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« Arabian Blues», un titre original et singulier d'un florilège poétique
signé Amin Khan, marqué par les jeux surréalistes et les fulgurances d'une
écriture galbée au rythme d'une musique singulièrement triste, inaugure le
protocole d'une lecture particulièrement enrichie par les traces
intertextuelles. D'ailleurs, René Depestre, le préfacier de ce recueil
extrêmement beau d'un de nos meilleurs poètes, ne s'empêche pas de citer comme
espaces fondateurs les noms de Baudelaire, Adonis ou Williams, traversant en
profondeur les lieux interstitiels de poèmes convoquant les territoires
lumineux, mais paradoxalement sombres. La poésie de Amin Khan est prisonnière
de jeux d'écriture où la désespérance accompagne une certaine ouverture, et où
les oxymores fonctionnent comme autant d'indices d'une paradoxale rencontre des
contraires : l'ombre (un lexème-leitmotiv) dialogue avec la lumière dans une
sorte d'affabulation sublimée, la mort ne répudie nullement la vie, mais lui
apporte un surcroit d'activité, une co-naissance, la tristesse est le lieu
prédestiné de l'espoir.
La contradiction indiquée par la présence de ces champs lexicaux (de la peur et de l'ouverture, de la mort et de la vie, de la mémoire et de l'oubli, de l'ombre et de la lumière, du malheur et de l'espoir) est apparente, illusoire, elle donne vie à un vers plus libre où la musicalité transcende le mot pour l'affubler d'une force poétique extraordinaire. Le génie d'Amin Khan, c'est de marier des formes apparemment dissemblables et de donner au mot la consonance d'une parole, une parole, par nature individuelle et libre, qui dépasse le sens commun pour célébrer un dépassement marqué par ce feu qui n'exclut ni la lumière, ni la mémoire. Il se donne à une eau, pécheresse, mais caractérisée par les traces d'une masculinité paradoxale soutenue par les autres éléments naturels qui travaillent tout le texte. Ici, Bachelard n'est pas de trop, qui nous inviterait à expliquer ces textes par une plongée dans les imaginaires marquant l'intrusion de ces éléments dans ces paysages poétiques de Amin Khan. La mémoire du temps et de l'espace peuple ces horizons. Certes, le lexème oubli, revient souvent dans ce texte, mais uniquement pour refuser l'amnésie, les déficits mémoriels sonnent comme une sorte de résurgence des lieux mémoriels fonctionnant comme une sorte de latence investissant la durée. Le feu et l'eau constituent les éléments fondateurs de ces poèmes traversés par des jeux d'images où les contradictions apparentes dissimulent mal une quête d'ouverture et un espoir jamais absents. Chez Amin Khan, la contradiction est un lieu de libération et de délivrance. Contrairement aux poètes des années 70, la poésie d'Amin Khan ne s'enferme pas dans une sorte de colère débridée et de violence automutilatrice, mais se conjugue avec des durées ouvertes, où la violence du mot devient une invitation à une possible métamorphose. Ce recueil d'Amin Khan nous réconcilie avec la poésie dans un pays, l'Algérie, où les «littéraires» ou supposés tels, ont, depuis longtemps, déserté les jeux de la littérarité pour se consumer dans des espaces pamphlétaires où le discours politique creux l'emporte sur l'écriture littéraire, à tel point que les critiques étrangers et algériens ne s'arrêtent qu'au discours politique. Comme si la littérature se réduisait au témoignage, au discours politique, à ce qu'on a appelé une «littérature d'urgence». Amin Khan, après Tahar Djaout, revivifie la parole poétique. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il vient de remporter deux prix (Nikos Gatsos et François Coppée) pour Arabian Blues. Il est déjà l'auteur de plusieurs recueils publiés en Algérie (Colporteur, 1980 ; Les mains de Fatma, 1982, Vision du retour de Khadija à l'opium, 1989) et à l'étranger (Archipel Cobalt, Paris, 2010 ; Vision of the return, 2011, Californie) Arabian Blues» est le lieu privilégié d'une rencontre où les contraires s'enlacent pour conjuguer la poésie aux jeux latents de l'espoir. Amin Khan, Arabian Blues, préface de René Depestre, Paris, MLD, 2012 |
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