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LES CORBEAUX

par M. Saadoune

En Irak -la faimSi la saison des moissons prodigue ses fruits, C'est pour rassasier corbeaux et sauterelles?

Difficile de ne pas citer ces vers de Sayyab alors que son pays, l'Irak, est en train de sombrer à nouveau dans des violences sans fin. Car des corbeaux, il n'en manque pas dans cet Irak violenté par l'agression américaine et déstabilisé, durablement, dans son existence même. On ne compte plus les morts, des attaques ont ciblé des prisons et ont permis la fuite d'au moins 500 prisonniers dont des djihadistes avérés et des émirs.

Tout est fait pour rendre la situation la moins intelligible et rendre confus les différents facteurs qui alimentent et entretiennent une guerre lancée sous les auspices des occupants étrangers. Tout s'imbrique dans ce conflit qui ne s'est jamais apaisé mais qui connaît, ces derniers temps, de nouveaux pics de tueries. Une obsession du pouvoir de Nouri Al-Maliki, des velléités séparatistes dans plusieurs régions sur fond d'une guerre sectaire qui a tendance à s'auto-entretenir. La guerre en Syrie n'a fait que favoriser une extension du domaine de la guerre civile. Mais il serait faux de ne le réduire qu'à cela.

Ce sont des facteurs réels qui viennent se surajouter à des enjeux économiques liés au contrôle de la rente pétrolière. L'Irak est un pays pétrolier très riche et c'est cela qui lui a valu l'intérêt si destructeur de l'Empire. On ne cessera jamais de rappeler les propos d'Alan Greenspan, le patron de la Federal Reserve sous G.W. Bush, dans ses mémoires, The Age of Turbulence : Adventures in a New World : «Cela m'attriste qu'il soit politiquement incorrect de reconnaître ce que chacun sait : la guerre en Irak est largement une question de pétrole». Et pour beaucoup d'Irakiens qu'ils soient animés par une vision communautariste ou régionaliste, la question du contrôle ou du partage de la rente est un enjeu considérable. Et cette vision est une conséquence directe d'un système politique vicié mis en place par les Américains où l'Irakien a fini par disparaître pour ne laisser place qu'au chiite, au sunnite ou au Kurde. Même les intellectuels irakiens, souvent très brillants, ont fini soit par prendre les chemins de l'exil ou par s'aligner sur la secte.

L'incapacité des «gagnants» à recréer les conditions d'un système inclusif n'a fait que favoriser les plus fanatiques au sein des communautés. Gérer une manne pétrolière fabuleuse - on estime à 6.000 milliards de dollars les revenus potentiels qui peuvent être générés d'ici 2030 - de manière transparente et consensuelle aurait pu, assez rapidement, changer la donne en Irak et enrayer les poisons mis en place par les corbeaux. Cela n'a pas été le cas. Les revenus ont été affectés en général à ce qui était jugé le plus urgent, la défense et les infrastructures. C'est un choix qui aurait pu se défendre si la transparence était de mise. Or la gestion «libéralisée» du secteur pétrolier sous les auspices des Américains a très largement favorisé le développement d'une corruption endémique chez les nouvelles élites au pouvoir. Des petits corbeaux venus dans le sillage des gros corbeaux et qui sont en train de causer la perte de l'Irak. Si ce n'est déjà fait.