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Bureaucrates, suffisants et hargneux

par Farouk Zahi

« Quand tu seras le maître des autres hommes, souviens-toi que tu as été faible, pauvre et souffrant comme eux. » (Fénelon, théologien et homme de lettres français).

Ne nous avisons, surtout pas, à porter, le comportement incorrect d'un subalterne, à la connaissance de son supérieur hiérarchique car il nous en coutera, parfois même, durablement. Beaucoup d'affaires, simples au départ, se sont complexifiées suite à une légitime réclamation ou à une anodine remarque d'un usager. Enfourchant ses grands chevaux, le(a) mis (e) en cause, se fera un malin plaisir à démonter notre argumentaire allant jusqu'à user de témoignages mensongers soutirés à ses propres collègues ou de fourberie. Dès lors, notre cause est perdue et çà ne s'arrêtera pas là !

Se tenant en haute estime, le fonctionnaire se croira obligé de défendre son honneur bafoué et fera tout pour laver ce qu'il considère comme un affront fait à sa personne. Son incompétence sera mesurée au degré de véhémence de sa réaction ; c'est ainsi et le plus souvent, que des responsables découvrent avec étonnement, des personnalités presque morbides de certains membres de leur personnel. Ceci, nous renvoie, bien évidemment, à l'inaptitude avérée de beaucoup de personnes au poste de travail auquel, elles sont été affectées sans discernement. Sans misogynie aucune, ces réactions hyperdermiques, sont plus marquées chez la gent féminine pouvant aboutir jusqu'à la crise de larmes ; probablement par la nature sensible du genre.

Il nous souvient de la mésaventure d'un chef d'établissement hospitalier qui, il y plusieurs décennies de cela, est tombé dans une chausse-trape dressée par une de ses infirmières revanchardes. Habitué à une inspection nocturne de ses services hospitaliers et déclinant une offre courtoise, il se trouva, malgré lui, au centre d'un scandale tonitruant que la conspiratrice a échafaudé avec le témoignage, sans appel, de femmes hospitalisées dans son service. Il lui a suffit, juste de crier et de déchirer son chemisier pour convaincre l'entourage qui, en vérité, n'a rien vu. Il a juste entendu des cris qui fusaient du couloir. Incriminé, sans appel, le sieur directeur a été contraint de démissionner. Il est, apparemment, clair au vu des ces comportements qu'en chacune de certaines de nos concitoyennes, sommeille une âme vengeresse.

Teigneux, certains agents publics vont jusqu'à prendre leur revanche et de manière inattendue sans rapport avec le grief invoqué. Faire poireauter les usagers est la plus supportable des humiliations. Le refus délibéré de servir est plus que courant ; il est admis même par la hiérarchie qui dans le meilleur des cas confie la tâche à un autre agent qui, le plus souvent, se solidarise avec son collègue frondeur. Cette solidarité de mauvais aloi, est une lâcheté collective admise par tous et contre laquelle, le responsable hiérarchique n'a aucun recours. Il lui sera répondu, en cas de référence au Centre, que son aptitude à diriger sera évaluée à sa juste mesure dans le cadre de la promotion professionnelle et qu'il n'a, qu'à faire avec ce qu'il a sous la main. Par ailleurs, il n'est pas exceptionnel de faire les frais d'un alignement éhonté du responsable avec son subalterne au grand dam de l'éthique professionnelle.

Un responsable de haut rang présidant aux destinées d'une importante wilaya du sud du pays, se complaisait à compter les responsables de son bord et ceux qu'il considérait comme « adversaires ». Manichéen, il prenait en grippe tous ceux qui n?allaient dans le sens de lubies qu'il considérait comme le meilleur choix pour le développement socio économique de la circonscription territoriale qu'il dirigeait parfois en dehors de toute orthodoxie managériale. Sa prime victime, fut le doyen de ces collaborateurs et premier responsable du Commerce auquel il reprochait d'avoir mené une opération de contrôle des commerces à la veille d'une visite?. gouvernementale importante ?!

Le second, en l'occurrence celui chargé des services de Santé, tout aussi ancien que le premier, à qui il a été reproché « son accointance » avec Djillali Hadjadj journaliste-reporter à cette époque qui remonte au milieu des années 90 où il signait sous le pseudo de Moussa Yagoubi si nous avons, encore, bonne mémoire. Ce dernier accompagné de sa consœur de la Tribune, faisait un reportage, justement, sur le développement local de la région. Après avoir terminé l'entretien avec le responsable local de la Santé, les deux journalistes ont été déposés par les soins de ce dernier au siège de l'entité administrative. Et qui mieux que le correspondant de l'Agence de presse étatique abritée au même siège et jouant concomitamment le rôle d'attaché de presse pouvait recevoir les deux journalistes ? Chose qui fut faite en toute bienséance hospitalière. A la publication du reportage qui n'allait, surtout, pas dans le sens du poil et qui foisonnait d'informations tirées des monographies sectorielles mises à la disposition des deux journalistes, la levée de boucliers ne se fit pas attendre. A la question : « Qui a amené ces deux « plumitifs » ? La réponse fut sans équivoque : « C'est M. X ! ». A partir de ce jour, zélateurs et laudateurs s'en donnèrent à cœur joie pour faire tomber tels des quilles une dizaine de cadres, tout secteur confondu.

Ces derniers, livrés aux gémonies de la disgrâce se retrouvaient isolés par leur propre collège et ne tardaient pas à solliciter leur départ quand leur tutelle administrative ne les laissait pas en rade. Victimes du fait du prince, ils ne pouvaient qu'abdiquer sous le déni de cette machine bureaucratique dévoreuse d'hommes et de femmes. Observée, jusqu'à nos jours, cette déviance fait encore des victimes expiatoires puisque des membres du nouveau cabinet gouvernemental, à peine nommés au poste, s'ingénient à lier les tares de leur nouveau secteur à certains cadres vite débarqués. Non chevaleresques, ces mises à l'écart peuvent, même, revêtir des aspects sordides que la simple morale réprouve. Le dramatique cas de l'ancien Directeur général de ce que l'on considère comme un des fleurons de l'industrie énergétique est édifiant, à plus d'un titre, sur la précarité des fonctions supérieures de l'Etat, secteur économique public compris. Le pouvoir discrétionnaire, hélas, n'aura pas fait que des heureux. Beaucoup de suites tragiques ont découlé de décisions dont le moins qu'on puisse en dire sont de nature légère. Le cas de cet éphémère ministre du tourisme qui a vécu comme la rose du poète, l'espace d'un matin, ne sera certainement pas sans effets préjudiciables sur la vie de l'intéressé. Le respect des droits humains ne doit pas exempter les sincères serviteurs de la République dont beaucoup n'ont pas survécu à sa sauvegarde quand ses fondements constitutionnels étaient menacés.

A se demander si ces cadres administratifs dont certains ont servi pendant plusieurs décennies, sont réellement des commis de l'Etat ou de simples gens de maison qu'on peut remercier à sa guise ? Considérées comme des actes de redressement de la barre du navire, ces mesures ne feront que fragiliser la cohésion du groupe dirigeant et jeter la suspicion sur ce qui était admis, hier, comme vertueux et digne de confiance.

A ce titre des néologismes vinrent émailler nos propos ou nos écrits qui vont de la « déboumédienation » à la récente «débouchouarebisation». Se peut-il que l'on change d'avis aussi vite qu'on change de chemise dans la remise en cause de personnalités hier « adulées » pour leur vision politique ou leur choix économique ? Considérer, le montage de véhicules in situ comme de l'importation déguisée, participe, au sens du profane que nous sommes, de la mauvaise foi. Lancés en grandes pompes, ces investissements dont les vertus étaient chantées par le premier cabinet gouvernemental, sont aujourd'hui au centre d'un débat qui n'a pas encore livré tous ses secrets. Ces voltes face répétitives, ne sont pas faites pour rasséréner une opinion publique désemparée. Ce qui voudra dire que ce qui est déclaré vrai aujourd'hui sera faux demain. Faut-il penser que le fait institutionnel n'est, en fin de compte, qu'une démarche hasardeuse d'inspiration personnelle et dont la pérennité serait des plus aléatoires ? L'opprobre qu'on jette en toute insouciance sur des individus, jusque là exemplaires dans leur vie socio professionnelle, participe de l'arbitraire du déni et du peu de respect du à la personne humaine. Les néfastes conséquences de ce qui est considéré comme une simple disposition règlementaire, vont de l'ostracisme de l'entourage à la désintégration familiale et parfois même au geste désespéré. Apparemment, mauvais élèves que nous sommes, on oublie ou on feint d'oublier que l'échafaud que nous érigeons pour nos prédécesseurs, sera le même qui servira à notre belle mort politique ou sociale.