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Pensée unique

par Hadj-Chikh Bouchan

C'est un fait assez exceptionnel pour être souligné. A mon grand étonnement j'ai pu suivre, de bout en bout, un débat civilisé sur une chaine satellitaire. Le thème en était la Syrie. Les opinions divergentes. Aux antipodes les unes des autres. Et pourtant, chaque intervenant écoutait celui qui lui portait la contradiction sans lui sauter à la gorge à peine le début du commencement d'une phrase prononcé. Un affrontement à la loyale.

Un ou deux anathèmes lancés, comme par mégarde ? on ne se refait pas du jour au lendemain ? mais dans l'ensemble (faut-il rendre grâce à l'animateur ?) les opinions articulées avaient le temps d'être exprimées pour les téléspectateurs. Au bout du compte, plusieurs points qui m'avaient échappés dans cette avalanche quotidienne d'infra informations, plusieurs interrogations qui avaient leur place dans la réflexion pour débrider les sources uniques de désinformation, me conduisent aujourd'hui à penser qu'il me faudra me méfier. Il va me falloir chercher partout des points de pixels, les sélectionner un à un, avant de les assembler pour composer mon propre écran de journal.

Ça prendra du temps. Mais ce ne sera pas du temps perdu. Quand le moment viendra, j'aurai la satisfaction de penser que je ne meurt pas totalement idiot, que je ne quitte pas un monde qui sera demeuré un parfait inconnu pour moi.

Que ce ne seront pas seulement les membres des sociétés occultes, Bildenberg, Trilatérale, ou Skulls and Bones - pour ne citer que ces assemblées aux conclusions secrètes, aux orientations qui maitrisent notre avenir, nous qui croyons, naïvement, que nos gouvernements prennent les décisions qui tombent sous le sens - que les membres de ces sociétés, donc, sont les seuls à savoir de quoi ils parlent.

Dans «le promeneur du champ de mars», le réalisateur faisait dire à François Mitterrand qu'il était peut-être le dernier président, homme politique de ce monde, à prendre des décisions politiques. Et que dans les années qui viennent, celles que nous vivons, ce seront les financiers qui prendront le pas. La haute finance soumise au politique, lui faisait-on dire, serait d'un autre temps.

 Il se trompait, oserais-je écrire, de quelques années. Tout indiquait que le sort, le futur de l'Allemagne était déjà scellé, le mur de Berlin tremblait déjà sur ses bases quand il soutenait encore le vieux partage de l'Europe. Ce grand écart de l'histoire ne relevait pas du miracle. Il a bien fallu qu'une organisation s'en chargeât, l'organisât et la mît en route.

Aujourd'hui, ils n'ont pas besoin de lancer des Panzer, des Sherman ou des T-72 dans les champs de bataille pour gagner une guerre et soumettre les peuples. Une simple pression sur la touche d'un clavier d'ordinateur pousse à la ruine des états ou leur permet de survivre. Sous condition. Soumis. Aux ordres. La déconfiture de l'économie indonésienne, il y a quelques années, en est l'illustration. Un financier américain, d'origine hongroise, dit-on, ne fut pas étranger à cette catastrophe qui mit le pays à genoux.

La toute-puissance financière gérant le monde ne relève pas d'une construction de l'esprit. Il n'est pas un seul homme politique, en France, et sans doute ailleurs qui, au cours d'un débat, ne renvoie pas ses interlocuteurs -pour soutenir ses solutions à la crise économique européenne et mondiale - à l'exemple allemand devenu, sans tirer le moindre coup de feu, l'Alpha et l'Omega de la réussite européenne. Ce pays est devenu la puissance, de fait, sur le plan économique et politique européen, elle dont la constitution interdit strictement le déploiement des forces armées hors des limites territoriales. Pourquoi faire, en effet, si la finance et le génie de l'homme font le travail à distance, sans engagement de troupes ?

Démocratie mondiale ? Sans en prendre conscience, les peuples vivent sous le régime du parti unique. C'est le régime de la Corée du Nord en plus sophistiqué. Dites-moi si vous voyez une différence entre Kim Il Sung passant le pouvoir à Kim Jung Il puis Kim Jung Hue, ou et les présidents Bush I passant la main à son rejeton Bush II ? Entre Poutine et Medvedev ? Entre un président social démocrate affiché récemment et un ex-président franchement de droite ? Enfin, les Assad. Enfin, après trois épuisants mandats successifs, la cerise sur ce gâteau, un quatrième qui donne des urticaires ? Le Parti Unique, et la pensée unique, tout comme les mascarades démocratiques, nous les avons importés, successivement. Produit en mains. Qui donc aura la sagesse de se retirer du pouvoir sans finir ses jours en Normandie ?

Les dialogues au sein ou entre les peuples sont coupés. Ou des feux de paille. « Pas en mon nom », disaient les pancartes des protestataires américains contre la guerre en Irak. Manifestations grandioses des Indignés dans toutes les capitales mondiales du nord de l'hémisphère. Qui les a écoutées ?

Pire encore. Dans une usine française, les grévistes, qui tentaient de sceller l'entrée pour protester contre la fermeture du site, ont dû affronter leurs collègues, des non grévistes - encouragés par leur patron, pardon, leurs financiers - contre lesquels ils ont fait le coup-de-poing. Une première dans l'histoire de ce début de XXIème siècle.

En d'autres temps, durant la guerre d'Indochine notamment, il y eut des dockers qui refusèrent de charger des cargos pour dénoncer la guerre et l'exploitation de leurs frères de sang et de sueur. Où sont passés, depuis, les syndicats ?

Où allons-nous ? Vous le savez, vous ? Réfléchissez avec votre voisin, je vous en conjure. Essayez de dialoguer pour comprendre, ensemble, et combattre cette déliquescence des sociétés, de la nature solidaire des hommes. Avant qu'ils ne soient définitivement lobotomisés.

Rien ne l'interdit encore. Si vous n'avez plus les ressorts pour le faire pour vous-mêmes, pensez à le faire au moins pour vos enfants.

ça commence sur le pas de chaque porte. Ou chez soi. Comme lire, méditer et agir comme le suggère l'article paru dans l'édition du 30 janvier du Quotidien d'Oran, sous la signature du professeur Abdelkader Khelil : « Quand le futur agricole reste à construire ». Il nous montre le gouffre du déficit alimentaire qui va devenir abyssal.

Terrifiant monologue qui nous prédit d'être le jouet des géants des produits agricoles si rien n'est fait. Monologue qui donne froid dans le dos.