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Le moins bon, la bonne brute et le grand truand

par El Yazid Dib

Il ne reste pour comprendre certaines choses que les détours de l'esprit, voire la fiction. La réalité est tellement confuse que l'analyse ou la simple lecture des faits et des évènements qui se succèdent devient possible grâce à la métaphore. Voyons !

Les Etats-Unis d'Amérique semblent décidés à surpasser la fiction qui faisait des biceps bronzés et de bronze qu'arborait gaillardement Sylver Stalone dans ses pirouettes en pleine brousse du Vietnam où le miracle des effets spéciaux l'encourage à se cambrer. Torse nu, sale et cheveux bandés, il se lance téméraire et intrépide à pourchasser les méchants et les odieux. A l'image identique de ses présidents. Hors de l'espace de la Métro Golden Mayer, où le lion rugit toujours sans qu'au fil des siècles, ne devint aphone, Rambo est parti courir sur les monts du Hindù Kùch et les crêtes du Paropamisus ; ces montagnes de l'Afghanistan qui adorant Dieu, altières, flirtent avec les cieux. Il a osé sans rougir à s'aventurer dans un nouvel épisode à partir combattre à Bagdad les méchants et les ogres munis d'armes de destruction massive ? Il va partir maintenant un peu partout tant que le jeu s'est avéré trop amusant. Bardé d'engins mobiles, de FM et de cartouchières, il était une bombe humaine.

 Sa poitrine dénudée lui servait de gilet pare-balles, lui l'invincible, le héros qui ne meurt jamais à la fin. Il ne fait que courir à la vue du danger. Il n'était pas de la génération de ces acteurs qui n'apprécient guère leur remplacement par des cascadeurs dans les scènes dangereuses et meurtrières. Bien au contraire, ils consentaient à tourner les actions de la mort, la leur en direct. Rambo n'avait pas ce courage suicidaire et martyr. Ben Laden, à le voir homme chétif qu'il fut, n'aurait pu avoir un nom aussi médiatisé et qui faisait trembler une partie du monde sinon tout le monde, si ce n'est par une grâce divine ou une grâce quelconque. Saddam, l'homme pour qui la démocratie était une déviation occidentale, aurait pu être à la limite un agent cambiste attentif dans le brouhaha du NYSE. Il pouvait se mettre sous le kaftan d'un émir play-boy tenant en ses doigts de fée un éventail en or et allongé sur un hamac cousu de pétrodollars en sirotant paisiblement un diabolo menthe. Kadhafi, il y a un temps, était vu sous la forme d'un farfelu excentrique, narcissique et baroque.

 L'on n'y voyait guère ou l'on feignait de le faire, en lui, l'âme d'un dictateur zélé ou un autocrate antipopulaire. On le laissait faire dans ses bizarreries biscornues. Le conseil de transition de Benghazi n'avait aucune matrice embryonnaire politique. Mais quand on veut une opposition, on la crée. Les Etats-Unis sont capables de tout. Comme une greffe de peau, on utilise les mêmes tissus poreux et épidermiques pour colmater une brèche ou remplir un déficit charnel. Bechar le Syrien n'a pu échapper au rouleau compresseur du cinéma américain. Le grand Cham est une très belle scène, avec toute la dimension historique qu'elle représente pour tous les musulmans. Sunnites, chiites et autres. La religion dans cette contrée n'est pas un banal jouet sentimental. On ne joue pas avec le feu.    

Voyez-vous enfin, la Tunisie et l'Egypte sont vite mises sous la pression religieuse. Elle sommeillait, tacite et endormie dans les pores d'une fausse société paraissant au monde comme ouverte et socialement diverse et multiple. Leurs révolutions risqueraient de perdre tout repère génésiaque tendant vers la reconquête de la liberté, de la démocratie et de l'exercice des droits politiques. Le sens révolutionnaire greffant l'immense révolte serait à peine de reconscience populaire, récupéré au profit d'une secte ou d'un esprit davantage suranné, car loin de l'aspiration démocratique et libertaire. Comme Rocky, d'ailleurs, un simple bagarreur de street aurait pu être un studieux élève dans une medersa salafiste de Hérat ou de Kandahar.          Voilà, la vie de chacun est ainsi et différemment faite. Cette différence se met dans un relief de cœur et de foi. Ni Rocky ni Rambo, ces mastodontes de chair, ne peuvent atteindre le « maquis » spirituel dans lequel baignent tous les Ben Laden et les quelque Saddam qui restent en les personnes frêles et breloques de Kadhafi et consorts. Le kamikaze d'Oslo n'a pas usé ses culottes sur les bancs d'une école coranique à Islamabad ou dans un camp d'entraînement à Peshawar.  Il justifie son attentat par une antinomie à l'islam. Donc il est l'antithèse de Ben Laden, mais utilise les mêmes moyens d'expression. La bombe, la fumée et les effets spéciaux.

C'est toute l'accumulation de l'histoire régionale qui se trouve derrière le façonnage de l'actualité vécue récemment. Voulant exercer une contre-offensive à l'égard de l'élan communiste alors déferlant dans la région et apeurés par le sentiment épidémiologique, les scientistes américains créèrent un personnage destructeur de l'émoi et de l'effroi russo-collectiviste et semèrent les grains de la révolte dans un cœur qui n'attendait que cela.           Ils trouvèrent la personne de Ben Laden et de Saddam et en firent une star à l'apogée des héros de la glorification des libertés dans un film dont le rôle dans cette histoire ne peut être incarné par un Rambo ou un Rocky sans foi, ni un Gringo sans loi. Le plateau n'était pas fictif et les combattants ou moudjahidine n'étaient pas des figurants. Les actions se passaient de metteur en scène et se passaient au réel, le sang coulaient de veines authentiques et vraies ; les caméras dans ce cas se transformaient en relais télévisuels, informatifs et communicatifs. Le producteur sent que les dividendes engrangés par cette réalisation qu'il voulait technicolor, lui échapper à jamais.

Oussama Ben Laden ne jouait pas. Ni d'ailleurs le chef de Bagdad, celui de Tripoli, de Damas, de Sanaa ou de Ryad. La vie ne connaît point le danger au sens humain, ils n'ont de ce danger qu'un sens animal de survie, suite aux faits d'être traqués, poursuivis, recherchés ou honnis et hués. Ils savent que leurs corps n'abritaient plus à eux seuls le projet qu'ils portaient pour l'avoir téléchargé dans chaque corps arabe et musulman.

Qu'ils meurent, qu'ils crèvent, alors le projet non seulement demeurera intact mais s'aiguisera et constituera éternellement, selon la tendance, si c'en est le cas, une menace au monde méchant, monovisionnaire, agnostique et mécréant. La preuve, la mort de Saddam n'a pu apporter cette quiétude tant voulue et claironnée par la Maison-Blanche. Ni ses adversaires ni ses bourreaux n'ont eu le privilège d'avoir le courage qu'ils voyaient en leur victime. En fait, sa condamnation à mort fut une condamnation à vie. Tant qu'ils lui ont fait réussir la préséance de mourir pour revivre en martyr. Voir une corde à bout portant, savoir qu'elle est destinée pour sa nuque, refuser la camisole pour mieux apprécier sa fin, mettre volontairement ses pieds sur une trappe, le tout sans rechigner, sans aucun tic de gêne, ni de froisse ni de trouille, n'était-ce-pas une sérénité divine ? Il en est de même de la mort de Ben Laden. Celle-ci n'a pu empêcher la continuation des atrocités subies là et ailleurs. L'AQMI se trouve le meilleur gage de l'héritage mortifère qu'aurait laissé comme legs à l'humanité ce sinistre personnage. Une autre espèce de Rambo adorant un autre Dieu que celui du premier et s'abreuvant d'autres bréviaires.

Monsieur Edouard Balladur, ex-Premier ministre français, disait, en 2007, « qu'avec la disparition de Ben Laden, les Américains ne doivent pas croire qu'ils mettront fin au terrorisme ». M. Balladur, qui n'est pas un scénariste hollywoodien, a dû apprécier la carrure « vedettariale » et politique de ce protagoniste qui « terrorise » les puissances nucléaires. Il a dû lire et méditer, comme l'a fait Oussama, ces vers écrits par un poète du Xe siècle sur la terre qui l'accueille actuellement :

La colère des hommes dessèche les nuages

La colère des cœurs ruine les mondes

Détourner la tête des passions

C'est le propre des princes

Y renoncer c'est la force du prophétisme.

Contrairement à un Obama perdu dans les brousses de ses origines, Buch comme Reagan avaient tous un penchant vers le grand écran, ils voulaient tout en grand.  Une grande puissance, une grande guerre et un grand ennemi. Le grand écran est rempli outre par la CNN, mais aussi par les autres chaînes enchaînées à CNN. Pour la grande puissance, le grand ennemi ce n'est pas Ben Laden mais ce qui symbolise l'amour des masses envers cet homme à la kalachnikov. Entre les trois hommes, il ne peut y exister qu'une différence dans le calibre des armes.

Le courage de l'un est perceptible patent et réel, celui des deux autres n'est que fabuleux, fictif et imaginaire. L'un puise sa raison de la raison, les deux autres la puisent ailleurs que dans la raison. Néanmoins, ce ne sont après tout que des hommes? En dehors de toute vision politique, ils sont naturellement égaux.

Sur un autre registre qui ne fait qu'annoncer l'imminence d'une guerre, il est évident que le dessein outre-Atlantique, biaisé cette fois-ci par « la vieille Europe », la Russie, la Chine, en somme par le reste du monde, ne peut se laisser sans issue de secours honorable. La négation proférée par Blix, quant à la certitude d'existence en Irak de potentialités chimiques et nucléaires, n'avait rien pour amoindrir la hargne sûre et franchement déterminée, pour les USA, à mener cette guerre qui par ailleurs n'obéissait, selon les peuples du monde (manifestation populaire à l'appui), qu'au maintien de la domination, la recherche d'une réorganisation stratégique régionale, le pétrole et la protection de l'Etat hébreu. Si en ces années-là, la reconfiguration du Proche-Orient devait se faire par le truchement d'une guerre contre l'Afghanistan et l'Irak, son parachèvement pour l'idéal du Grand Moyen-Orient doit se faire par l'agencement de révolutions. Le Maghreb est ainsi pris pour un appendice de cette mystérieuse notion géostratégique qu'est le GMO.

 Pour une fois dans l'histoire des institutions internationales, un cas semble venir gêner l'harmonie de la domination américaine. La guerre froide était une autre vision de la supériorité des Etats. Elle s'exprimait par des menaces justement chimiques et nucléaires, au vu et au su de tout le monde. Le « partage de Yalta » n'en défaisait pas. La force en ces temps-là se justifiait par la propagation idéologique pour chacun des blocs, dans un but d'autoritarisme politique ou d'intérêt fondamentalement économique. Le profit dans son sens mercantile ou collectiviste se développait militairement dans les camps de l'OTAN ou dans les bases du pacte de Varsovie. Maintenant, les forces du pacte atlantique opèrent en toute sûreté. La Lybie, pour eux, n'est qu'une jonction territoriale, considérée comme un trait d'union spatial entre les deux extrémités de ce monde arabe qui n'existe plus.

Avec plus de 10%, vers les années 1970, des réserves d'hydrocarbure de la planète, le développement économique permis par la rente pétrolière faisait apparaître l'Irak comme un modèle de croissance dans le monde. Aussitôt sa propension vers l'essor technologique devenait pour l'Occident une menace qu'il ne fallait pas laisser en sourdine. L?aide de l'URSS à l'époque fut déterminante. Mais la géostratégie, imaginée après la fin non moins bruyante de la guerre froide, retenait toujours comme menace les « maîtres de Bagdad ». L'invasion du Koweït fut décisive dans la phase de la mise en place du mécanisme d'agenouillement de l'Irak. Le respect des droits de l'homme, l'ouverture à la démocratie ne restaient pas en marge des hautes motivations à toute offense.

Le peuple n'est jamais l'expression unitaire de son chef. L'inverse est aussi vrai. Certes, en Irak, tout est encore étouffé. Meurtri. Banni. Le pays, à l'instar d'autres, devrait vivre sa mue. Les « pseudo-dictatures » sont pires que la dictature claire, nette et affichée. Il a besoin de plus d'ouverture dans le champ politique, d'une opposition qui s'assume et surtout d'alternative au pouvoir. Depuis 1979, date de retrait du général El Bakr, l'ancienne Mésopotamie, berceau de toutes les civilisations du Moyen-Orient, n'a pas connu, sous une liberté quelconque, l'air de la loyauté dans la lutte politique interne sans heurt, sans bannissement et sans fusillade collective. C'est le propre des régimes arabes, me dira-t-on !

Autant admettre pour la communauté internationale de reconvertir la notion de pétrole contre nourriture en levée d'embargo contre liberté et démocratie. L'Afghanistan est en reste de la symbiose mondiale. Les talibans l'ont réduit en un simple terrain de combat sans nulle vision futuriste apte à le faire rallier au convoi de la modernisation même sous un angle de zaouïa.        L'Irak aussi. Mais aussi, en attendant d'autres, la Libye, le Yémen et la Syrie suivent les pas trépassant de l'hégémonie américaine.      Cette zone, après celle où la guerre froide se passait dans les officines et les grandes métropoles, est devenue et va davantage l'être un « studio » aux vrais décors pour le tournage réaliste d'un feuilleton incessant. Enfin tout, sauf ceux qui meurent, qui souffrent, que l'on affame et qui patientent, n'est que mise en scène d'une tragédie dont le rôle des acteurs demeure dangereusement partagé entre le moins bon, la bonne brute et le grand truand. La comédie, hélas, est loin d'être uniquement derrière des caméras, elle se vit comme un drame à armes réelles, sur un terrain aussi réel avec des figurants, vrais, authentiques, humains et vivants.