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Algérie, ce pauvre pays riche !

par Slemnia Bendaoud

Le titre résonne dans son tumultueux paradoxe, accrochant au passage l'attention de son lecteur. Il est bien écorcheur, très révélateur du stand-by durable de ce pays de merveilles, resté longtemps en veilleuse, à cause de la paresse ou la maladresse de sa propre gouvernance.

L'explication de ce phénomène est d'abord savamment illustrée par sa propre histoire, alors expliquée et commentée par ce colon d'autrefois. Ainsi, dans leur ouvrage collectif ''La guerre d'Algérie*'', Patrick Eveno et Jean Planchais conclurent à "Ce ''virus'' de la liberté que la Régence d'Alger ne connaissait nullement en 1830, et que la France l'aura, en effet, laissé derrière elle en 1962, encore bien vivant malgré les coups qu'elle lui avait elle-même portés sur cette terre". Pour terminer plus tard par cette citation de Charles De Gaule, faite dans les années soixante à l'écrivain et son ministre de la Culture, André Malraux, contenue dans cette confidence "L'Algérie restera française, comme la France est restée Romaine".** Eugène plantet, de son côté, auteur de l'œuvre volumineuse comportant deux tomes, intitulée ''Correspondance des Deys d'Alger avec la Cour de France'' achevait son introduction par: "Notre gouvernement avait essayé, en effet, plus que les autres, de civiliser cette race malfaisante; dans l'impossibilité démontrée de la châtier utilement, il la supprima. Quelques jours nous suffirent pour assurer ce triomphe?". On ne manquera pas à l'époque de reprocher à Alger de ''tenir la mer sous ses lois'' et d'en faire des autres nations ''sa propre proie''.

Dans les deux cas de figure, l'Algérie était à la fois un pauvre mais riche pays !? Pauvre, elle l'est toujours restée pour avoir toujours été atteinte de ce ''virus'' de la liberté, désormais non encore complètement retrouvée ou recouvrée. Riche, elle l'est tout à fait naturellement au travers de son potentiel économique et humain assez impressionnant.

Et si ce gaulois de Charles De Gaule voulut qu'elle restât encore Française, ses aïeux et prédécesseurs intronisés au sein de la gouvernance française de l'époque y décelèrent cette possibilité ''à civiliser cette race malfaisante''. Faute de pouvoir utilement la corriger, elle fut donc envahie dans l'optique d'être plus tard totalement supprimée et complètement rayée de la carte géographique des nations et peuples bien souverains.

Ce colon d'autrefois qui y eut alors mis un pied à terre avant de définitivement la quitter plus tard, nourrit encore ou à ce jour ce besoin assez fort d'y revenir par des moyens plutôt détournés. Aujourd'hui, il développe ou invoque cette guerre sans merci contre le terrorisme international dans la région du Sahel. Un autre casus belli tout à fait identique à celui de l'éducation par la force des armes manifestée à l'encontre de cette race de malfaiteurs de corsaires Barbares d'autrefois qui écumaient les mers et faisaient main basse sur les mouvements commerciaux marins des océans. Au plan diplomatique, des nations longtemps inspirées ou totalement guidées par leurs prétentions hégémoniques font souvent cette toute nécessaire dichotomie entre l'usuel ou réel prétexte et la véritable cause ou bonne raison des choses.

Ainsi, ils brandissent bien haut ce parfois tout préfabriqué prétexte dans l'espoir de cacher autant que faire se peut la toute indiquée cause, utile ou ultime ruse, pensant avec cela longtemps berner tout leur monde alentour.

Aussi, plus de trois longs siècles avant son assaut final au travers de cette toute petite brèche de Sidi Fredj, la France coloniale s'était toujours intéressée à ces concessions d'un bout du territoire côtier algérien s'étendant de l'ancienne Collo à la non moins vieille La Cale (El Kala actuellement) afin d'y installer dans la durée les bastions de ses pécheurs de corail phocéens.

Bon an mauvais an, elle y parviendra à s'y accrocher à ces grands rochers, cultivant ce désir très discret d'y rester éternellement leur absolu maître. Il s'agit là d'un véritable mode d'emploi.

Quant au visible ou risible fameux prétexte du coup d'éventail invoqué par l'illustre consul Vedal, il ne fut que ce coup d'accélérateur de fin de parcours qui lui permettait de semer dans le vent ses ennemis afin d'échapper au règlement de la très lourde facture des céréales restée encore à ce jour impayée !

Voilà bien résumée, en peu de mots certes, la stratégie française d'antan de son occupation du territoire algérien, vue au travers de sa seule histoire et ses nombreux corollaires. Faut-il au besoin bien le rappeler qu'à l'époque déjà, elle y voyait ''ce pauvre pays riche''!

Ce fut donc l'une des raisons majeures qui la poussèrent à exploiter pour ses propres besoins sa toute indiquée ou prévisible faiblesse aux fins d'en tirer grand profit de ses indéniables richesses. Et c'est ainsi que la France impériale et coloniale règnera en seul maître sur le territoire algérien durant près d'un siècle et demi, truffé de ses nombreux combats, aigues misères et innombrables soubresauts révolutionnaires.

Seulement, juste un demi-siècle après la fermeture de cette triste et bien douloureuse parenthèse temporelle, voilà donc que la France vient à demander et très discrètement obtenir de l'Algérie à ce que celle-ci lui ouvre son espace aérien dans la perspective de porter des coups mortels à la rébellion malienne.

Doit-on alors -de fait ou par nécessaire déduction- considérer l'espace aérien d'aujourd'hui au même titre que ce territoire côtier algérien d'antan, objet de la convoitise française de l'époque, qui lui avait donc permis d'avoir ce pied à terre de longue durée, débouchant plus tard sur cette longue nuit coloniale ?

Comparé au renard, le chacal affirma autrefois, sans ambages, qu'il n'est pas aussi rusé que le dernier de cette race de petits carnivores très proche de la sienne. Seulement, il savait que nul ne peut le rouler deux fois de suite au sujet du même objet. Il dira qu'il détient ou qu'il dispose, à l'opposé, de cette forte capacité à longtemps retenir les bonnes leçons de ses utiles mésaventures''. Dans ce cas-là, il restera à savoir si l'Algérie officielle aura bel et bien retenu cette magnifique et toute nécessaire leçon qui s'impose afin qu'elle puisse s'échapper, comme le chacal, à ces renards bien humains à la recherche de ces grands territoires !

La façon dont la France a eu accès à son ''espace intime aérien'' nous invite ou nous pousse à croire plutôt au contraire de tout cela. La France d'aujourd'hui, au même titre que celle coloniale d'antan, est donc persuadée qu'il existe cette bonne brèche entre le peuple algérien et ses anciens-nouveaux dirigeants, bien comparable en tout point de vue à celle qui existait alors entre Alger et Constantinople avant son assaut triomphal de Sidi Fredj. Toutefois, elle reste convaincue que ce sera le peuple algérien qui défendra encore une fois l'intégrité de son territoire tel qu'il l'aura fait durant cette longue guerre de libération nationale, supplantant du coup la passivité de l'ancienne Constantinople et l'incompréhensible permissivité d'Alger la contemporaine et pourtant bien souveraine. Et si la France officielle considère toujours qu'un pied à terre est donc plus intéressant à être mis à profit plutôt qu'un espace aérien violé ou légalement convoité, elle reste tout de même persuadée que cela demeure toujours cette voie de pénétration par le sud du pays contrairement à cet accès marin du Nord d'autrefois.

Le pauvre Tell algérien n'intéresse plus maintenant la France. Ce son plutôt ses très riches potentialités économiques fossiles du sud du pays qui font l'objet de sa convoitise permanente, au regard du climat de crise économique durable qui souffle à pleins poumons sur toute l'Europe au cours de ces dernières années.

La pauvreté du moment de l'Algérie réside dans sa gouvernance totalitaire qui agit en seul maître des céans, pour en fin de compte tomber pieds et poings liés dans le giron de l'ennemi d'autrefois, puisque quêtant toujours ce symbolique ou hypothétique secours pensant lui venir ou advenir de son pourtant bien réel adversaire.

Et lorsque notre gouvernance s'allie ou s'aligne sur les idées-forces de l'ancienne puissance coloniale, il ne peut y avoir qu'une seule victime : le malheureux peuple algérien, autrefois vaillant vainqueur de cette pourtant ancienne impériale force colonisatrice de son territoire.

A l'opposé, l'autre richesse du moment de l'Algérie se trouve être enfouie dans son potentiel fossile et pactole numéraire sommeillant dans les banques occidentales; chose qui fait baver ces anciennes puissances coloniales, les poussant donc à braver tous ces nombreux écueils afin d'y parvenir les premiers ou y revenir y vivre comme autrefois et jadis.

Ce pauvre pays riche nourrit donc toutes les convoitises des anciennes puissances coloniales, lesquelles à coups de force, de farces et de flatteries lui font continuellement la cour. La France, ayant la première compris en quoi consiste le jeu, est déjà bel et bien présente sur le terrain des opérations. La tragédie de Tiguentourine aura eu le mérite d'impliquer volontairement ou involontairement mais bien solennellement l'Algérie dans cette guerre contre le Mali d'où elle ne tirera pourtant le moindre profit.

Au contraire, elle y aura tout perdu à la fois : au plan de la souveraineté de la nation et de cet équilibre régional qu'elle était autrefois sensée imposer à ses nombreux voisins.

Aujourd'hui, son seul secours ou unique recours aura été de fermer hermétiquement ses nombreuses et très dimensionnées frontières. Depuis belle lurette, ce fut déjà le cas avec le Maroc, ensuite tantôt avec la Tunisie, tantôt avec la Lybie, tantôt avec le Mali !

Et plus tard, l'on ne sait avec quel autre pays !

Le développement des nouvelles techniques de communication semble au contraire bel et bien isoler l'Algérie. La France y voit donc un bon coup à jouer !

(*) Patrick Eveno et Jean Planchais, La guerre d'Algérie,

Ed. Laphonic, Alger - 1990. (**) Ces chênes qu'on abat? André Malraux, Ed. Gallimard - Paris - 1971.

(***) Correspondance des Deys d'Alger avec la Cour de France (1579-1833) Tome Premier, Eugène Plantet -

Ed. Benslama - Tunis - 1981.