Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La retraite amarrée à l'âge de la discorde

par Abdelkrim Zerzouri

Tout au long de ces dernières années, l'opinion publique s'offusquait de voir partir à la retraite ces vagues de travailleurs, encore robustes, et dont le départ laisse un vide parfois irremplaçable de par la grande expérience qu'ils ont acquise dans différents domaines. C'est fou de laisser partir des travailleurs à l'âge de la maturité, au moment où, de par leur expérience, ils sont les plus aptes à contribuer au développement du pays, à l'essor des entreprises ou améliorer le service dans les administrations. Au moment où ils ont atteint le summum de l'efficacité dans leurs postes de travail, qu'on disait non sans grand dépit, on les pousse vers la sortie. Dans le temps, on tirait à tout bout de champ sur le gouvernement au sujet de cette décision accordant la retraite anticipée et proportionnelle à des travailleurs capables de donner encore 10 ans de sueur. C'est un gouvernement qui veut casser le développement du pays, soutenait les détracteurs de cette politique.

 Le raisonnement était tellement logique qu'on suivrait leur idée les yeux fermés. Puis, le jour où c'est venu de la bouche de Sellal, qui a exprimé avec beaucoup de retard, doit-on en convenir, ce même sentiment en relevant que c'est inconcevable de partir à la retraite à l'âge de 40 ans, décidant de lever la barre à 60 ans, c'est la levée de boucliers générale. Les syndicats, pas moins de 17, promettent une rentrée chaude pour dénoncer l'avant-projet de loi « rétablissant l'obligation d'un âge minimal » de retraite à 60 ans pour les hommes et 55 pour les femmes, qui a été adopté le mardi 26 juillet par le Conseil des ministres. « Touche pas à ma retraite », qu'ils disent. La retraite à 60 ans, c'est une décision vilipendée par les masses laborieuses qui considèrent qu'on a touché à un acquis sacré, en l'occurrence la retraite anticipée. Réactions lunatiques ?! Pas du tout car à voir de près, on comprend mieux que tout est question d'intérêt. Ce qu'on ne dit pas ouvertement, c'est que tout le monde trouvait son compte avec cette retraite anticipée. Presque tous les retraités s'assurent une pension confortable et un salaire parallèle en continuant leur carrière, dans le secteur privé notamment.

 Certains se découvriront des vocations de commerçants, alors que d'autres se contenteront de petits boulots peinards dans le secteur informel. Bien sûr qu'on n'accepterait pas qu'on allonge leur vie professionnelle de 5 ans, encore, sans grande (ou aucune) amélioration de leur vie socioprofessionnelle. Tant il est vrai qu'on ne gagnerait que des problèmes en plus. Au bout, on arrive à cette vérité déconcertante, ce qui manque le plus dans le monde du travail c'est la motivation. Pourquoi continuer à travailler jusqu'à 60 ans si on part en retraite avec les mêmes avantages acquis avec un départ anticipé ? Tout juste parce que la loi le dit ? Le gouvernement a pour seul souci la préservation des équilibres financiers de la CNR, mais l'approche n'est pas géniale dans un dossier si délicat. Et puis, il y a ces tergiversations autour du sujet qui soulèvent des tourbillons dans un horizon déjà assez sombre.

 Le gouvernement temporise pour l'entrée en vigueur de la loi fixant l'âge de retraite à 60 ans, la renvoyant au 1er janvier 2017. Cela permet d'absorber une partie de la colère en permettant du coup aux travailleurs remplissant les conditions édictées par la loi de déposer leurs dossiers de départ à la retraite sans conditions d'âge. Et, il n'y a pas que ça, car le nouveau texte qui sera en vigueur à partir du premier janvier, prévoit des départs anticipés pour les travailleurs « en poste de haute pénibilité », et différés de cinq ans sous conditions pour certaines catégories à haute expertise ou déficitaires. Là, on nage dans le vague, le flou très épais. Comment définir la pénibilité, si tous les travailleurs se voient accomplir un travail pénible ? La retraite est bien amarrée à l'âge de la discorde.