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TUNIS-ALGER, DES TRANSITIONS ET DES ACTEURS

par K. Selim

« Le monde fête avec la Tunisie sa Constitution» ! Certains sites d'information tunisiens ont vu de la grandiloquence dans la proclamation publiée sur la page Facebook de la présidence de la République tunisienne. Pourtant au-delà du persiflage des journalistes, qui est un bon signe d'une volonté d'exercer pleinement ses libertés, la Tunisie a bien vécu, hier, une journée historique. Celle d'une Constitution âprement négociée durant plus de deux années de débats difficiles avec de forts moments de doute et de crainte d'un basculement vers l'irrémédiable.

Hier, plusieurs chefs d'Etat étrangers sont venus participer à une cérémonie symbolique qui marque bien l'entrée dans une nouvelle ère. Ces moments sont historiques car les Tunisiens viennent de créer, à défaut d'un modèle de transition, un «précédent démocratique» dans le monde arabe qui, il faut l'espérer, aura un effet vertueux. Le plus frappant pour celui qui se trouve en Tunisie - comme l'auteur de ces lignes - est de constater que tous les acteurs qui se sont vigoureusement opposés durant ces deux dernières années ont le «sentiment» d'avoir gagné avec la nouvelle Constitution. Quelle meilleure base de départ qu'un sentiment d'avoir bien négocié un texte qui engage l'avenir. Il faudra, bien entendu, se battre avec le même entrain pour qu'il soit scrupuleusement appliqué.

Les Tunisiens ont choisi le chemin le plus sûr, ce qui ne veut pas dire le plus facile, pour sortir d'un système dictatorial et se donner un avenir de citoyens libres. Ils ont négocié. Sans s'aveugler sur ce qui se passe dans les autres pays arabes avec les déconfitures des processus de transition. Et le retour, arrogant avec l'applaudissement des «élites», de la dictature en Egypte. Les islamistes tunisiens qui appréhendaient, déjà, de revivre un échec du processus démocratique en Algérie dans les années 90, ne pouvaient pas ne pas tirer de leçon de la catastrophe égyptienne. Ils ont choisi, peu importe que cela soit par conviction ou par nécessité, de ne pas imposer leur modèle présumé mais de défendre un dénominateur démocratique commun. L'histoire montrera, par la suite, que les velléités qui se sont exprimées publiquement de dresser prématurément un acte de décès de la transition et du dialogue national, auront eu un effet accélérateur. Chacun s'est soudain mis dans la posture, on ne peut plus positive, de démentir l'échec de la transition.

Le texte négocié de la Constitution est bien un produit commun où les acteurs ont le sentiment d'avoir joué gagnant-gagnant. La plus grande réussite a été de réduire, au maximum, la part des acteurs de l'ombre. On sait, en Tunisie, qui a négocié et avec qui et sur quoi. Les tireurs de ficelles cachés auront de moins en moins de possibilité de manœuvrer dès lors qu'on instaure un jeu politique institutionnel transparent. Il est difficile de ne pas comparer entre la transparence du jeu politique tunisien - et qui le deviendra encore davantage avec la mise en place d'institutions pérennes - et l'opacité algérienne. La scène politique tunisienne est lisible et on sait que ce seront les citoyens tunisiens qui vont, dans les prochains mois, arbitrer entre les acteurs et décider du poids de chacun. Ils fonctionnent selon des «règles». Or, comme l'a lancé un jour feu Abdelhamid Mehri, depuis le «Congrès de la Soummam» l'Algérie a un «problème de règles». La Tunisie est en train de donner l'exemple d'une transition qui réussit. L'Algérie n'en finit pas de transmettre les signaux cliniques de l'échec d'une transition entamée en 1988? qui s'est terminée, dans la violence, par la restauration d'un vieux système inopérant. Et qui est toujours là, avec des acteurs cachés qui ne cherchent pas à changer le système mais à le reproduire à leur seul profit.