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Allocation touristique dites-vous !

par Nourredine Bouchikhi

A chaque approche des vacances se pose avec acuité pour l'Algérien désireux de se rendre à l'étranger pour un voyage d'agrément, et à longueur d'année moins souvent pour ceux voyageant pour affaires, visite familiale, études, formation ou besoin médical, l'épineuse question de l'allocation de voyage dite « touristique » dont le montant dérisoire pour ne pas dire insignifiant est resté figé depuis belle lurette à quinze mille DA (15.000) convertible qui au taux actuel représente l'équivalent de cent euros et des miettes.

Aucun responsable parmi tous ceux qui se sont succédés en l'occurrence les ministres des finances et les gouverneurs de la banque centrale n'ont daigné répondre à l'attente des Algériens ; cette question a été débattue à maintes reprises par des parlementaires sans que l'on puisse trouver de solution soit par incompétence soit par pur déni ; la réponse toute prête qui résonne tel un couperet au point que tout le monde l'a apprise se résume à une phrase laconique : « la balance des paiements et les équilibres budgétaires ne le permettent pas ! ». Une formule toute faite pour fuir ses responsabilités et éviter d'affronter la réalité ,des explications qui ne peuvent plus convaincre le commun des mortels quand on sait que cette modique somme couvre à peine les frais de l'assurance à l'étranger d'un véhicule ou bien une nuitée dans un hôtel correct.

La conjoncture actuelle représentée par la chute du prix du pétrole tombe à pic pour constituer un alibi inespéré afin de stopper net toute velléité à réclamer une révision à la hausse de l'allocation. Toutefois ce qui est incompréhensible et qui sème le doute dans les esprits quant à la volonté réelle de régler une fois pour toute ce problème c'est que même au plus haut des cours du brut le montant alloué est resté inchangé rendant alors peu crédible les arguments avancés jusqu'ici.

Voyager en dehors du fait qu'il s'agit d'un      droit constitutionnel, est devenu un acte coutumier et banal eu égard aux possibilités de transport offertes et aux relations tissées à travers le monde devenu un grand village. Cependant il est impératif d'avoir les ressources nécessaires en devises convertibles pour entreprendre le déplacement dans notre contexte on est contraint de recourir au marché parallèle qui survit en dehors de toute légitimité et droit de regard grâce à la politique de désengagement de l'état à offrir au citoyen une possibilité légale à vouloir trouver issue à cet imbroglio politico-économique ;

il (le marché) est de fait toléré car il offre aux pouvoirs publics une issue de secours, une soupape de sécurité à une situation intenable, impossible à gérer ou à y faire face, en somme une fuite en avant bien assumée !

L'Algérien est sans doute l'un des rares citoyens dans son environnement afro arabe qui se trouve confronté à cette problématique. Une petite comparaison par rapport aux pays dont le PIB est similaire et même inferieur au notre fait ressortir une différence dans l'approche abordée par nos voisins.

Le Maroc, la Tunisie, et même la Mauritanie des pays aux recettes limitées en comparaison à l'Algérie permettent à leurs ressortissants de disposer de devises convertibles d'un montant dix et même trente fois supérieur (entre 1000 et 3000 euros) sans que cela puisse déséquilibrer leur balance économique ! Un refrain cher à nos économistes de circonstance pour nous faire avaler la couleuvre.

L'Algérien ressent cela non seulement comme un mépris mais surtout comme une humiliation surtout quand il s'agit d'un cadre, un professeur universitaire, un industriel, un malade qui n'a pu trouver solution à son mal et qui dispose de moyens pour se faire soigner ailleurs ou un chercheur en quête de perfectionnement qui se voient obligés d'aller quémander des devises sous la manche.

Deux possibilités s'offrent à nos décideurs comme solution.

1ère solution :Revoir à la hausse le montant alloué sur la base disons de 1000 euros par personne somme prise à titre d'exemple vu que même les services de douane n'exigent plus de justificatif à la sortie du territoire national à hauteur de ce montant et ce depuis le 01 janvier 2016 considérant logiquement qu'il s'agit d'un minimum vital pour un voyage et en se référant aux statistiques fournies par la police de l'air et des frontières concernant le nombre d?Algériens ayant quitté le territoire national (environ 1 500 000 : pour la saison estivale 2015) dont nous pouvons déduire tous ceux qui ne peuvent bénéficier de l'allocation totalement (Algériens ayant déjà bénéficié, les Algériens résidents à l'étranger,) ou partiellement ( les enfants) et tenant compte du nombre de voyageurs supplémentaire mais moins important pour le reste de l'année nous pouvons estimer sans nous tromper qu'un maximum de trois millions d'Algériens pourraient avoir voyagé à l'étranger et donc candidats à bénéficier de l'allocation voyage ,le montant à consacrer annuellement serait alors de trois milliards d'euros , chiffre estimé par excès et qui représente une somme équivalant à l'économie réalisée sur la limitation des importations de véhicules en 2016, sans compter que d'autres économies peuvent aussi être faites sur des dépenses pour le moins non attractives aux yeux de beaucoup tel certaines manifestations culturelles ou sportives boudées par le public et pour le plus , simplement injustifiées mais qui grèvent lourdement le budget de l'état ; le montant total de l'allocation représenterait à peine 3 % des dépenses budgétaires en prenant comme référence l'année 2014.

À savoir que pour certains, même s'ils sont en droit de bénéficier de l'allocation (sur une base de mille euros par personne).Ils ne pourront se le permettre à la lumière du taux de change et des autres dépenses billetterie, assurances, et du nombre de personne à charge en cas de voyage en famille.

2ème solution : Instauration d'un régime à taux de change variable :A défaut de permettre à tout le monde d'avoir à disposition des dinars convertibles auprès des banques au taux officiel et sans prétendre se substituer aux économistes et décideurs beaucoup plus aptes à apporter des solutions il est permis de proposer des éléments sujets à réflexion parmi lesquelles :

Le taux de change variable ; en effet il serait crédible d'avoir différents taux de change en fonction de l'usage prévu ; pour un malade ,un étudiant , un chercheur dans le cadre de ses travaux scientifiques un taux de change avantageux est un gage de l'état de la considération des priorités vitales ou stratégiques vis-à-vis de ses citoyens et une subvention bien ordonnée ,pour les autres un taux de change proche de celui du marché parallèle rend quand même l'acte de change beaucoup plus sûr (un faux billet acheté au marché parallèle peut s'avérer couteux à un honnête citoyen à l'étranger) s'approvisionner dans une banque ou un bureau de change agrées permet d'avoir une traçabilité et des justificatifs , cet argent pourrait aussi alimenter les comptes devises et permettre donc de généraliser l'utilisation des cartes de crédit beaucoup plus pratiques et plus sûres.

Quel serait alors l'impact prévu sur le citoyen ?

Le premier est pas des moindres est le sentiment d'être considéré en tant que citoyen ayant des besoins minimaux que l'état doit être capable de prendre en charge et c'est le plus important . C'est une solution parmi d'autres pour mettre fin à la situation actuelle qui perdure depuis des décennies sans pour autant entrevoir une lueur à l'horizon et qui contribue injustement à l'enrichissement exponentielle des fournisseurs de devises (dont certains ont trouvé des subterfuges pour se les procurer au niveau même des institutions bancaires algériennes à des taux défiant toute concurrence par des méthodes détournées : fausses déclarations ,surfacturations, connivences avec des exportateurs étrangers véreux ,constitution de sociétés écrans d'import export ) qui les injectent dans le circuit parallèle à l'origine d'une inflation galopante aux conséquences désastreuses sur le pouvoir d'achat des nationaux.

L'intervention de l'état est aussi une manière de contribuer à la stabilité des taux de change du marché parallèle par la réduction de la demande à travers une offre accessible légalement et plus facilement..

utre conséquence prévisible est l'encouragement des transferts des devises des nationaux résidents à l'étranger qui faute d'alternative se verront contraints de passer par le biais des canaux officiels beaucoup plus sûrs.

Un taux de change rivalisant avec la réalité du marché pourrait être proposé à nos ressortissants résidents à l'étranger car il est la seule réponse plausible pour les inciter à traiter avec les banques nationales. Il permettrait de mettre fin aux intermédiaires et «aux bureaux de change informels » dont l'attractivité ne sera plus de mise, en provoquant le tarissement à la source.

Actuellement les montants de transfert des nationaux sont parmi les plus faibles en comparaison aux autres travailleurs étrangers seulement .1 ,5 milliards d'euros ont emprunté le circuit légal au premier semestre 2011 contre une estimation de 7 milliards transférés par voie informelle .Les Algériens de l'étranger habitués à transférer leur argent à travers ces voies détournées préféreront donc passer par les banques à la condition qu'elles soient à la hauteur de leur attente en matière de célérité , sécurité des opérations ,professionnalisme et frais étudiés.

Cette dernière solution même si elle n'est pas idéale aura le mérite de canaliser le flux du trafic de devises qui au lieu de profiter à l'état et par conséquence au citoyen profite exclusivement à une caste parasite qui tire profit de cette situation.

L'école du voyage.

L'allocation ne doit pas être considérée comme de l'argent dilapidé car beaucoup s'en servent pour soulager l'Etat qui ne peut répondre efficacement et promptement à tous les besoins des citoyens et qui auraient pu exiger beaucoup de contraintes administratives ou bureaucratiques pour les satisfaire. Nous pouvons citer sans être exhaustif à titre d'exemple : la fourniture d'une pièce détachée, d'un médicament un support technique ou scientifique ,une consultation en urgence un déplacement inopiné .

L'Algérie actuelle Dieu merci n'est plus celle des années de privations et de frustrations. Il est bien révolu le temps où le citoyen de retour d'un pays étranger s'empressait de ramener dans ses valises des bananes et des kiwis ou la camelote de Tati et consorts, le marché algérien est bien fourni en marchandises de tout genre ,de toutes marques et à des prix souvent concurrentiels cela a eu pour effet de mettre fin à la frénésie d'achat de tout et de n'importe quoi qui touchait nos compatriotes dès qu'ils franchissaient les frontières. Aujourd'hui se rendre à l'étranger est devenu pour beaucoup un tourisme authentique et pour d'autres la possibilité d'aller chercher ce dont ils ont vraiment besoin et qu'ils n'ont pas pu trouver localement, ils colmatent une brèche délaissée par les importateurs une action palliative et complémentaire à celle de l'état. L'Algérien s'est beaucoup assagi pour être responsable et faire le bon usage de ces devises rares et chèrement acquises.

Le voyage outre son rôle instructif et éducatif permet aussi aux citoyens d'apprendre la différence, la tolérance et à s'imprégner non seulement d'autres cultures mais aussi du savoir faire des nations plus développées, c'est en quelque sorte une école à laquelle peut être convié chacun selon ses moyens, et où tout le monde apprend selon ses centres d'intérêt, Il permet aussi de se faire une idée sur le vécu des autres peuples et de profiter du meilleur de ce qu'ils ont .

Reconquérir la normalité.

L'objectif in fine est que l'Etat s'approprie de nouveau les prérogatives d'une autorité normale et moderne qui fonctionne selon des mécanismes transparents et universels.

Car la passivité des pouvoirs à intervenir et à maintenir le statuquo est pour beaucoup à l'origine de cette spirale sans fin de l'enchérissement artificiel des devises surtout de l'euro monnaie la plus demandée dont le taux au niveau des places financières obéit aux règles de l'offre et de la demande avec naturellement des hausses et des baisses mais qui paradoxalement au niveau du marché local ne cesse d'augmenter sans que les acteurs concernés ne puissent endiguer cette tendance ascensionniste. Preuve que ce n'est plus les mécanismes économiques et financiers qui en déterminent la valeur mais c'est plutôt l'abdication de l'Etat comme acteur régulateur au profit malheureusement de spéculateurs qui dictent leur loi. En attendant une hypothétique augmentation des recettes pétrolières il va falloir attendre sans doute longtemps avant d'apercevoir le bout du tunnel, pendant ce temps là si rien n'est entrepris, c'est l'anarchie et la débrouillarde qui auront le dernier mot pour « réguler » le marché des devises ; la question qui fâche restera alors en suspens et la réponse reléguée aux calendes grecques.

Notes :

http://www.leconews.com/fr/actualites/nationale/services/3-5-millions-de-personnes-ont-passe-la-frontiere-en-2-mois-22-09-2015-175286_296.php

http://www.algerie-focus.com/2013/10/algerie-100-milliards-de-dollars-de-depenses-publiques-en-2014/

http://archives.maghrebemergent.info/economie/63-algerie/15800-algerie-les-transferts-des-emigres-evitent-les-banques-et-preferent-la-lwestern-union-clandestiner.html