme elles sont. Rien n'arrive à les satisfaire. La critique est parfois une grosse dérive de l'esprit. Ils tentent cependant cahin-caha de se rendre efficaces. Ils font dans le conseil tous azimuts. A la faveur justement de leur culture, ils sauraient amadouer la difficulté et tempérer à merveille la vitesse d'un malheur quotidien ou d'un souci permanent. La patience contre le blasement n'aurait pu néanmoins les faire vaincre sur le déroulement écrasant de la routine. Au moment où cette mise à l'écart du monde du travail est vécue sereinement par l'autre frange moins encline à la culture, l'on peut trouver quelque part un coin paradisiaque dans le non-savoir.

Que ce soit coté cour ou jardin, chez certains la retraite n'est en finalité qu'une mort prématurée. Alors que chez d'autres, elle est une histoire personnelle et intime à vivre silencieusement dans un monde fermé. Une condamnation sans recours certes, mais une sentence mettant ainsi fin à tous les devoirs imposés.

Rompre une relation de travail n'est nullement une rupture de la vie. Bien au contraire un autre avenir, d'une autre dimension vous attend, pourvu que les organes et les muscles vous accompagnent. Plus de carcan, plus de réserve sauf celle liée à l'éthique ; la retraite annule toute hiérarchie et rompt toutes les contraintes, laissant place à bien d'autres plus sérieuses, plus individuelles, plus pénibles. La santé et le proche départ.