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Des lieux, des noms? et des hommes !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

LES MINEURS DU DESERT. Kenadsa, 1913-1962. Récit historique de Farid Larab. Chihab Editions.198 pages, 620 dinars, Alger 2013

Rares sont les ouvrages qui retracent de manière aussi fidèle que celui-ci, et du dedans, la vie des travailleurs algériens durant l'occupation coloniale. Ici, la vie (et la mort) des mineurs kenadsis (le métier le plus dur et le plus représentatif de l'exploitation capitaliste au temps où celle-ci était la moins contrôlée et en l'absence de forces politiques progressistes et syndicales organisées et fortes) qui est décrite presque au jour le jour (sic !), avec des souvenirs, des archives, des documents, des analyses, des témoignages de gens ayant vécu la période? Ce qui nous ramène loin, très loin en arrière.

L'auteur livre bien des informations, rappelant les faits essentiels marquant la colonisation de Colomb-Béchar.

De la souffrance, des grèves, des luttes et aussi bien des morts? avec, le désespoir «mal-» aidant, des actions à la limite du suicidaire. Ainsi, au tout début, les travailleurs qui étaient surtout des déportés de nationalités allemande, espagnole et italienne et des condamnés aux travaux forcés ont été jusqu'à provoquer (fin 1917) un accident de travail? un éboulement de terrain qui a englouti, sous des tonnes de boue, tous les protestataires. Cela n'a pas empêché l'entreprise des Chemins de fer (qui gérait alors la mine) de continuer l'activité minière.

Au départ, les habitants originaires de la région étaient employés, mais c'est seulement à partir des années 40 qu'on fit appel à des «gens du Nord» dont beaucoup de jeunes qui, appâtés par des recruteurs, pensaient y trouver un Eldorado. Fin 48, il y avait 4 172 ouvriers, 297 agents commissionnés et 20 ingénieurs? mais c'est seulement à la fin des années 60 que l'on vit une certaine prise en charge de la condition sociale des travailleurs. Il est vrai que les syndicats, surtout la CGT, avaient fait leur apparition sur le terrain. Mais, trop tard ! Le déficit financier de la société (Houillères du Sud-Oranais, entreprise créée en 1947 dans le cadre de la nationalisation des mines) dû bien plus au financement occulte de la stratégie politique de l'occupant lui permettant la préservation de ses intérêts économiques et surtout militaires dans la région (Colomb-Béchar était classée comme zone de déportation avec 3 camps : Béni Abbès, Djenen Bourezg et Tabelbala, déjà dans les années vingt, avec comme premier «pensionnaire», l'Emir Khaled? et 10 000 détenus au lendemain du 8 mai 45, et l'entretien de l'aérodrome revenait assez cher) , s'accentuait et l'Indépendance pointait. Premières victimes? comme d'habitude : les employés qu'on licencie en masse ou par «paquets».

Avis : Des pages noires de l'Histoire économique et industrielle du pays?une Histoire qui, après avoir «assassiné» les gens, a ?continué à empoisonner l'atmosphère.

Extraits : «La maladie de la silicose qui les ronge quotidiennement et l'inexistence de structures d'accompagnement (associations et autres) n'ont fait qu'enfoncer ces «Gueules noires» dans les ténèbres de l'anonymat» (p 15),

BOU SAADA, EN QUELQUES TRAITS? Récit monographique de Farouk Zahi (ouvrage préfacé par Kamel Bouchama). Enag Editions.210 pages, Alger 2013

L'auteur, ancien fonctionnaire de l'administration sanitaire ayant «bourlingué» à travers l'Algérie, est, aujourd'hui, journaliste-chroniqueur qui sévit dans les colonnes de la presse nationale (surtout Le Quotidien d'Oran). Quoi de plus normal, quoi de plus naturel, que de revenir sur les traces d'une enfance heureuse passée en un lieu de «douceur de vivre», une oasis «heureuse». Un lieu dont il a fait, imaginaire enfantin aidant, son ancrage identitaire. A-t-il eu tort ? A-t-il eu raison ?

Il a eu raison car les monographies, commentées cela va de soi pour leur donner plus de «vie», reconstituent presque à l'identique la quasi-totalité de la société en situation et ce sont les flambeaux intellectuels nécessaires aux générations suivantes.

Il a eu tort (en partie), car sensible comme il est (il nous le montre à travers ses commentaires pour la plupart assez tristes), il n'a fait que souffrir tout au long des chapitres abordés. La «Cité du bonheur» est bien loin derrière, enfouie dans la nostalgie douloureuse et dans «les squelettes du rond à béton». «L'eau claire, les jardins, les herbes folles, la joie, les roses du laurier? Ne sont plus que souvenirs, dans la besace de l'oubli?».

Tout au long des pages, il broie du noir. Mais, il est tout de même arrivé à ne pas nous communiquer le désappointement. Car, il nous a fourni tant et tant d'informations, d'évènements et de noms historiques sur cette merveilleuse et, malgré tout, encore enchanteresse ville du pays ? d'ailleurs toujours assez demandée par les touristes nationaux et étrangers - que nous en oublions les côtés sombres créés par l'avidité et l'inconscience de l'homme.

Avis :Comme il a dit lui (le préfacier, Kamel Bouchama), «un ouvrage à lire, à relire et à conserver minutieusement dans sa bibliothèque?».

Un bel exemple à suivre (on a déjà présenté un ouvrage de M'hamsadji sur Sour El Ghozlane) par tous ceux qui aiment ou se souviennent de leur enfance et de leur jeunesse en des lieux pour beaucoup bel et bien disparus? et qui étaient (tout regard dans le rétroviseur mis à part) des bouts de «Cité du bonheur». Nostalgie ? Une autre réalité encore insaisissable ?

Extraits : «On peut faire nourrir, plus facilement, l'espoir que la désespérance» (p 5), «On dit que mon pays est libre maintenant, qu'on dédie la journée du 18 février à notre mémoire?j'espère qu'il n'y a plus de damnés de la terre comme nous l'étions? sinon pourquoi tant de sacrifices ?» (réflexions post-mortem d'un chahid, p 154), «C'est dans l'adversité que germent les grands desseins» (p 62), «C'est dans la grande douleur que naissent les grandes espérances» (p 193), «Le seul aspect urbanistique que présente la ville se trouve, malheureusement, conservé par le quartier anciennement européen et c'est vexatoire» (p 204).

LE SANG DE LA LIBERTE. Mémoires d'un combattant de l'ALN. Récit historico-monographique de Si Djamel Ahmed Bennai (préfacé par Ali Laib). Dahlab Editions. 291 pages, Alger 2012

A peine âgé de 15 ans et il décide de rejoindre le maquis pour combattre à entrer en contact avec les combattants de la wialya VI?. . Une première fois, il est «refusé» en raison de son jeune âge. Alors, toujours «poussé par l'idée enfantine de jouer au héros», il s'en est allé à s'aventurer, seul, en janvier 57, avec quelques sous en poche, dans la région de Berrouaghia où il réussit à entrer en contact avec les combattants de la wilaya VI?. Cette fois-ci, c'est la bonne. Peu de temps après, il est réaffecté au Sahel (dont il est originaire?de Baba-Ali). La grande aventure va alors commencer. Elle durera jusqu'en octobre 1961, avec de hauts faits de guerre toujours dans les mémoires populaires de l'Algérois ? Il est arrêté à Alger, sur dénonciation, par les «bleus» de Hassène Ghandriche. Torturé, emprisonné? jusqu'en avril 1962. Libéré? Heureux, mais très vite rattrapé, en août-septembre, par les luttes intestines pour le pouvoir (Wilaya 4- Gpra /Armée des frontières).

La grande aventure ? non. Mille et une aventures (et mésaventures). Des lieux, des faits, des noms, des prénoms, des surnoms (parfois incroyables), des prouesses, des exploits, des joies et des rires, comme des erreurs, des faiblesses, des peurs, des souffrances, des lâchetés, des «mauvais tours » et des trahisons aussi? La lutte de libération nationale vécue presque au jour le jour. Avec des hommes et des femmes dont vous ne connaissez, aujourd'hui, le nom qu'en lisant une (souvent bien laide et incomplète) plaque signalétique de rue? mais pas leurs exploits

Avis : Un livre à lire. Ne pas se décourager en raison des détails nombreux fournis?et, surtout, ne pas croire que l'auteur est narcissique. En fait, il ne fait que remettre les pendules à l'heure et chacun à sa place?en fonction de ce qu'il a effectivement fait et de ce qu'il a été. Et, pour la lutte de libération nationale, bien des récits (de ce genre) sont encore à écrire. Feu Mohamed Teguia, durant les années 70, avait ouvert la voie avec un livre «L'Aln en wilaya IV», mais il n?avait pas été beaucoup suivi, l' «histoire événementielle» étant alors (toujours ?) bannie. A cause de ses «vérités», bien souvent démythifiantes?

Extraits : «Au début des années 1955 et 1956 (?), la plupart des Algériens refusaient de croire qu'une poignée de moudjahidine, armés de fusils de chasse et de vieux pistolets, pouvaient mener une lutte armée contre la quatrième puissance militaire du monde» (p 12), «Il ne faut pas croire que tous les Algériens étaient du côté de la révolution, très rares sont en réalité ceux qui acceptaient de nous recevoir chez eux car il y avait des traîtres prêts à nous dénoncer. Il en est qui adoptaient une certaine neutralité à notre égard. Il y a aussi ceux qui acceptent de payer leur cotisation et qui nous disent de loin, «Dieu vous aidera à vaincre».

 Enfin, il y avait une minorité qui était dévouée corps et âme à notre cause?» (p 62), «Contrairement à ce qu'ont l'habitude de montrer les réalisateurs de films de la télévision algérienne sur la vie dans les maquis, c'est-à-dire des moudjahidine à la mine patibulaire, au comportement rigide, grave et austère, et qui ne sourient presque jamais, nous étions la plupart du temps décontractés, faisant des farces de temps à autre, et menant le combat dans la plus grande sérénité «(p 74).