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« Les Affaires étrangères, Benatallah charge M.Lamamra»: Le bicéphalisme en question

par Amari Abdou*

L'article publié, début juin, dans le quotidien d'Oran sous le titre : « Les Affaires étrangères, Benatallah charge Lamamra» soulè ve quelques observations, tirées de ma modeste expérience acquise au département des Affaires étrangères, dans le seul souci d'obéissance à une obligation morale. En tentant d'opter pour une démarche la plus objective possible en vue de rétablir, un tant soit peu, une part de vérité concernant les points évoqués dans cet article.

1-Comme relevé par M.Benatallah, Il est vrai que le passage de M.Lamamra dans les années 2000, au département ministériel en tant que Secrétaire Général, en dépit de son expérience avérée, a eu un impact peu reluisant sur le volet de la gouvernance de ce département.

Il est regrettable que ce constat peu éclatant contraste avec sa dimension de diplomate chevronné et jouissant de compétences professionnelles de haut vol. Toutefois, ce constat étant posé, M.Lamamra, et au regard de sa grande expérience et de son riche carnet d'adresse professionnel, combinés à son étoffe et à son aura internationales demeure une valeur et une plus-value sûres pour notre appareil diplomatique.

2- Pour le reproche fait à l'ex-chef de la diplomatie algérienne d'avoir accepté le « bicéphalisme », il faut dire que cette situation ne date pas de l'accession de ce dernier à cette haute fonction, mais qu'elle existait depuis plusieurs années déjà.          Certes, nous ne sommes pas dans « le secret des dieux », mais on pourrait supposer que c'est un choix murement réfléchi et décidé, en haut lieu, par les hautes autorités politiques du pays. Ce choix serait dicté par les multiples missions et actions d'intervention de notre appareil diplomatique dans différentes zones géopolitiques mondiales. Missions et actions induites par les rapides bouleversements que connait le monde, combinées aux visions de Monsieur le Président de la République quant aux divers enjeux internationaux et aux intérêts vitaux de l'Algérie. Posture qui exige une visibilité et une présence active et dynamique sur la scène politico-diplomatique régionale et internationale.

3-Il est indéniable que ce « bicéphalisme », qui a, lors de sa mise en place, procédé de la bonne intention, a, dans la pratique, suscité quelques « frictions », causées par des chevauchements dans les domaines d'interventions des deux têtes du département diplomatique. Et l'audience qu'a accordée Monsieur le Président de la République à Monsieur Abdelkader Messahel (alors Ministre en charge des Affaires Maghrébines, Africaines et Arabes) , et bien qu'annoncée officiellement comme la présentation par celui-ci au chef de l'Etat d'un compte rendu de la situation au Sahel et en Libye qui sont, évidemment, du domaine de compétence de Monsieur Messahel, peut donner à penser que la marque d'honneur liée à cette audience pourrait être interprétée, avec le recul, comme un signe avant-coureur d'une éminente disgrâce de Monsieur Lamamra.

4-Quant à la question de l'accession du Maroc à l'Union Africaine, M.Lamamra n'est pas exempt de reproche à ce sujet dans la mesure où en sa qualité de premier responsable du département diplomatique, il a fait preuve d'un « manque d'anticipation » en n'agissant pas à temps pour annihiler le « coup » marocain.         A ce propos, il pouvait recourir à un lobbying performant et dynamique au sein de l'Union Africaine et déployer des actions politiques et diplomatiques auprès de divers pays et partenaires africains pour neutraliser le Royaume chérifien sur cette question. Surtout si l'on garde à l'esprit la longue expérience de M.Lamamra dans la gestion de dossiers « sensibles » en sa qualité de Commissaire africain à la paix et à la sécurité de cette Union avant sa nomination à la tête de la diplomatie algérienne.

D'autant plus que l'ambition de Rabat pour réintégrer l'institution continentale qu'il avait quittée en 1984 à la suite de l'adhésion de la République Arabe Sahraouie Démocratique (la RASD) était connue depuis quelques années déjà, en ne lésinant point sur divers moyens : politiques, diplomatiques, économiques, financiers et autres pour parvenir à son ambition. Et en menant une politique volontariste en direction de beaucoup de pays africains et leurs dirigeants, y compris parmi ceux qui étaient acquis à la cause sahraouie. N'hésitant pas, parfois, à recourir à la pratique de « la compromission » de certains hauts responsables africains pour assouvir son obsession. Il faut dire, à ce propos, que la sortie de Rabat de l'organisation continentale lui est restée « en travers de la gorge » durant toutes les années de son absence de ladite organisation. Mais dès lors que Rabat avait acquis le soutien d'un nombre suffisant de pays africains favorables à son retour à l'organisation africaine, le processus de sa réintégration était déjà engagé. Et contrairement à ce que croit M.Benatallah, du point de vue juridique, la Charte de l'Organisation ne pouvait l'en empêcher.

Pour ce qui est de la cause sahraouie en rapport avec ce fait, et pour demeurer dans une posture optimiste et voir, comme dit l'adage « le verre à moitié plein », il est aisé de penser que ce retour n'est pas tout à fait préjudiciable à cette cause dans la mesure où il consacre une reconnaissance supplémentaire du Royaume chérifien de la RASD du fait que les deux pays siègent au sein de la même organisation, en dépit des vaines tentatives de Rabat de faire de l'exclusion de la République sahraouie la condition sine qua none de sa réintégration à l'U.A.

Aussi, la présence de la capitale alaouite au sein de l'organisation pourrait constituer une excellente opportunité diplomatique pour opérer un travail de lobbying d'envergure auprès des pays du continent pour exercer diverses pressions pour amener le Royaume chérifien à s'engager dans des négociations sérieuses avec le Polisario, dans le cadre des résolutions onusiennes et de la légalité internationale.

5-Concernant le volet de l'Accord d'association avec l'Union Européenne (UE), l'auteur de l'article souligne l'échec de la gestion de ce dossier par le département ministériel en charge de celui-ci. Il y a lieu de rappeler ici que M. BENATALLAH était, durant les années quatre vingt dix, le premier responsable et négociateur de ce dossier, d'abord en tant que Directeur Général Europe au Ministère et ensuite en tant qu'Ambassadeur d'Algérie à Bruxelles. La latitude est laissée aux connaisseurs et experts pour évaluer le travail de l'ancien responsable de ce dossier quant aux résultats obtenus lors de son exercice.

Pour aborder un point qui n'a pas été évoqué par M.Benatallah, à savoir le département de la Communauté Nationale à l'étranger dont il avait la charge.

Là aussi, il est aisé de relever le modeste profit engrangé, notamment en ce qui concerne la gestion du dossier des compétences nationales à l'étranger en vue de les impliquer davantage dans le développement du pays. Cependant, il faut dire que l'ex-Secrétaire d'Etat n'était pas l'unique responsable de ce constat puisque la réussite de cet ambitieux projet dépend de plusieurs facteurs dont ce dernier ne détenait guère tous les leviers. Ce constat est, également, tempéré par le fait que les fonctionnaires qui ont côtoyé ce diplomate de carrière, notamment ceux qui étaient ses proches collaborateurs, reconnaissent en lui le responsable rigoureux, sérieux, travailleur acharné et dévoué au travail.

6-En ce qui concerne le dossier de la crise libyenne, M.Benatallah parle « de grand cafouillage diplomatique » et que les « résultats les plus probants ont été réalisés ailleurs qu'en Algérie ». Là aussi, l'on peut dire que ce dernier s'est écarté de la vérité, puisqu'un diplomate chevronné de son rang ne doit pas ignorer que le règlement de la crise libyenne exige des médiations diplomatiques, d'une tenace patience et des efforts de plusieurs parties, et ce compte tenu de sa complexité et la diversité de ses acteurs aux visions divergentes, voire opposées, combinés aux facteurs d'ingérences étrangères, nourries d'intérêts et d'enjeux divers. Et la diplomatie algérienne, sous la conduite de M.Messahel, le principal gestionnaire de ce dossier, secondé par des collaborateurs émérites et maitrisant parfaitement les arcanes du dossier libyen, a fait des pas de géants dans cette direction.

Il a mené plusieurs actions sur le terrain du bourbier libyen pour rencontrer les principaux acteurs et protagonistes locaux, avec pour objectif de trouver une issue politique consensuelle à la problématique de ce pays afin d'épargner à celui-ci une hypothétique et catastrophique intervention étrangère et garantir la paix et la stabilité de la région. Ce qui constitue un axe majeur de notre politique extérieure et cadre parfaitement avec les intérêts vitaux de l'Algérie.

Dans tous les cas, l'Algérie est incontournable dans toute démarche de résolution de cette crise aux multiples facettes, en raison de la loi de la géographie et du voisinage, de son poids géostratégique dans la région, de son expérience dans la gestion et le règlement des conflits régionaux et internationaux, combinés à la stature politique et diplomatique de M.Massahel.

7- Il vrai que « le Forum Algérie-Afrique sur l'investissement et les affaires de décembre 2016 » n'avait abouti au succès recherché et dénote d'une « cécité », tant pour l'opportunité de sa tenue que pour les aspects liés à son organisation. Mais là encore, on ne détient pas encore tous les éléments qui ont poussé la diplomatie algérienne, qui jouit pourtant d'un immense potentiel au niveau de l'expérience dans ce genre de rencontres politiques et économiques régionaux et internationaux, à organiser un tel forum au profit d'investisseurs de pays en quête eux-mêmes d'investisseurs étrangers pour booster leurs économies. L'on peut affirmer que l'organisation de ce forum, eu égard des conditions qui ont entouré son déroulement, demeure un mystère qui n'a pas encore révélé tous ses secrets. Car tenir un tel événement, avec un assourdissant emballement médiatique, et voir le staff gouvernemental, et à sa tête le chef du gouvernement, M. Sellal, se retirer lors de la séance d'ouverture induit plusieurs points d'interrogation ?!

8-Pour le reproche fait à l'ancien chef de la diplomatie algérienne d'avoir qualifié le nouveau Président français « d'ami », il est clair qu'il s'agit d'un grief un peu exagéré, surtout lorsqu'il est fait par un diplomate de carrière, en l'occurrence M. Benatallah qui n'ignore pas que ce terme (ami) est utilisé fréquemment dans le jargon diplomatique entre les officiels des Etats nouant de denses relations, de surcroit deux pays qui entretiennent de bonnes relations bilatérales. Donc ce mot, qui dans le contexte de son utilisation ne peut dépasser la simple formule de courtoisie, pourrait produire un impact psychologique positif sur son destinataire et sur les rapports futurs avec son pays. L'on rappelle que ce « qualificatif » a été prononcé à l'endroit de l'actuel locataire de l'Elysée qui a réservé sa première visite extérieure à notre pays durant sa campagne présidentielle.

Certes, il est clair que des impératifs électoraux et des considérations liées aux intérêts de son pays sont les principales motivations de son choix, mais tout de même, il ne faut jamais perdre de vue le sens de la « bonne formule » dans les relations étatiques, et en premier lieu dans le jargon de la courtoisie diplomatique.

Il ne faut pas perdre de vue, également, que les deux pays ambitionnent de mettre à profit l'avènement de M.Macron à la magistrature suprême de la France pour donner un nouveau souffle et insuffler une forte dynamique aux relations bilatérales qui connaissent parfois des brouilles passagères ; principalement dues tantôt à des divergences de positions politiques sur des dossiers internationaux, tantôt aux faits historiques entre les deux pays, notamment le passé colonial de l'hexagone en Algérie et qui remontent de temps à autre à la surface des relations bilatérales.

09- Concernant la gestion administrative de M.Lamamra de son département ministériel, il n'est un secret pour personne, notamment les fonctionnaires de son département que ce dernier a développé et privilégié, durant son passage audit département, un style de gestion professionnel en retrait vis-à-vis de ses collaborateurs.    Un style tout à l'opposé de celui de son successeur, M.Messahel qui, outre ses qualités et compétences professionnelles avérées, sa conscience aigüe de la « chose » diplomatique et son sens de la formule, a toujours adopté une démarche de proximité et de collaboration avec ses proches collaborateurs dans le traitement des dossiers et la conduite des affaires de son secteur de compétence, dans un esprit d'ambiance décontractée et de travail d'équipe.

Outre ces vertus, le nouveau chef de la diplomatie algérienne est doté de techniques de négociation bien rodées, accumulées durant sa longue et riche carrière professionnelle. Il n'est jamais à court d'arguments convaincants qui cadrent avec les intérêts stratégiques de notre pays, lors des discussions avec ses partenaires et à l'occasion des multiples négociations qu'il a menées. Ces précieux atouts, renforcés par la confiance que le chef de l'Etat a placée en sa personne, lui seront, certainement, d'une grande utilité pour la réussite de sa nouvelle mission.

10- Concernant la récente « sortie » médiatique de l'ex-Secrétaire d'Etat, M. Benatallah, l'on est en droit de s'interroger sur son « timing » qui est intervenu juste après le départ de M. Lamamra, alors que les tares et les insuffisances de gestion qu'il reproche à celui-ci ne datent pas d'aujourd'hui. Est-ce que les critiques à l'endroit de l'ancien chef de la diplomatie algérienne découlent, bien évidemment selon sa vision, d'une analyse objective et d'une évaluation d'ensemble de la conduite du département des Affaires étrangères durant le règne de M.Lamamra, ou s'agit-il de reproches, pleins de ressentiments et d'amertumes, exprimés par une personnalité qui avait quitté le gouvernement en 2014 ?!.

11-Revenons à cette question de timing dont on perçoit difficilement l'opportunité, à moins que M.Benatallah croit encore en sa « bonne étoile politique » et en un « destin ministériel », et ce en parfaite symbiose avec l'adage qui dit : « la politique est l'art du possible ».

*Ancien Diplomate