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La promotion

par El Yazid Dib

J'aurais voulu parler du 05 juillet 1962. Pas de 2017. Si l'un est un couronnement, l'autre est une autre chose. Je m'en tiens alors à discerner les affres d'un ami plein de fiel et aussi de dignité algérienne. Il n'est pas promu. L'on parle promotion.

C'est un ami, venu des profondeurs du pays, qui m'interpellait à Alger sur ces clôtures de chantier qui naissent au rez-de-chaussée d'une montagne ou à la crête d'un mont la nuit pour faire admettre le lendemain l'érection d'un building en bonne et due forme. La convoitise n'a épargné ni la forêt ni le bosquet.

Elle a mangé le tout du vert au brunâtre. Sexagénaire qu'il est, ancien fonctionnaire qui a cessé de fonctionner depuis longtemps ; il me dit avoir connu Alger dans les années 70 où la tête des gens n'était pas enfoncée dans un lot de terrain marginal mais bel et bien dans un engagement politique et une idiologie d'un socialisme spécifique.

D'une montagne l'on fait du haut standing

Il n'y a pas de pire aveugle que celui qui refuse de voir ce qui se bande devant ses yeux. Des constructions monstrueuses, des concessions faramineuses, des richesses volumineuses sont venues encore engraisser ceux qui ,il y a à peine un temps, n'étaient qu'une expression d'un néant ou un presque petit chiffre indéterminé. L'Algérie pourtant n'est la propriété de personne, ni encore ses montagnes, ses flancs, ses trottoirs, ses poches parcellaires ou ses résidus fonciers ne sont inscrits comme legs à quiconque. Et portant on y voit des fortunes se faire sans le moindre labeur. C'est si comme le ciel fait admettre la terre à ceux qui la détiennent par procuration. Elle est vaste et grande notre Algérie. Mais le choix se fixe dans son cœur, dans le plein centre de ses poumons, quand parfois il se force à ne s'installer que dans les quartiers huppés où d'un p'tit coin l'on fait des mirages haut standing. Des trottoirs, des espaces verts, des montagnes à Alger ont fait leur soumission pour devenir des assiettes pour ceux qui davantage profitent des zéphyrs enivrants de la promotion immobilière. Le Sahara, le grand sud et les hauts plateaux sont encore dans le besoin d'être étoffés par la « générosité » de ces mercantiles. Seul l'hectare industriel pour les faussaires investisseurs constitue le ciblage privilégié d'une équivoque contribution à l'élan de l'Etat. Cet Etat peine à réguler le mouvement et l'on ne l'admire qu'à chaine d'arpenteur.

Le soleil algérien doit briller sur tout le monde algérien. Il n'a pas besoin d'intercession pour arroser une partie et échouer vers une autre. La complexité de ce qui se passe pour compliquer la mission de l'Etat n'a de mesure que cette folie incessante, cette rapide ascension qui a rendu la société et ses différents segments chaotiques et fébriles. Comment peut-on dans ces circonstances emmêlées distinguer le travail persévérant et la rente facile ? Ces nouveaux nantis n'ont pas la richesse qualitative qui crée de la croissance économique ou apporte un confort à l'économie nationale en bout de souffle.

« Ils nous ont leurrés mon frère » me disait-il avec un soupir qui tenaillait sa poitrine pour trahir son désarroi. « Ils ont bouffé même l'herbe et empêché toute touffe d'émerger ». Tentant d'apprivoiser quelque peu sa tourmente je lui assenais avec un air que je croyais assez convaincant « Rabi khir ». Sa réplique n'était aucunement réfléchie quand, sortie spontanément elle m'éclatait à la figure « euh?ces gens là, vont avoir aussi le paradis, des millions de hassanettes et autant de houris puisqu'ils ont des mosquées, ils partent et repartent au hadj, ils font le couffin de ramadhan, ils jouent même avec le bon Dieu ! »

Plus de lots, encore des terrains !

Si le pays est un territoire, l'Algérie n'est pas uniquement une géographie où la géométrie prime sur tout et Dieu l'est pour tous. Les fossiles, les débris de squelettes ou les ombres de l'ombre de certains hommes ayant pignon sur pouvoir ou argent n'ont de cure que la peau dure, malsaine mais tenace.

Que ce soit dans la réserve foncière ou dans la réserve politique, les manitous des lots, des ilots, du fer et du béton s'acharnent crescendo sur le banquet que leur produit le silence des lois.

Les charognards goinfres et mangeurs terriens en permanence affamés redoublent de voracité. Terre battue, en jachère, rouge ou noire, l'appétit n'aurait d'égal que le goût enivrant procuré par la sensation doucereuse et inouïe qui assaille allégrement tout propriétaire foncier. Rien ne se laisse au hasard. Pourtant l'Etat tend tant à assainir ce registre comme il semble veiller à la préservation des terres et des espaces de vie. « L'Etat est-il indemne de tout soupçon de dilapidation ? Certains hommes supposés avoir le devoir sacro-professionnel de cette noble mission de conservation sont-ils sous la férule de la contrainte périphérique ou s'astreignent-ils, par soumission à l'enivrement du mauvais partage et par compromission à un gain conséquemment généré ? » C'est par de telles questions inquiétantes que mon compagnon d'ami n'a cessé de tarauder mes tympans le long de la tournée nocturne que l'on faisait dans le poumon de la capitale.

L'avarice est un autre calcul où le bénéfice dépasse l'addition de profits et élimine toute soustraction pour ne finir qu'avec la formule de « et je retiens tout ». Le péril des âmes en voie de suffocation par excès de lots marginaux est aussi en voie d'entraîner au passage, les jardins, les pelouses, les aires de jeux et les parkings. Mêmes ces lieux n'attisent plus la convoitise insatiable des dévoreurs de parcelles ou des gloutons, chasseurs de privilèges et de mérites fonctionnels. Elle est partout et nulle part. Rien ne lui s'oppose. Ni les lettres ouvertes, ni les communiqués aspirant à vouloir les fermer. Le mal est dans l'are et la concession foncière tel l'asticot dans le fruit. L'assainissement du foncier se pratique, dans le cadre d'une éthique, par des travaux de déblaiements de détritus rituels, de nivellement de l'espace spirituel et de ravalement de façades à opérer au niveau des immeubles qui contiennent la conscience.

La promotion que pour certains

Le droit de jouir de quelques mètres sur une superficie de plus de deux milliards de kilomètres carrés ne devrait pas défavoriser entre autres ceux qui crèchent aux coins des jardins publics, dans des locaux sociaux minables pris pour une charité providentielle. Faire et dire, sont deux choses foncièrement non identiques. Dans certaines contrées la promotion stimule encore tous les goûts. Elle continue à passer malgré dit-on la saturation du marché pour une forte aubaine chez ceux qui l'on déjà pratiquée. Appuyés par des réseaux forts et agissants qu'ils servent en premier ; ils en font de la mévente une épargne immobilière sachant que l'effort de l'Etat va un jour ou l'autre connaitre un essoufflement. Même dans ce registre la part des choses reste grandement inégale. L'on ne peut admettre des bleus ou des aventuriers. La part du marché tend à devenir une exclusivité. Des cites entières ont vu les hauteurs prendre la place du jardin, de la véranda et des entrées fleuries. La densification n'émeut personne, ni le maire producteur de documents, ni les concepteurs du plan d'occupation du sol. Mon ami souffre atrocement de cette métamorphose subie dans sa ville natale. « Ils ont dilapidé tout » me dit-il. Ne retenant plus sa colère, il m'avance des choses à faire pousser des poils dans le visage d'un enfant « derrière chaque monstruosité promotionnelle il y a du louche, de l'argent, de la corruption et de la complicité ». J'admire son franc parler et j'adhère à sa vision des choses pour ce qui est de la perte des repères, de la beauté et des bonnes œuvres. Sa ville, étant aussi la mienne n'a plus le goût d'antan. Il ne fait plus bon vivre. Comme Alger, elle s'est engluée dans le n'importe qui et le n'importe quoi. Chaque période pour chaque passage de responsable local a laissé des stigmates encore visibles. L'un a vendu des forêts et des oueds, l'autre a hypothéqué son cœur et ses ponts. Ils sont tous partis et la ville est toujours là, effilochée, accablée et asphyxiée.

Bonne fête, tout de même !

« On le fête ce 05 juillet, certes comme une date historique mais pas comme une indépendance. Nous dépendons toujours de l'humeur des uns ou de la grâce des autres ». Que reste-t-il de nos amours de juillet ? Sont-elles fanées ces amours ? Ou bien le temps a avachi leur fragrance ? Il ne reste rien ou presque. Si, lui dis-je « quelques souvenirs d'histoire et de jubilation chez certains ». « ?.et une affaire occasionnelle chez d'autres » me répondit-il avant de récupérer son sourire et me lancer « bonne fête tout de même ! » non sans me taquiner « la prochaine fois je te raconterai de ces histoires là de ceux qui résident ailleurs, sur les bords de la seine ou ceux du lac Léman ».