Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les comptes du carême

par Ali Brahimi

A la veille du carême, la majorité de la population algérienne ne cesse de faire des calculs dans le but d'affronter les exigences d'un marché piètrement régulé au plan des prix ne s'arrêtant pas de s'envoler, durant ces récentes années, malgré les moyens mis en œuvre afin de les stopper ou du moins d'atténuer leurs effets de plus en plus insupportablespour la plupart des foyers préoccupés autour de nombreux et onéreux menus.

Tandis que d'autres peuples arabes sont en train de s'affairer davantage, nous semble-t-il, autour des profondes causes de la mauvaise gestion de leurs richesses, notamment agricoles, insuffisamment valorisées dans l'ensemble du monde arabe, liées à leurs multiples besoins d'existence et, en conséquence, se retrouvent incités à rechercher les voies et moyens en vue de fournir les efforts nécessaires, en vue d'améliorer leur niveau de vie en général et revendiquer instamment des réformes de la gouvernance de leur situation actuelle nullement brillante et, surtout, celle d'avenir dans un monde de plus en plus multipolaire et constamment changeant, voire extrémiste au plan de l'exclusion et le rejet de l'autre pour ses idées ou sa religion.

A ce propos, depuis le début de l'année 2011 perçue, à juste titre, comme l'an I d'une fantastique révolution des mentalités dans le monde arabe, des élites de jeunes générations, profondément révoltées contre l'exclusion, l'injustice et le despotisme sans compter la dilapidation des richesses intergénérationnelles, ont décidé à changer de chemin emprunté depuis un demi-siècle ayant mené les précédentes générations aux impasses sordides malgré tous les moyens qu'elles avaient en main et mis en œuvre pour qu'elles les franchissent. En vain !

Cependant, ce genre de culs-de-sac a énormément secondé ces régimes dictatoriaux décidés, ces derniers temps, d'aller jusqu'au bout de leur processus criminel générant d'impitoyables sévices, voire crimes contre l'humanité et, ce qui est révoltant, voire abject, ils nient effrontément leurs menées meurtrières. En fait, la politique de la carotte et du bâton toujours dissimulé. En effet, la dictature apprécie assassiner en cachette, à l'exemple de celle régnante en Syrie composée d'identiques zombies à la voix gutturale et têtes carrées de la base au sommet de l'Etat, afin qu'elle ne soit dérangée par quiconque. C'est dans ce sens qu'elle brouille, médiatiquement et diplomatiquement, toutes les pistes de ses forfaits. Vainement, puisque rien ne se cache aux temps actuels.

Entre-temps, chez-nous, de nombreux foyers algériens demeurent ainsi obnubilés par les achats des denrées dont une bonne partie parvient de l'extérieur du pays et, de ce fait, les planificateurs et gestionnaires de la rente des hydrocarbures, en plein essor depuis des années, ne se soucieraient nullement et d'aucune sorte de l'avenir économique intergénérationnel de plus en plus problématique. Cela va sans dire que notre sécurité alimentaire, entre autres embarras, se retrouve à la merci de n'importe quelle crise mondiale provoquée par des magnats de la finance internationale aux multiples comptes et transactions commerciales sous contrôle exclusif des groupes de pression, parrainés par des Etats, supervisant tous les marchés internationaux de moins en moins accessibles à bon prix notamment au cours des occasions comme le ramadan, pratiqué par plus de 1,5 milliard de musulmans.

Cette situation reste valable dans l'ensemble de la gouvernance du monde arabe ainsi pris en otage car, à l'évidence, sous dépendance structurelle en la matière et, qu'en plus, les stratèges de chaque pays arabe ne se cassent nullement la tête autour d'une réalisable union politique et économique pertinente afin d'arriver à satisfaire les aspirations profondes des jeunes générations arabes manifestement plus solidaires et ambitieuses que celles précédentes attirées par les grosses magouilles liées aux échanges malhonnêtes pullulant chez tous les pays arabes payant cash sans compter les deniers publics.

Au risque d'hypothéquer les ressources intergénérationnelles, afin de consoler la gloutonnerie des gens d'aujourd'hui percevant dans l'abondance et l'acquisition des victuailles un signe d'aisance socioéconomique, voire culturelle qui, elle, serait, nous semble-t-il, liée plutôt à la manière de se comporter et du savoir-vivre, au seul profit de l'esprit, que nos ancêtres foncièrement économes ont su préserver des excès tant au plan de la boulimie alimentaire, représentant actuellement plus de 60 % du budget des ménages, que celui des loisirs qu'ils passaient à l'air libre, aujourd'hui de plus en plus confinés du fait que les régimes dictatoriaux craignent les espaces non cloîtrés qui, en revanche, sont recherchés par les nouvelles générations tunisiennes, égyptiennes, yéménites, libyennes, syriennes, marocaines? Et la liste s'allongerait dans les toutes prochaines années.

Donc, seule l'union, des efforts d'une génération courageuse et imaginative seraient parmi les voies salutaires, voire l'unique issue, si ce n'est pas à son avantage alors ce serait au profit des générations futures. Certes, ce chemin n'est pas aisé à emprunter notamment pour les générations s'engouffrant dans la vie facile et le gaspillage au lieu qu'elles optent en la faveur des vertus du labeur et la dignité y compris au prix de se contenter du minimum, en termes de revenus et d'alimentation, mais réconfortées, en revanche, par l'aisance morale et la générosité. Actuellement, l'arrogance et la mine renfrognée des gens de plus en plus nombreux, chez nous, ont bouleversé toutes les qualités humaines. Ce sont, justement, ces vertus que les révolutions arabes comptent restaurer, d'après leurs slogans, dans le sens de l'Histoire et celui de l'évolution des peuples du monde.

A propos de qualités humaines, il nous a semblé utile de reprendre un fragment réactualisé de notre article, intitulé « la chorba de la dignité », paru au Quotidien d'Oran du 04 septembre 2008. Nous estimons qu'il est d'actualité brûlante malgré le relatif décalage, dans le temps, entre les contextes. Nous citons :

« Dans les années 1970, dans notre patelin, un brave homme qui exerçait le métier d'artisan peintre polyvalent, qui lui rapportait beaucoup d'argent et, puisque gourmand butineur, ne lésinait nullement afin de satisfaire ses envies ramadenesques. Il achetait, à tours de bras, toutes sortes de victuailles : viandes ovine, bovine, volailles, abats, des régals et desserts variés, etc. Le montait des achats dépassait souvent les 500 DA/jour de l'époque.

Avant la rupture du jeûne, il mettait sa gandoura, s'asseyait à même le tapis en face de sa moitié (il n'avait pas d'enfants) et scrutait la table agrémentée d'un nombre important de mets. Juste après la prière du Maghreb (crépuscule)), il prend quelques dattes, qu'il effectuait à la va-vite, ensuite il boit un peu de café moulu à la maison ; peu après, il avalait d'abord la chorba accompagnée d'une grosse galette fermentée (matlouâ), à base de semoule de bon blé dur, rassasiant sa faim ; ensuite, il buvait beaucoup d'eau de gnouna (pot tissé en alfa et enduit de goudron végétal) rafraîchie dans une outre parfumée de poudre de tan d'écorce de vieux genévrier et du goudron végétal stimulant, en principe, l'appétit et le bien-être.. Enfin, sans grande conviction, il faisait du butinage autour des autres plats.

Au moment de la prière superfétatoire qu'il effectuait dans la mosquée du quartier, il ne cessait de ruminer les frais de la journée. Il disait à lui-même : que j'achète des aliments à raison de 500 DA ou 100 DA par jour, je ne mange en fin de compte qu'une matlouâ et la chorba. Et le lendemain, rebelote, accompagné cette fois-ci des voisins démunis. Après le ftour, il ne manquait pas d'égayer leurs enfants par ses pitreries. Ses convives ne se sentaient nullement gênés. Cette ambiance de convivialité se répétait à chaque ramadan jusqu'à la disparition de ce brave homme ». Fin de citation.

Aux temps actuels, des progrès considérables ont été réalisés dans tous les domaines, sauf dans ceux liés à la mansuétude et l'humanisme. En effet, et tout le monde en parle, la charité et le sens du devoir solidaire, auprès de ceux qui en ont besoin, sont devenus des tâches impossibles à réaliser. A ce propos, en Somalie, face à une guerre civile atroce, et dans l'ensemble de la Corne d'Afrique, des millions d'êtres humains endurent les affres de la famine provoquant chaque jour l'errance des millions de personnes, notamment les enfants, dans des contrées non moins désertiques et invivables.

Cette semaine, le ministre français de l'Agriculture avait déclaré pathétiquement : « Comment rester insensible devant un enfant qui se meurt et vous implore de lui donner quelque chose à manger pour qu'il survive ». En effet, personne ne pourrait supporter le regard d'un enfant qui a faim. Il a raison. Aucun. Un programme d'aide alimentaire d'urgence, d'un montant de 500 millions de dollars, a-t-on promis comme d'habitude, est enclenché par la Banque mondiale et la FAO devenue un pompier d'occasions et non un organisme capable de remplir sa mission fondamentale du fait, argue-t-elle maintes fois, des moyens financiers insuffisants mis à sa disposition, avec cependant tous les risques de leur non utilisation par la communauté internationale de moins en moins sensible vis-à-vis de la souffrance des démunis. Donc, pour le moment, ce programme parviendra-t-il à venir à bout d'une des calamiteuses famines de ces dernières décennies ?

A titre de comparaison, des absurdités dont seul un conclave africain est capable de générer, un autre sujet d'actualité mérite d'être relaté. Récemment, une réunion de l'Unité Africaine, entre autres coquilles vides y compris la ligue arabe, s'était tenue au Cap Vert. Le sujet phare qui a polarisé l'attention des participants est : Comment sauver la tête de l'un des dictateurs le plus ancien et extravagant du continent. Alors qu'entre-temps, des centaines de bébés trépassent chaque jour, voire chaque heure en Somalie, pays africain et arabo-musulman de surcroît. Aucune recommandation pertinente et palpable de leur part. Tandis que les participants, à la réunion de ladite UA, ont même envoyé, en urgence, dans la région, des chefs d'Etat chargés de mettre en place un processus de règlement de la crise en libye. Ils ont prié leur collègue de daigner d'examiner le compromis qui lui est proposé.

En vain, le guide libyen avait haussé, sciemment avec arrogance, de plusieurs crans la barre de l'arrangement, notamment après le verdict du fameux tribunal international des crimes contre l'humanité. Il avait même affirmé qu'il irait jusqu'au bout du compte. C'est-à-dire le sacrifice suprême. Il a l'habitude de blaguer et de manipuler, puisqu'il est programmé tout autrement que ceux qui agissant et font des sacrifices jusqu'à qu'ils tombent au champ d'honneur. La preuve, cette semaine, pris en tenaille de tous les côtés, il semble avoir changé ses calculs. Alors, pourquoi tout cet entêtement et des milliers de morts, des dizaines de milliers de familles traumatisées à vie, de déplacées... ? Quoiqu'il advienne, la réponse appartiendrait à l'Histoire.

Pour le moment, espérons que le monde arabe fêtera la rupture du carême sans désagréments ni humiliations du genre le défunt Saddam Hussein. Il se pourrait bien aussi qu'ils laisseront le guide libyen, éloigné de toutes activités politiques, vivre en Libye. Cette semaine, des pourparlers vont bon train dans ce sens. L'exemple de l'Irak est encore vivace dans les esprits, argue-t-on, les stratèges en carences d'inspiration et d'imagination au profit des peuples humiliés et offensés par des dictatures, et d'ailleurs il vaut mieux, ont l'air de penser ceux qui ont tiré les leçons du bourbier irakien, garder un épouvantail en réserve à toutes fins utiles. A moins qu'il existe d'autres comptes pendant le ramadan et après? Dans tous les cas de figure, la Libye et tout le monde arabe sont dans l'œil du cyclone !!!