Et
si tous ceux qui ont été tués, pour une raison ou une autre, reve naient, dans un mois, demander pourquoi et exiger
réparation ? La liste des mécontents post-mortem serait aussi longue que celle
des demandeurs d'un toit social et aussi hétéroclite que celle des victimes de
l'Administration. Numéro de matricule sur le revers du pyjama, acte de décès
dans une main et un dossier de recours sous le bras, ils défileront dans les
rues de l'indépendance pour aller protester et faire comme tous, les cortèges
de la colère. Un défilé de morts-vivants tout droit sorti des fils gores de
série B, traînant les pieds, se balançant comme des automates en criant justice.
Les matraques resteront dans leur fourreau faute de manifestants en chair à
bastonner et aucun cordon de sécurité ne serait capable d'empêcher des esprits
de vagabonder en direction, fusse-t-elle de la présidence. Parmi la foule des
insurgés, des têtes de mort connues et d'autres anonymes, battant la cadence, semant
l'effroi parmi les étages supérieurs de l'Algérie, mais tous ont en commun ce
décès prématuré, ce poignard toujours planté entre les deux omoplates, alors
que leurs noms n'étaient même pas cochés sur le registre de Azraïn.
Les boutiques baisseront rideaux, les rues se videront et les mosquées
retrouveront leurs clients et le peuple priera pour le salut de son âme. Pendant
ce temps, les actionnaires de l'Algérie d'en haut se feront délivrer des
passeports « spécial hadj », pour parer à toute éventualité. Dehors, le cortège
funèbre continuera à sillonner les rues. Certains reconnaîtront Amirouche, le livre de Saïd Sadi
ouvert dans son dos. A ses côtés, Abane Ramdane, son avis de décès publié dans El Moudjahid. Boudiaf
reconnaissable parmi des millions, marche en tête des révoltés des cimetières. Un
V brandi en l'air, il n'a toujours pas trouvé de réponse à son fameux « Où va
l'Algérie ? ». Un peu plus en retrait, quelques ministres morts tragiquement, qui
sur les routes de l'indépendance, qui poignardés dans le cœur. Des grades
envoyés prématurément à une éternelle retraite. Des qamis,
tapis de prière sous le bras, et des prostituées lapidées à coups de fetwa. Beaucoup de suicidés, facilement identifiables à
cause de la corde au cou, sont également là pour crier justice et demander que
les responsables de leur trépas soient déférés devant les tribunaux. Des femmes
et des enfants de tout âge suivent, tête basse la procession. Ils ont fait le
voyage des lointains cimetières de Relizane, Raïs et Bentelha pour savoir. Simplement savoir. L'odeur du poisson
était également présente, annonçant le passage des harraga,
tombés dans le champ d'honneur en pleine Méditerranée. La foule grandissait à
chaque minute, et à chaque minute des banderoles apparaissaient au-dessus des
crânes. Les revendications sont sociales, politiques, religieuses, appelant
tout bonnement à ce que justice soit rendue dans ce monde, avant l'autre.