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Interview de Amar Saadani : les messages venus d'ailleurs !

par Radji Chaker

Dans la vie des peuples, il y a toujours des moments qui restent à jamais gravés dans la mémoire des hommes. Ce sont les moments qui servent de jalons à des générations entières. C'est ce qui sert généralement de grands repères pour les hommes mais aussi pour l'Histoire.

Ce que vit l'Algérie à l'occasion des prochaines élections n'a finalement pas beaucoup de choses à avoir avec les élections elles-mêmes. Les Algériens ont eu tout le temps de le comprendre et ils ont tout le loisir de temps de lier les évènements les uns aux autres. La rumeur a beau changer les choses et la désinformation a beau déformer les signaux, nous constatons au fil des jours que quelque chose d'important, voire de crucial, se passe réellement là-haut. De moment important pour le choix du prochain Président de l'Algérie, les élections d'avril sont devenues, en fait, l'occasion de pousser, au-devant de la scène politique nationale, certaines grandes questions. Ce qui nous confirme cela, c'est la dernière sortie de Saidani dans l'interview qu'il a accordée à un confrère de la presse électronique algérienne (TSA) et mise en ligne le lundi 3/2/2014. Une interview qu'il est difficile encore de classer tant on ne sait pas s'il s'agit d'une secousse à haute magnitude ou s'il est question d'une bombe dévastatrice. Dans tous les cas, il ne s'agit pas là d'une simple interview d'un simple chef d'un simple parti politique, dusse-t-il être le FLN. Il y est question de l'Algérie, de son système, de son passé et, bien plus encore, de son avenir. Lecture.

Ne regardons pas l'homme, écoutons ce qu'il dit

Saidani n'a pas la sympathie des algériens. On le sait à travers les écrits de la presse et à travers les réflexions qui inondent les réseaux sociaux à chacune de ses paroles ou de ses apparitions. Et, pour compléter le tableau, on peut ajouter qu'on a même l'impression qu'il le sait bien. De ce côté-ci, il n'y a pas de problème et ce n'est donc pas étonnant que, apprenant les grands contours de son interview de ce lundi, beaucoup de titres de la presse nationale lui « sont tombés dessus ».

On nous dit que, avant de se lancer en politique, il était dans une troupe musicale. « Drebki » disent les uns, « danseur » renchérissent les autres. Une certaine presse lui reproche même d'avoir trempé dans de grandes affaires de corruption ce qui, toujours selon la même presse, lui valut une interdiction de sortie du territoire national. S'agit-il de simples allégations contre un citoyen comme les autres ? Ou bien s'agit-il de faits réels ? Nul n'a jamais vérifié ces informations et, dans le cas de cet homme, il n'est donc pas aisé aux Algériens de dire ce qui est rumeur ni de dire ce qui est réalité.

Mais Saidani était aussi, dans une autre vie, président de l'APN. Il était à la tête des comités de soutien du Président Bouteflika. Après une période de disgrâce, ce qui arrive souvent là-haut, il est revenu propulsé au-devant de la scène politique nationale, un mois d'août 2013 lorsqu'il fut intronisé à la tête du FLN qui, après l'éviction de Belkhadem, restait pendant plusieurs mois sans chef. Cet aspect de l'homme est par contre une réalité puisque documentée et facilement prouvable. Depuis qu'il est à la tête du vieux parti, « le patron du FLN » comme il aime se qualifier lui-même dans l'interview de ce lundi, Saidani est au centre d'un grand nombre de questions. Comme s'il avait l'art de s'arranger toujours pour s'attirer la foudre sur la tête, il ne parle que pour fâcher et ne se tait que pour mettre en colère. On s'en souvient encore de cette bourde lancée à l?égard du Premier Ministre lorsqu'il déclara que Sellal ne s'y connaît pas en politique. On n'a pas oublié ses interférences dans les affaires du gouvernement dont, surtout, celle où il s'autorisa à annoncer la tenue d'un Conseil des ministres contrairement au Premier Ministre qui le disait non programmé. Et l'on a encore présent à l'esprit ces déclarations tonitruantes qu'il tint à une presse étrangère à propos des intentions de Bouteflika et de la portée des décisions portant sur certaines institutions de l'Etat.

Le « ramoneur » de la République ?

A l'observer, l'homme semble être venu, ou plutôt dépêché, avec une mission bien précise. Et l'on a aussi l'impression qu'il se plait dans ce rôle de « ramoneur de la République » qu'il tient, à merveille sommes-nous tentés de préciser. Si nous mettons de côté, un instant, les préjugés et les idées reçues à propos de cet homme pour tenter d'entendre ce qu'il semble dire ou, pour être plus précis, ce qu'il semble rapporter, il ne fait pas de doute que l'on s'aperçoit que certaines de ses déclarations sont de la plus haute importance pour le pays. Ceci mérite au moins que l'on lui prête l'oreille car, après tout, peu importe qui parle s'il dit des choses importantes, n'est-ce pas ?

Il ne fait pas de doute que, dans d'autres pays, les propos de Saidani lui auraient valu une convocation illico presto par les tribunaux car les accusations qu'il porte à l'égard d'une personne et d'une institution, en l'occurrence le DRS et le Général Toufik, sont claires, nettes et sans ambigüité aucune. En plus, les accusations qu'il porte à leur endroit sont de nature à bousculer toutes les institutions et l'ordre établi du pays.

Ce n'est pas la première fois qu'il aborde le sujet puisque, par le passé, il avait clairement signifié que « le DRS devrait sortir de la vie civile » et que les changements intervenus au sein de cette institution visent à « assainir la politique » des interférences des services de sécurité.

Cette fois, il reprend dans le même registre, sur un ton plus agressif en reprochant au Toufik d'avoir échoué dans ses missions et il cite pour étayer cette thèse une série d'évènements. « Ce département, dit-il, avait failli dans la protection et la sécurité du président Mohamed Boudiaf. Il n'a pas su protéger Abdelhak Benhamouda, ni les moines de Tibehirine, ni les bases de pétrole dans le Sud, ni les employés des Nations unies en Algérie, ni le Palais du gouvernement. Cette direction n'a pas su bien protéger le président Bouteflika à Batna où il avait été la cible d'une tentative d'assassinat ». Ensuite, il ajoute, en guise de conclusion, « à mon avis, Toufik aurait dû démissionner après ces échecs ». Toute une liste de griefs et de reproches en guise de bilan dressé du concerné.

Pour chacune de ces accusations, rappelons-le, dans notre pays aussi mais à d'autres époques, il aurait été aussitôt convoqué par le tribunal mais parions que cela ne se passera pas ainsi. Non pas parce que Saidani est à la tête du FLN ou parce qu'il aurait une quelconque puissance là où il est, mais simplement parce que les choses en vont autrement. Plus rien ne ressemble à rien bien que tout semble inchangé. Il y a quelque mois, ce que disait Saidani, ou ceux qui nous envoient des messages par sa bouche, c'était que « Bouteflika veut éloigner le DRS de la vie politique ». Aujourd'hui, quelques mises à le retraite plus tard, ce qu'il dit c'est que « le général Toufik aurait dû démissionner » et, bien sûr, le message est que ce dernier est appelé à faire valoir ses droits à la retraite. La probabilité est désormais grande pour que, avant avril, il serait parti !

Celui qui a choisi de parler par la bouche de Saidani a aussi rappelé que la vie politique a, de tout temps, été minée par la présence des services et il rappelle le cas du FLN, d'Ennahda, du FFS et autres qui auraient selon lui fait les frais de cette présence et cette interférence. Il poursuit, comme pour établir un terrible constat, « dans mon pays, souligne-t-il, le wali, les chefs d'entreprises sont contrôlés par des colonels. Je ne comprends pas pourquoi les téléphones des responsables sont mis sur écoute, alors que seul le juge est en droit d'ordonner ça. Je ferai l'impasse sur les enquêtes d'habilitation, qui empêchent des cadres d'exercer s'ils n'ont pas l'avis favorable du colonel.»

Ces déclarations faites par l'actuel « patron » du FLN n'ont rien de commun ni d'ordinaire, convenons-en ! D'ailleurs, Saaidani et combien même il n'en apprécierait pas la portée réelle sur le devenir du pays, n'a pas manqué d'en évaluer les risques en disant « Je dis par contre que si un mal m'arrive, ce sera l'œuvre de Toufik ».

A bien regarder, cette phrase, telle qu'elle est, est très lourde car elle pointe un doigt accusateur envers un haut cadre de la nation. Mais que signifie-t-elle au juste ? Est-ce Saidani qui, conscient de ce qu'il met sur la table, constate l'importance des risques de représailles dont il pourrait être victime ou bien est-ce, là encore, celui qui parle par la bouche de Saidani qui veut transmettre un des massages les plus importants depuis longtemps ? Bouteflika vient-il nous informer d'un danger quelconque qui menacerait sa personne ?

Pas de quatrième mandat ?

Nous savons que ce n'est ni le rôle, ni la fonction ni le hobby de Saadani que de promouvoir un Etat civil. Or lorsqu'on l'entend dire « Je milite pour la séparation des pouvoirs. Pour un État civil », on ne peut que chercher qui est derrière et l'on n'a pas besoin de chercher longtemps.

Bouteflika aurait-il pris sur lui de changer réellement l'Algérie ? Cette option est désormais envisageable et c'est à travers l'interview de Saidani qu'il aurait, apparemment, préféré nous le faire savoir. Bien sûr dans ce cas, il est aisé de deviner que ce n'est pas le journaliste qui serait allé vers Saidani pour demander l'interview mais que c'est l'intéressé lui-même qui aurait demandé à être « entendu ».

Si tel est le sens du message qu'aurait été chargé de transmettre Saidani, aussi bien au peuple algérien qu'à l'opinion internationale, cela pourrait signifier que Bouteflika ne se présentera pas à un quatrième mandat.

En effet, lutter pour un Etat civil en vue d'écarter les services de sécurité de la vie politique ne peut signifier qu'une chose : la promotion de la liberté de choisir et qui devrait commencer par celle de choisir le nouveau président de la République. Bouteflika serait-il, contrairement à ce que l'on pense ci et là, en train de mettre en place un mécanisme qui permettrait à ce que des urnes sorte réellement celui choisi par le peuple sans interférence de la part de quelques services qui soient ? Rien n'est encore sûr, mais pourquoi pas.

Lorsqu'on a vécu cinquante ans sans aucune liberté de choix à tous les niveaux, il est difficile de croire à la fin d'un tel système. Mais, d'un autre côté ce serait bien, ce serait beau, ce serait même formidable que le dernier coup de Bouteflika serait de ne pas briguer un quatrième mandat et de tout faire pour que l'urne parle enfin chez nous. Cela fait cinquante ans que notre urne est amuïe, qu'elle dit ce qu'on veut d'elle qu'elle dise. Ce serait en tout cas, une manière bien remarquable pour Bouteflika que de sortir du pouvoir, la tête haute.

Reste une question : pourquoi dans ce cas, le premier ministre Sellal sillonne-t-il le pays et se tue-t-il à faire le bilan de Bouteflika ? Si l'on accepte l'hypothèse émise plus haut, les visites de Sellal ne seraient que du leurre, de la diversion pour mener les autres ailleurs que sur le véritable champ de bataille car, convenons-en, là-haut, il s'agit finalement d'un véritable bataille.

Si l'hypothèse d'une non candidature de Bouteflika est correcte, alors on peut le dire dès maintenant, il y aurait dorénavant le 17 avril comme nouveau repère pour les algériens. Il y aura l'Algérie d'avant le 17 avril et celle d'après le 17 avril car, parfois, les évènements peuvent être d'une importance telle qu'ils finissent par avoir la force incroyable de faire infléchir la courbe de l'Histoire. Bien plus, les générations à venir parleront de l'histoire de l'Algérie en précisant l'avant Bouteflika et l'après Bouteflika. Le fera-t-il ? Cela ne tient qu'à lui.