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Etes-vous un traître ?

par Kamel Daoud

230 imams ont refusé d'accomplir la prière de l'absent sur les corps des victimes, militaires et leurs familles, du crash d'avion d'Oum Bouaghi. Ils ont été «sanctionnés». On n'en sait pas plus. Le chiffre a été révélé par le nouveau ministre des Affaires religieuses dont il faut saluer le courage et la vision d'un ministre «de tous les cultes».

Ce scandale immense d'Algériens qui encaissent des salaires en Algérie, imams d'emploi, qui jouissent de l'Indépendance arrachée par une armée populaire, qui sont protégés par l'armée algérienne et qui utilisent nos routes, notre pétrole, nos terres et nos récoltes, n'a pas été rendu public à l'époque. Les ténors du nationalisme au FLN/RND, les Saïdani et les Belkhadem, les Ouyahia et les chaînes-chiennes qui sont tombés sur Barakat et sur les militants anti 4e mandat n'ont rien dit sur ça. L'accusation de main étrangère et de traîtrise est sélective: on est traître et comploteur quand on est francophone, laïc ou progressiste ou simplement anti-régime. Mais on est «sanctionné», pas fusillé, quand on refuse d'accomplir un rite pour des défunts algériens morts lors d'un crash. Gaïd Salah n'en a pas parlé, ni la Présidence, ni les partis de soutien ni les comités de soutien, ni les rabatteurs de voix. Personne. 230 traîtres, c'est quand même énorme. C'est une armée, pas un groupe qui manifeste à Alger «pour déstabiliser la nation», comme aime le répéter Ouyahia. C'est une foule, une colonne entière. Formée en Algérie, nourrie, logée et payée et qui a osé. Et qui aujourd'hui vit encore en Algérie, pas à Kandahar et qui jouit de l'air et de la rente et de la liberté en Algérie. Autant que la dizaine d'imams qui ont refusé de se lever pour saluer le drapeau de leur pays et respecter l'hymne national il y a quelques années.        Et qui ont été simplement «sanctionnés» puis «couverts» par leur tutelle.

On s'imagine un lutteur pour les droits de l'homme, un militant progressiste ou un intellectuel critique qui «oserait» ne pas se lever pour le drapeau, ne pas saluer l'hymne national ou cracher sur le corps de militaires algériens morts après un crash d'avion. Il sera lynché par les chaînes TV de services, lapidé, tué, piétiné, sali, lui, sa famille, ses enfants, ses ancêtres et son lieu de naissance. Il sera accusé de tous les maux et de toutes les traîtrises depuis l'Emir Abd El Kader. Il sera découpé en morceaux et numérotés.

Ils sont donc 230. Ceux que les circonstances ont démasqués. Mais on s'imagine aussi les autres. Ceux qui ne croient plus en ce pays, ses territoires, ses symboles et qui y vivent comme une tumeur qui attend son heure. La main étrangère ? C'est celle-là. Elle ne s'en cache même pas. Elle a tribune, espace, livre, liberté et salaires. Elle a l'Arabie Saoudite comme pays tuteur et le régime local lui offre des facilités douces.

230 imams dont personne n'a parlé ! Ni les rabatteurs, ni les délateurs et les diffamateurs, ni ses chaînes-chiennes, ni les journaux «jaunes». Rien. Personne. Le crime est d'être contre le régime. Etre l'ennemi de ce pays, de son histoire, de son armée, de son humanité et de ses morts et vivants est simple délit.