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L'élection ou quand le temps suspend son vol

par Farouk Zahi

Au lendemain de la dernière révision constitutionnelle partielle, tout s'est soudain mis à frétiller, du menu fretin au gros squale. Tous les forums, hâtivement montés, deviennent l'occasion opportune pour demander au président de la République, de briguer un troisième mandat. Des vestiges de partis jusque-là absents du champ politique, réapparaissent pour haranguer les foules, l'hécatombe de Ghaza fournissant l'alibi inespéré. Une défunte émission télévisuelle « Indjzat » est ressuscitée pour les besoins de la cause. On postule à la magistrature suprême, tout en veillant à ce que le portrait du président apparaisse en arrière-plan. On évoque les mérites du moudjahid, de l'homme qui a « sorti » le pays d'une crise sans précédent, le diplomate « El Mouhanak » (chevronné), l'artisan de la Concorde civile. L'alternance, terme outrancièrement galvaudé, autorise la supplantation de l'homme dont on loue les mérites. Des salles clairsemées de « désoeuvrés » hébétés écoutent patiemment des monologues interminables qui énumèrent des lapalissades ressassées du genre : « les réalisations sont là : «des routes, des hôpitaux, des écoles, des universités etc..» comme si ces « bizarreries » n'avaient jamais existé. Et pourtant... comme dirait Galilée. Le pays est devenu, depuis près de quinze années, un immense isoloir où l'on y vote à tour de bras. Il est bien entendu que la machine électorale s'y met bien avant l'événement majeur avec ses premières « pétarades » pour que son régime atteigne sa vitesse de croisière. Tout semble s'arrêter dès l'annonce de l'échéance électorale. La faune se reconstitue, elle est composée de traiteurs, de vendeurs d'oripeaux et d'étendards, de papetiers, d'imprimeurs, de transporteurs et de gens lambda qui espère décrocher le privilège d'être chef de centre ou de bureau le jour « J ». L'énumération des sangsues pourrait s'avérer fastidieuse pour l'aimable lecteur. La consommation des biens et services en rapport avec l'événement ira crescendo, jusqu'au lendemain de « l'histihkak » (?). A combien s'élèvera la facture ? Seuls, les ordonnateurs de ces dépenses le sauront ou ne le sauront jamais, tout dépendra du site où l'on se trouve !

Au vu de ses bouleversements électoraux épisodiques, il ne serait pas inintéressant d'organiser, en une seule joute, tous les scrutins locaux et nationaux, comme cela se passe ailleurs, et de prolonger tous les mandats à dix ans. Cette procédure, le temps aidant, permettra aux « lièvres » et autres déchus à consommer l'amertume de la déception et de priver les laudateurs des stand-by à répétition. Qui a osé croire un seul instant, que les organisations de masse ont disparu avec l'unipolarité partisane ? Elles sont là et plus que jamais ! Le président n'est pas dupe, ne plaise à Dieu, pour croire aux simulacres exécutés sous l'oeil du naja : entendre par là, l'objectif de la caméra qui fascine et terrorise à la fois. Il est nettement vérifiable qu'il n'existe pas de meetings retransmis par les ondes radiophoniques. Ils seront nombreux sur la tribune, quitte à ne rien dire, juste pour l'immortalisation de l'événement et pour en mettre plein les yeux à l'entourage. Il ne s'agit, en fait, que d'équilibre des forces intrapartisanes. L'orateur prendra toujours la précaution de mettre en évidence l'emblème national et un slogan des textes choisis, pour ne pas donner l'occasion aux détracteurs, de le vilipender par un quelconque qualificatif assassin. La cause nationale ne peut être qu'au-dessus de tout soupçon malveillant. Les organisateurs sciemment choisis, parmi le gabarit corporel le plus impressionnant, camperont sur des jambes écartées et distilleront un regard suspicieux sur tout nouveau venu. Le badge et le brassard sont de rigueur, ça officialise, laissant libre cours à la rêverie au cas où le « Zaim » viendrait à être élu. De rassemblement en rassemblement et de « dhifa en dhifa » (banquets), on fera le tour du pays, croyant dur comme fer qu' on est en train de l'édifier. Dans l'entre-temps, le Chinois construit notre logis, l'Egyptien nous permet d'avoir du ciment et de palabrer, le Syrien fonce nos puits, le Coréen nous permet de rouler en carrosse, le Brésilien nous alimente et le Turc nous refile des trucs. Il est pour le moins curieux, de voir réapparaître de spectrales figures dites politiques et des sigles de formations qu'on croyait à jamais disparues. Elles ne sont jamais mortes, elles étaient en hibernation, dès la fin de la glaciation, elles reviennent à la vie. Elles semblent même nous reprocher notre cécité et notre surdité pour ne pas les avoir rencontrées, dans tel ou tel autre lieu frappé par un sinistre pluvial ou sismique. Les défilements de personnalités ont été particulièrement remarqués à Ghardaïa et Béchar aux lendemains des cataclysmiques inondations. La visite du terrain est bien accueillie par ces populations de tradition hospitalière, mais elle le serait encore mieux, si le parti met la main à la pâte par l'intermédiaire de ses propres militants. Est-ce que les ksour d'Adrar, qui viennent de subir récemment la furie des eaux, auront-ils droit à ce bonheur ? L'intérêt porté à une quelconque localité est fonction de son bassin électoral. Le journal du 20 heures, de ce mardi 27 janvier, vient d'annoncer une contrevérité à propos du sinistre d'Aoulef où, ce serait la construction en « toub » qui a été le principal facteur de la destruction de centaines de logis. Il n'y a pas de moins vrai que cette hypothèse, sinon pourquoi ces ksour ont-ils traversé le temps ? La construction en terre cuite a ses propres règles de l'art qui ne sont, malheureusement, plus respectées comme tout le reste d'ailleurs. Les constructions bien en « toub » de M'chounech (Biskra) peuvent monter jusqu'à trois niveaux. Cette digression volontaire est l'une des contradictions que l'on peut opposer à ce genre d'allégations rapportées par les médias, notamment télévisuels, dont l'audience est largement répandue dans l'espace. Un vieil adage populaire, concernant la construction en « toub », dit à peu près ceci : « hassane essas ou ghati el gountass » (consolide le fondement par la pierre et couvre le faîte).