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La présidentielle doit être portée par un courant et non une ambition

par Reghis Rabah *

Les courants politiques comme les démocrates du RCD ou les islamistes, censés ramener les changements dans le système, en vigueur depuis l'indépendance, appellent au boycott des élections d'avril 2014. Après analyse de la situation, seraient-ils arrivés à la conclusion que le champ politique est fermé et quel que soit le candidat qui y participe, il ne représente que lui-même ou perpétuera ce qui existe déjà? Que constatons-nous sur le terrain ? Selon le ministre de l'Intérieur, près de 85 formulaires de candidature ont été retirés. Parmi cette inflation de candidats, il y a des cadres d'entreprises, des commerçants, des médecins, des anciens militaires, des avocats, etc. Nombreux parmi eux donnent l'impression de participer soit pour forger une expérience soit pour acquérir une popularité. Plus la présidentielle prend cette tournure, plus on crédibilise, au sein de la masse populaire, le quatrième mandat. Les citoyens sensés penseront qu'il est préférable de continuer avec un système qu'on connaît que de s'aventurer avec des candidats virtuels. Désormais, les états majors des candidats approchés semblent prendre le programme d'un futur président comme une simple feuille de route quinquennale. Très peu d'entre eux s'apprêtent à débattre sur les grandes questions stratégiques comme la tendance démographique de l'Algérie, l'alternative aux hydrocarbures, la transition énergétique, la politique industrielle, de l'emploi, de l'habitat, du tourisme, etc. Mais tous et sans exception croient que l'aisance financière permettrait de diversifier l'économie nationale et de remettre les gens au travail pour un réel décollage économique qui n'a pas pu avoir lieu jusqu'à présent. Or, cette approche n'est pas évidente pour, au moins, deux raisons :

S'ils comptent sur le partenariat hors hydrocarbures avec des étrangers, le capital international a montré son fort attachement à son but même et qui consiste à maximiser le profit. Les entreprises étrangères n'investissent que dans les secteurs à forte croissance pour la partager avec les Algériens. Elles ne laisseront rien en contrepartie. Même si les chiffres avancés, ici et là, restent discutables, ces entreprises ont transféré plus qu'elles ont investi. Ceci vient de la déclaration du président sortant, lui-même, lors de son discours en juillet 2008 et qu'il faudrait prendre comme une consigne.

- La diversification est, avant tout, un état d'esprit, une forme de capitalisation et d'encrage d'un savoir et d'un savoir-faire, fruits de ce partenariat. Elle dépend, donc, des hommes et des femmes au travail et du développement de leur curiosité et de leur créativité. Or, la réorientation de l'économie nationale, du début des années 80, qui a rendu vains les sacrifices de deux décennies, suivie juste après octobre 88 par le «tripotage» successif du secteur industriel, sans stratégie ni objectifs précis, ont abouti à une importante «entropie » du système social.

Aujourd'hui, on se trouve, désormais, en face d'une population active jeune et pleine d'énergie. Cette énergie est utilisée, ailleurs que dans le sens de l'intérêt général qui devrait coïncider avec celui de la Nation.

Cet Algérien qu'on a rassuré, pendant plus de 35 ans, à qui on a demandé de contribuer pour bâtir une société juste qui lui assurerait salaire, logement et bien-être mais qu'au jour au lendemain, on lui apprend de ne compter que sur lui-même et souvent dans des conditions déloyales, se trouve, malheureusement, face à une stratification sociale complètement «chamboulée». Parti après l'indépendance d'un même niveau, il se retrouve, aujourd'hui, confronté à une classe très riche qui menace l'existence même de l'Etat en qui il a cru. Désorienté et totalement dérouté, il a perdu confiance et semble, avec le temps, contraint d'opter pour l'absence sociale. Le système l'a rendu pas loin de celui que décrit Jean Bothorel (1). Il est un citoyen pur. Il récuse les notions de l'Etat, d'intérêt général, de la morale sociale. Il est, aussi, un citoyen narcisse, c'est-à-dire ne recherche, dans sa citoyenneté que les moyens de satisfaire son plaisir pur, son désir spontané, sans cesse mouvant. Il est de même un égoïste, ne cherchant en permanence, dans le travail, que le plus grand plaisir personnel possible. Il préfère, dès lors, le non travail ou le travail facile voire le gain facile, à toute contrainte aussi légère soit-elle.

Cette situation a abouti à une rupture de confiance entre administrateurs et les administrés. Les déceptions consécutives et la frustration qui en découle ont amené ce citoyen travailleur à ne compter que sur lui-même. On se trouve, en définitive, en présence d'un dialogue de sourds.

Pendant que de nombreux responsables restent, profondément, plongés dans les rêves d'une éventuelle relance économique qui tarde à venir, et d'une pseudo -représentavité entre les principaux acteurs du partenariat social, le climat des affaires pourrit, la corruption et le gain facile sont devenus l'essence même de la démarche économique. La « tchipa » est une pièce maîtresse de tout dossier économique. Aujourd'hui, on ne peut plus traverser un quartier des grandes villes du pays sans tomber sur les bazars de la contrefaçon. La fuite fiscale inquiète les pouvoirs publics. Est-ce là la compétitivité attendue ? La paupérisation gagne du terrain, au sein des couches sociales. Depuis l'indépendance de l'Algérie, jamais le pouvoir d'achat n'a suscité autant d'inquiétudes chez les spécialistes : sociologues, anthropologues, psychologues, économistes, médecins etc. Les chiffres fallacieux et les discours creux n'arrivent plus à colmater les brèches d'une misère, désormais, visible à l'œil nu. L'endettement des ménages que la prochaine tripartite semble déterminée à défendre, ne suffit même plus à couvrir les besoins vitaux : nourriture, habillement, santé et logement.

Pour le loisir, pourtant faisant partie du bien-être, il n'est même pas opportun d'en discuter. Cette paupérisation pousse à la violence, la corruption et le suicide sous ses différentes formes (kamikaze, harraga, immolation, se donner la mort tout simplement). Même le citoyen, soi-disant aisé, est acculé dans son quotidien par des mendiants, dans les parcs, à la sortie de la poste, des mosquées, des pôles commerciaux, etc. Si ce phénomène suscite tant d'inquiétudes, c'est qu'il touche toute la stratification sociale, du nanti au marginalisé, en passant par le moyen qui tend à rejoindre la seconde.

Il est vrai et il faut le reconnaître que d'énormes efforts ont été entrepris pour assainir le climat social et se veulent constituer une plateforme pour la relance de l'Economie nationale. Il se trouve qu'elles se fondent sur des considérations politiques. Le terrorisme et la fracture sociale qu'il implique ne sont pas des causes mais des effets induits. Il faudrait donc, pour remettre les gens au travail, s'atteler à trouver les causes profondes pour prescrire les remèdes. Le jour où la créativité prendra le dessus sur la vente en l'état, la spéculation et le gain facile, les gens se remettront d'eux-mêmes au travail et cela ne demande ni capitaux ni entreprises étrangères, etc. C'est vers la recherche de cette profondeur que doit se dérouler le vrai débat pour le changement.

* Consultant et économiste pétrolier

Renvoi : Jean Bothorel «Le prince» édition Grasset 1981