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Le retour des Tribunaux islamiques

par K. Selim

Trois ans après avoir été chassé de Mogadiscio, le chef des Tribunaux islamiques, Cheikh Charif Ahmed, a été élu président de la Somalie par les députés réunis à Djibouti. Il est particulièrement risible de voir les médias occidentaux qualifier «d'islamiste modéré» Cheikh Charif Ahmed, alors qu'il y a trois ans il était présenté comme un suppôt d'Al-Qaeda. Uniquement sur la base des affirmations américaines, source unique de «Vérité». C'est vrai que les temps ont légèrement changé à Washington et que la nouvelle administration Obama a également salué l'avènement à la présidence somalienne de ce «modéré». Il faut bien entendu apprécier que la nouvelle administration américaine ne tire plus sur tout ce qui bouge. Dans la logique absurde qui a prévalu sous Bush, les députés somaliens réunis à Djibouti, il faut le souligner, seraient des fous ou bien des nouveaux ralliés à Oussama Ben Laden. Voilà donc un petit «progrès» à Washington, plutôt tardif. Car, en trois ans, beaucoup de sang et de poussière ont couvert les jours de Somalie.

Le problème est que ce brevet de «modération» unanimement accordé à Ahmed Charif ne lui sera d'aucun secours dans sa problématique mission. La décision purement idéologique prise par l'administration Bush d'abattre, en 2006, les Tribunaux islamiques qui avaient réussi à mater les chefs de guerre, a créé une nouvelle situation plus compliquée. L'Ethiopie se voyant dans le «grand rôle» d'exécuteur des voeux de l'Empire a fini par retirer ses troupes après s'être totalement embourbée dans une Somalie qui se refusait à accepter la présence de ce vieil ennemi. Addis-Abeba a beau affirmer avoir «accompli sa mission» et reprocher à la communauté internationale son inaction, elle s'est fourvoyée dans un jeu malsain où elle est perdante. Les forces africaines d'appoint, venues aussi dans un contexte conflictuel, sont également regardées comme des ennemis. Il y a trois ans, les Tribunaux islamiques exerçaient une emprise morale sur les «Chabab», ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Et comme partout à travers l'histoire, le refus des puissants de reconnaître les revendications politiques en général, d'abord relayées par des mouvements disposés aux concessions et au dialogue, débouche sur des radicalisations sans cesse accentuées. La gestion idéologique, à très courte vue, de la situation dans ce pays dévasté est donc parfaitement exemplaire. La diabolisation des Tribunaux islamiques n'a servi qu'à porter la situation somalienne à un niveau paroxystique. L'impossible stabilisation par des relais politiques sans ancrage dans la société somalienne fracturée par des années de guerre a provoqué l'apparition de phénomènes de criminalité de grande ampleur. Le caractère éminemment contre-productif de la stratégie des néoconservateurs endossée par les Ethiopiens et une partie de l'Union africaine est ainsi illustré par le développement de la piraterie. La déstabilisation somalienne dépasse aujourd'hui ses frontières maritimes et menace, si une solution acceptable par toutes les parties n'est pas trouvée, de s'étendre à la sous-région dans son ensemble. La réhabilitation tardive des Tribunaux islamiques est un autre «triomphe» de la diplomatie nord-américaine...