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Changement radical ou caricature de changement

par B. Benyassari

Au départ il y a eu «place Tahrir 2». Des millions d'Egyptiens, trente millions, au dire des médias connus pour leur addiction pour les militaires.

Tous les manifestants ou pres que, dans un rassemblement inédit et sans précédent dans l'histoire, étaient là pour dénoncer la dérive autoritaire du pouvoir Morsi et la gabegie dans la gestion de la crise sociale. Des méthodes de pouvoir qui rappellent l'ancienne dictature ont commencé à voir le jour. La situation économique ne cesse de se dégrader et 40% des Egyptiens vivent avec moins de 1 dollar par jour. La vie quotidienne est très difficile pour la majorité, marquée qu'elle est par le chômage qui a un caractère endémique, la hausse récurrente et la tension sur les produits de première nécessité, la pénurie du pain, les coupures d'électricité et les pénuries de gaz et d'essence, pour circuler. Parallèlement à cela, le pouvoir de Morsi brandit la suppression des subventions pour les produits de base.

Le rassemblement de «la place Tahrir 2» est le point d'orgue des luttes sociales, grèves et protestations qu'a connues l'Egypte ces derniers mois. L'intervention militaire contre Morsi est un coup d'Etat qui, au-delà des Frères musulmans, vise le processus révolutionnaire en cours pour l'empêcher d'aller plus loin, pour faire tomber l'ancien système. Ceci dit, le mouvement de grande ampleur de «Tamarrod» n'est pas exempt de manœuvres et d'arrière-pensées. Cela s'est greffé sur une réalité quotidienne intolérable pour la majorité des Egyptiens. En l'absence d'une direction concrète du mouvement, des travailleurs et des masses populaires, l'armée émerge. Elle tente de voler la victoire au peuple, acquise contre la dictature de Moubarak et de se re-légitimer après ses crimes et la défection du maréchal Tantaoui et de son conseil militaire.

L'élection du président Morsi à une très courte majorité, en juin 2012, s'est faite grâce à l'apport de ceux qui refusaient le retour à l'ancien régime. En réponse à cet électorat, le président Morsi a été incapable de gouverner comme rassembleur au-delà de la confrérie des Frères musulmans, de toutes les forces enclines à la rupture avec l'ancien régime de Moubarek. En tant que tel, il a été incapable de proposer un projet de société à même de préserver les mobilisations populaires et de pousser la dynamique plus loin, au lendemain de la première élection démocratique dans l'histoire de l'Egypte moderne et de toute la région. Au contraire, les Frères musulmans, au lendemain de la victoire, étaient plus soucieux d'élargir la base sociale de la confrérie, d'accentuer leur contrôle sur les mosquées et la société et de pousser plus loin l'islamisation de la législation (Constitution). F. Burgat, directeur de l'Institut français du Proche-Orient et chercheur, souligne «l'incapacité de Morsi à unifier les rangs des révolutionnaires, en se rendant crédible non seulement auprès des salafistes mais aussi auprès de l'opposition non islamiste, afin que l'opposition puisse présenter un front uni, au véritable ennemi commun de la révolution que l'armée aurait dû demeurer»? D'une certaine manière, F. Burgat touche du doigt l'ampleur de l'enfermement qui met en évidence les limites politiques des Frères musulmans, une fois arrivés au pouvoir. L'incapacité des islamistes et en l'occurrence de Morsi de «gagner la sympathie d'une partie au moins de l'opposition laïque, n'est pas étrangère à une certaine intolérance de ces libéraux». C'est ce processus qui les a piégés et les a entraînés dans la spirale du coup d'Etat concocté par l'armée, sous la bénédiction des Etats-Unis et d'Israël. Pour F. Burgat, cet échec n'est pas seulement celui des Frères musulmans mais celui du processus révolutionnaire dans son ensemble. L'armée, soutenue par les Etats-Unis et l'UE, est en train d'administrer au monde l'inanité de la voie légaliste vers le pouvoir et de crédibiliser la prise de pouvoir par la violence. Pour F. Burgat, «l'option radicale de la militarisation risque de regagner en crédibilité». Dans l'ampleur des mobilisations de Tahrir 2, d'aucuns ont vu un second souffle et un approfondissement du processus révolutionnaire en cours. Cela ne peut être que dans la mesure où ce mouvement est plus social, plus démocratique et qu'il se structure indépendamment des Bradeï et autres libéraux. Il ne peut être que le fruit d'une organisation populaire et démocratique que le peuple égyptien construit dans la pratique des luttes quotidiennes.

Le coup d'Etat du 30 juin 2013 est aussi la sanction d'un échec qui est celui des Frères musulmans et de leur incapacité à contrôler les institutions devenues le bastion de la résistance au président Morsi (l'armée, la police, la justice, l'administration et les médias).

 Cet affrontement a commencé en août 2012, avec une prise en main par le président Morsi de prérogatives politiques jusque-là dévolues à l'armée. Avec l'adoption d'une Constitution ouvrant la voie à une islamisation graduelle du droit égyptien, c'est le début de la «frérisation» de l'Etat. L'emprise plus grande sur les mosquées va parachever ce tournant dogmatique des Frères musulmans en Egypte.