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Project Syndicate pour Le Quotidien d'Oran : En route vers la récession

par J. Bradford Delong*

Depuis 15 mois, la Réserve fédérale américaine, aidée par les autorités de régulation du Trésor américain, s'efforce de réduire au maximum les répercussions macro-économiques de la crise financière des titres garantis par des créances hypothécaires - avant tout pour éviter une profonde récession.


Ces deux instances ont trois subjectifs secondaires :

  - conserver autant d'activités économiques que possible sous contrôle du secteur privé pour veiller à ce que la production corresponde réellement à la demande des consommateurs ;

  - empêcher les princes de Wall Street à l'origine de la crise de tirer profit des risques systémiques qu'ils ont créés ;

  - s'assurer que les propriétaires immobiliers et les petits investisseurs n'absorbent pas trop de pertes, puisque leur seul « crime » a été d'accepter de mauvais risques - ce qu'ils n'auraient jamais fait dans un monde où les portefeuilles seraient suffisamment diversifiés.

Il est maintenant clair que la Fed et le Trésor ont perdu la partie. Pour éviter une récession, d'autres acteurs du gouvernement devront intervenir avec d'autres outils et pouvoirs.

L'incapacité de contenir la crise est due au bout du compte, semble-t-il, a une préoccupation excessive pour les deux premiers objectifs cités plus hauts : freiner les princes de Wall Street et préserver le caractère privé des décisions économiques. Si la Fed et le Trésor avaient accordé à ces deux objectifs l'importance - secondaire - qui leur revenait, j'ai dans l'idée que nous ne serions pas dans ce marasme et que le danger d'une récession mondiale serait bien loin.

La décision de la Fed et du Trésor de laisser Lehman Brothers sombrer dans une faillite incontrôlée sans supervision ni garanties témoigne de la volonté d'empêcher les princes de Wall Street de profiter de la crise. La logique derrière cette décision était que, plus tôt durant la crise, les actionnaires avaient été sévèrement punis lorsque leurs sociétés avaient été jugées trop importantes pour fermer leurs portes. Les actionnaires de Bear Stearns, d'AIG, de Fannie Mae et de Freddie Mac se virent confisquer leurs parts et leurs richesses pour quelques sous.

Or ce n'était pas le cas des obligataires et des contreparties, qui furent payés en intégralité. La Fed et le Trésor ont craint que la leçon à tirer du deuxième semestre 2007 et du premier semestre 2008 fût que le gouvernement américain garantissait toutes les dettes et transactions de chaque banque et entité de type bancaire jugée trop importante pour déposer son bilan. Pour la Fed et le Trésor, cette situation ne pouvait être saine.

Les prêteurs aux institutions fortement endettées devaient avoir quelque motivation pour évaluer les risques. Mais cela exigeait, à un certain point, de permettre aux banques de faire faillite et de persuader certains titulaires de dettes et contreparties que la garantie de soutien du gouvernement aux institutions trop grandes pour faire faillite était incertaine.

Rétrospectivement, ce fut une erreur de taille. Le vaste réseau de financement tel qu'il existait à l'été 2008 était le résultat de millions de calculs selon lesquels le gouvernement américain garantissait en fait les dettes sans garantie de chaque grande banque et entité de type bancaire du pays. L'effondrement de Lehman Brothers ayant mis un terme à cela, les établissements financiers ont immédiatement cherché à accroître leur marge de manœuvre pour éviter de recourir au gouvernement, mais se sont rendu compte que c'était impossible. La faillite de Lehman Brothers a créé une extraordinaire demande immédiate de capital bancaire supplémentaire, que le secteur privé n'a pu fournir.

C'est à ce moment-là que le Trésor a commis sa deuxième erreur. En voulant préserver la nature privée du secteur privé, il cherchait à éviter la nationalisation partielle ou totale des composantes du système bancaire jugées trop importantes pour sombrer. Avec du recul, il semble que le Trésor aurait dû identifier toutes ces entités et commencer à acquérir des actions chez elles - que cela leur plaise ou non -  jusqu'à ce que la crise passe.

C'est effectivement ce que l'on pourrait qualifier de « lemon socialism », source de graves dangers en matière de contrôle des entreprises, qui laisse planer une menace de corruption à grande échelle et établit un précédent d'intervention pouvant au bout du compte s'avérer très dangereuse.

Mais cette situation aurait-elle été pire que celle d'aujourd'hui ? L'incapacité de sacrifier l'objectif secondaire de préservation du secteur privé laisse entendre que la Fed et le Trésor ont manqué l'occasion d'atteindre leur objectif principal : éviter la récession.

Certes, les choses semblent toujours plus simples a posteriori. Pour éviter la récession, il faudra passer par une politique budgétaire keynésienne à l'ancienne : le gouvernement doit prendre directement le contrôle pour stimuler les dépenses et décider quels biens et services seront demandés.


Traduit de l'anglais par Magali Adams



* Professeur d'économie à l'université de Californie à Berkeley