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Aveugles à Gaza, aveugles à Jérusalem

par Chris Patten*

Pour le Nouvel An, j'étais à Sydney, admirant les feux d'artifice tirés au-dessus du fameux pont de la baie pour accueillir l'année 2009. Les explosions à Gaza la même nuit ne cherchaient pas à divertir, mais bien à écraser le Hamas et à le discréditer aux yeux des Palestiniens. C'était la dernière manifestation de la terrible violence utilisée pour tenter de trouver un moyen de partager en paix ce que les Chrétiens continuent à appeler la Terre sainte. Le mahatma Gandhi était très critique de la justification biblique pour la vengeance, « œil pour œil, dent pour dent ». Mené à son terme, cet argument voudrait que tout le monde soit aveugle, disait-il. Et c'est bien ce qui est arrivé en Palestine et en Israël. Tous aveugles à Gaza, tous aveugles à Jérusalem.

Une grande partie de ce qui est arrivé - la mort de plus de 1400 hommes, femmes et enfants, et plus de 4000 blessés - était prévisible.

Tout d'abord, les Etats-Unis ont justifié l'attaque israélienne en rejetant la faute sur le Hamas, tout comme ils accusaient Yasser Arafat et le Fatah de tout ce qui pouvait mal tourner.

Ensuite, malgré la diplomatie active et opportune du président français Nicolas Sarkozy, l'Europe, si elle n'a pas été tout à fait invisible, n'a pas fait le poids. Comme ne manquent pas de le souligner les responsables israéliens, les Européens son toujours présents pour la séance photo. L'envoyé spécial du Quartet, Tony Blair, s'est montré plus onctueusement inepte que jamais. On le voit sur CNN, mais s'est-il rendu à Gaza depuis sa nomination à l'été 2007 ? Pas une seule fois.

Enfin, Israël a, comme d'habitude, qualifié d'antisémites tous ceux qui osaient critiquer sa riposte disproportionnée aux inexcusables tirs de roquette du Hamas et sa punition collective des Palestiniens. Un cardinal italien qui, il faut bien l'admettre, s'exprimait sans grande retenue, a été accusé d'utiliser des termes de négations de l'Holocauste. A ce compte-là, mes critiques inconditionnelles des tirs de roquette du Hamas ne font-elles pas de moi un islamophobe ?

Peut-être par hasard, l'attaque meurtrière de Gaza a eu lieu en même temps que la publication d'ouvrages de plusieurs éminents médiateurs putatifs américains sur la manière dont il faudrait s'atteler au problème. L'impression donnée était un peu celle d'une série de candidatures, d'une guerre des tranchées pour attirer l'attention du président Obama.

L'un des points sur lequel s'accordent tous les experts est que la politique de George W. Bush a été un désastre. La politique américaine aurait tout aussi bien pu être formulée au siège du Likoud. Même dans les derniers jours, lors du vote du Conseil de sécurité des Nations unies sur Gaza, Bush n'a pas hésité à humilier Condoleeza Rice à la demande du Premier ministre israélien Ehoud Olmert.

Ces « sages hommes », tous et chacun d'entre eux conseillers du président Clinton et d'autres présidents, semblent aujourd'hui concéder que l'échec de l'accord de paix de Camp David de 2000, ne peut finalement pas être imputé uniquement à Arafat. L'ancien Premier ministre israélien Ehoud Barak porte lui aussi une part de responsabilité. Ils critiquent aussi tous aujourd'hui la pratique de l'époque Clinton de systématiquement obtenir l'accord Israël concernant les prises de position américaines, une pratique qui n'a guère de chances de rallier la confiance ou le soutien des pays arabes.

Les différents points de vue des diplomates américains concernant le processus de paix n'ont dans l'ensemble pas débordé sur une querelle à propos du contenu de l'accord de paix. Tout le monde convient, plus ou moins, de sa substance : Deux États. Des garanties de sécurité pour Israël. Un État palestinien dans les frontières de 1967, ajustées par un accord spécifiant les échanges mutuels de terrains. Le démantèlement de la plupart des colonies de Cisjordanie.

Les réfugiés palestiniens n'auront pas un « droit au retour », mais une compensation financière. La mise en place d'un système de souveraineté conjoint ou international sur les lieux saints de Jérusalem et la division de la ville afin qu'elle puisse devenir la capitale de deux États.

C'est bien sûr ce qui devrait arriver. Et je suppose que cela pourrait encore se faire avec l'aide bienvenue de nouveaux médiateurs comme le Qatar et la Turquie, dont le Premier ministre a qualifié l'attaque israélienne de « grave crime contre l'humanité ».

Mais je commence à me demander si une paix est encore viable sur la base de la situation actuelle. Le Fatah, et les modérés palestiniens comme Mahmoud Abbas, ont été totalement discrédités. La population palestinienne, elle, a été davantage radicalisée.

Le Hamas, dont la participation et le soutien sont essentiels à tout accord, a juré de prendre sa revanche. Chaque jour, de nouvelles lamentations palestiniennes s'élèvent vers les cieux. Les veuves et les mères des victimes pleurent et réclament une justice sanglante. Faut-il s'en étonner ? Si le gouvernement britannique avait cherché à établir la paix et à détruire l'IRA en Irlande du Nord en bombardant le comté catholique de Derry, aurait-il aliéné ou rallié l'opinion publique catholique ?

Du côté israélien, quels dirigeants politiques souhaitent vraiment l'existence d'un État palestinien et sont prêts à assumer les risques politiques inhérents à son établissement ? Lequel d'entre eux est assez fort pour affronter les colons de Cisjordanie ? Sans cela, il n'y aura pas d'accord de paix. Quels dirigeants sauront expliquer les réalités de la vie aux membres les extrémistes de la diaspora juive américaine ? Et quels sont les responsables israéliens qui comprennent que la réconciliation est plus importante que la vengeance ?

Même si les perspectives semblaient sombres auparavant, je n'ai jamais ressenti un tel désespoir à propos de la Palestine et d'Israël. La raison a été noyée dans le sang. Il semble que la politique de l'espoir ait été remplacée par la politique du cimetière. Pauvre Palestine. Pauvre Israël. Qui reste-t-il pour allumer un flambeau au plus profond des ténèbres ?


Traduit de l'anglais par Julia Gallin



* Chancelier de l'université d'Oxford et membre de la Chambre des Lords