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Spleen français : portrait de l'opinion

par Pierre Morville

Les sondages sont parfois erronés mais ce sont de bonnes photos

On le sait, les Français sont râleurs. Champions du monde même, dans tous les sondages comparatifs internationaux. Dans une enquête faite par opinion Way en 2013, ils l'avouent et ils s'en vantent : 49% des personnes interrogés avouent râler très souvent, 45%, souvent, 6% seulement s'énervent « de temps et temps », et 1% « rarement » ! Principales cibles des grognements : le revenu, les conditions de travail, les transports, les tracasseries administratives... Des préoccupations qui doivent être communes avec une immense partie de la population mondiale. Mais la particularité française réside dans le paradoxe suivant, extrait d'un autre sondage : selon le « Global barometer of hope and happiness » réalisé annuellement dans 54 pays, la France se classe avant-dernière en matière d'optimisme collectif. Les sondeurs soulignent chaque année notre pessimisme foncier et notre faible« foi collective en l'avenir ». Mais, au niveau personnel, 81 % des Français se disent plutôt heureux ! Bien entendu, le niveau de bonheur personnel est parfaitement proportionnel au niveau de revenu et à la catégorie socioprofessionnelle, (plus on est riche, plus on est heureux : surprenant non ?), l'impression de bonheur personnel néanmoins est nettement majoritaire dans toutes les catégories, des riches aux pauvres. En revanche, la crainte collective est grandissante. Les Français battaient en 2013, le record d'inquiétude qu'ils avaient manifesté en 1978, l'année pétrolière et l'ouverture d'une crise économique mondiale multiforme qui d'une certaine façon n'en finit pas et qui s'aggrave sérieusement depuis la crise de 2008/2009. Aujourd'hui, pendant que les classes populaires peinent à finir le mois, le déclassement social guette les classes moyennes et supérieures qui s'attendent à « faire moins bien que leurs parents ».

Se conforte ainsi chaque jour une profonde crise de confiance vis-à-vis des partis traditionnels, c'est-à-dire les partis de gouvernement. François Hollande enregistre la plus faible popularité des présidents de la Vème République, loin derrière les scores qui seraient jugés pharaoniques aujourd'hui, des De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac : l'actuel Président de la République n'obtient que 18% de satisfaits contre 78% de mécontents. Il bénéficiait dix millions de voix au 1er tour de l'élection présidentielle de 2012, sa formation ne recueille plus que 2,6 millions d'électeurs aux élections européennes. Et du côté de la droite traditionnelle, les choses ne vont pas mieux. Alors que la crise qui touche l'UMP ne cesse de s'aggraver à la suite des multiples rebondissements liés à l'affaire Bygmalion (une énième « affaire » de pognon politique), les Français sont 65% à se dire favorables à la disparition de ce parti ! Il est vrai qu'il se déroule depuis plusieurs mois une bataille rangée entre ses principaux chefs de file, Fillon, Copé, Juppé et bien sur Sarkozy pour conquérir la tête de l'UMP.

« L'UMPS » ET LE FN

Entre un président qui apparait comme mou et indécis et une opposition qui se livre à une guerre de tranchée en son sein même, il est assez normal que les Français dépités regardent ailleurs, d'autant que dans la pratique, les lignes politiques appliquées par les gouvernement de droite ou de gauche qui se succèdent, se ressemblent furieusement et partagent les mêmes échecs: rigueur salariale en crescendo, hausse d'impôts, mesures dites « favorables »aux entreprises? Du coup, Marine Le Pen fait mouche quand elle évoque « l'UMPS »?

Le 25 mai dernier, coup de tonnerre ! Les élections européennes portaient le Front National en tête d'un scrutin national, avec une bonne communication, une candidate habile et des propositions très contestables mais compréhensibles par tout le monde. Cette victoire prévisible depuis plusieurs semaines semble néanmoins surprendre et meurtrir la classe politique traditionnelle : «La gauche peut mourir» (Manuel Valls, PS), « on est au terme de la décomposition » (François Bayrou, centriste), « le paysage politique est dévasté » (Jean-Vincent Placé, vert), « nous sommes dans une situation de décadence politique » (François Fillon, UMP), « quand colère contre le pouvoir et désillusions sur l'opposition s'additionnent, tout est possible. Ca peut péter dur ! » (Jean-Pierre Raffarin, UMP)? Les politiques sont d'autant plus inquiets que Marine le Pen pourrait disposer d'une réserve de voix supplémentaire pour les futures présidentielles. Aujourd'hui 32% des sondés, affirment adhérer aux idées du FN et 27% se déclarent prêts à voter pour cette formation. Dans les faits, le Front national abrite deux catégories distinctes d'électeurs : un électorat de conviction qui adhère particulièrement au discours « ultra » , raciste, autoritaire, traditionnaliste et ultra-sécuritaire de Jean-Marie Le Pen père et un électorat de « ras-le bol », particulièrement dans les classes populaires, sensible au discours plus « modéré » de sa fille Marine, qui surtout en a assez de payer le coût de la crise économique et qui ne croit plus dans les partis traditionnels. Ce qui profite d'abord au Front national même si plus de 15% de Français protestataires ont voté à gauche de la gauche (Mélenchon, Parti communiste, Verts?).

 Marine le Pen renouvellera-t-elle son « effet de surprise » aux élections de 2017 ? Difficile, car deux tiers des électeurs (dont peut-être certains ont voté FN) sont inquiets du succès de la formation extrémiste. Cette crainte est d'ailleurs le calcul secret autant du PS que de l'UMP qui estiment tous deux que leur candidat, s'il arrive même au second tour derrière Marine le Pen, raflera les voix « légitimistes », en invoquant la constitution d'un front « antifasciste », à l'image du succès de Jacques Chirac face à Jean Marie Le Pen lors de la présidentielle de 2002 : avec 82,2% des voix, Chirac réalisa le meilleur score de toute la République, c'est-à-dire depuis 1789 ! Mais ce petit calcul politicien est dangereux car il banalise la présence du FN et crédibilise donc sa présence au second tour.