|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Le docteur Triki Yamani Hadj Mohammed (Dr
Yama Triki) est né en 1941 à Tlemcen. Il est médecin
de formation et a exercé son métier dans le secteur privé pendant plus de 50
ans à Béjaïa, sa ville d'adoption. Nous avons profité
de la parution, au début de ce mois de novembre 2021, de son ouvrage «De Lalla Setti à Yemma
Gouraya» chez l'éditeur français «Qatifa
», pour lui poser quelques rapides questions.
Le Quotidien d'Oran : Pourquoi Lalla Setti et Yemma Gouraya ? Dr H. M. Triki Yamani : Lalla Setti et Yemmma Gouraya, les deux « saintes protectrices » des villes jumelles, Tlemcen et Béjaïa, représentent des symboles très forts. Leur fréquentation est souvent relatée par nos mères et grands-mères dont l'exutoire favori se traduisait par les inévitables visites des marabouts, où elles nous entraînaient petits. Même si ces deux noms restent historiquement dans le flou, il n'en est pas moins que la croyance populaire en ces saintes reste tenace. De leur vivant elles s'adonnaient uniquement à Dieu pour intercéder plus tard, à partir de leur tombeau, auprès des nombreux visiteurs. Mais pour reprendre l'expression de Georges Brassens « faites semblant de croire et bientôt vous croirez ». Il est clair que les deux capitales médiévales ont eu une histoire commune significative, jalonnée d'échanges intellectuels culturels, cultuels ou scientifiques. Et plus récemment au vingtième siècle, signalons que le plus Tlemcenien des Bougiotes ne fut autre que celui qui fut qualifié de « chardonneret des cimes » à savoir Cheikh Sadek Bouyahia, plus connu par le nom de Sadek Bejaoui, ancien élève entre autres de Hadj Cheikh Larbi Bensari, le grand maître tlemcenien de la musique andalouse. Ayant vécu enfant dans l'une, puis adulte dans l'autre ville, je me suis efforcé tout naturellement de rendre un hommage particulier aux deux anciennes capitales berbères au cours de l'écriture de cet essai. Le Quotidien d'Oran : Quel fut votre itinéraire tlemcenien dans votre jeunesse ? Dr H. M. Triki Yamani : J'ai quitté définitivement Tlemcen en 1957, en me retrouvant ensuite interne dans un lycée en France (Evreux). Après un retour sur Alger, j'ai poursuivi mes études en médecine à Poitiers en rejoignant mon oncle Sid Ahmed, qui représenta pour moi un frère, un père et un mentor. Mais cela ne veut pas dire que j'avais coupé tout contact avec ma ville où ont toujours résidé mes parents, mes amis, mes proches. Issu d'une famille du petit peuple tlemcenien, vivant dans un quartier médiéval, je parle de ma petite enfance dans le derb Sidi Oulad Imam, de mes petits camarades, de ma famille, de la vie quotidienne dans une maison traditionnelle, Dar Bentchouk. Plus loin je raconte cette période cruciale d'avant et pendant la guerre d'indépendance, vécue à Tlemcen, avec comme particularité un environnement d'éveil politique intense, marqué par la déflagration du 1er Novembre 1954. Mon témoignage de collégien sur nos professeurs, les élèves, même s'il est incomplet, décrit cette ambiance quotidienne de répression, de bruits de bottes colonialistes. Beaucoup de jeunes camarades payèrent de leur vie leur engagement pour la libération nationale, d'autres ont connu l'emprisonnement ou l'exil. La Guerre de libération, touchant de près ou de loin toute la population algérienne, n'a laissé personne indifférent. Le Quotidien d'Oran : Vous êtes rentrés à Alger après l'Indépendance où vous avez terminé vos études. Qu'en est-il de cette période ? Dr H. M. Triki Yamani : Les premiers jours de l'Indépendance furent une délivrance pour tous, mais engendrèrent un sentiment de tristesse et de désespoir pour les familles, les proches et les amis de chouhada. Mais déjà, l'armée des frontières, bien équipée, déferla sur Alger, non sans heurts ou combats fratricides. La population sortit alors en masse pour exprimer son ras-le-bol avec des mots très forts : « sebaa snin barakat » Le vœu de la population était de s'atteler à remettre le pays sur rails. Curieusement le téléphone marchait, l'électricité et l'eau n'étaient pas coupées et ce, grâce à des Algériens conscients, veillant à ce que le quotidien de la population ne soit pas perturbé... Concernant l'enseignement supérieur, son ministre M. Benhamida, avait fait un appel aux Algériens étudiants à l'étranger pour rejoindre les facultés algériennes. Même si ces facultés mirent du temps à s'ouvrir, les étudiants algérois firent miraculeusement une année pratiquement normale. J'évoque longuement cette période difficile de la rentrée universitaire chez les étudiants en médecine, qui ont bénéficié d'un enseignement dépassant toutes les espérances. Nos maîtres algériens, les quelques pieds-noirs qui étaient restés ou des coopérants avaient réussi le défi de maintenir la réputation de la faculté de médecine et de pharmacie d'Alger, considérée avant l'Indépendance comme l'une des meilleures de tout l'empire français (France métropolitaine comprise). Une description de l'ambiance hospitalière de l'époque, des professeurs, assistants ou internes, qui l'ont marquée, constitue l'objet principal de mon chapitre sur Alger. Je n'ai pas manqué non plus de décrire la vie quotidienne culturelle et festive tlemcenienne ou algéroise de cette époque, où tous les espoirs étaient permis, malgré une politique intérieure monolithique. Le Quotidien d'Oran : Quelles sont les raisons qui vous ont amené à vous retrouver à Béjaïa ? Dr H. M. Triki Yamani : Avec feue mon épouse, qui était titulaire d'un diplôme de lettres classiques (elle fut, en grec ancien, la disciple du Pr André Mandouze le grand spécialiste de Saint Augustin), nous nous préparions, avec l'accord de nos professeurs, à une carrière universitaire. Finalement la crise du logement à Alger contribua à nous faire déménager par pur hasard vers Béjaïa en 1968, où j'obtins un poste de médecin-chef de la clinique de la CNEP. J'étais parti pour un contrat d'un an avec un espoir de retour sur Alger, mais le destin en fut tout autre : je suis toujours à Béjaïa à ma grande satisfaction. Je me suis installé donc à titre de médecin privé en 1972. Le travail était pénible mais généralement gratifiant. Aussi je rends un hommage appuyé aux représentants du corps médical et paramédical de Béjaïa qui, malgré le peu de moyens humains ou techniques de l'époque, se sont distingués dans le domaine de la santé publique en donnant le meilleur d'eux-mêmes. J'ai eu la chance aussi d'être un acteur du milieu sportif de Béjaïa en volley-ball en tant que joueur puis ensuite en tant que dirigeant au tennis. Évidemment l'une de mes premières visites à Béjaïa fut réservée à Cheikh Sadek Bejaoui, avec qui j'eus des rapports amicaux durables. J'eus également l'honneur d'être son médecin traitant. Le Quotidien d'Oran : Vous évoquez longuement dans votre ouvrage les liens historiques entre Tlemcen et Béjaïa... Dr H. M. Triki Yamani : Si tout le long de mon livre je ne cesse de me référer aux relations historiques des deux villes, dans la dernière partie de mon essai, j'ai rassemblé quelques chroniques concernant les deux capitales médiévales. J'ai souligné enfin mon long passage dans notre association Ahbab Cheikh Sadek Bejaoui, non sans évoquer la naissance et le beau parcours de notre orchestre féminin, une première en Algérie. L'itinéraire, marqué par la ténacité et le travail de recherche de nos filles, a pu aboutir à l'enregistrement d'un CD dont les titres sont des œuvres originales du défunt maître Cheikh Sadek Bejaoui (hawzi, chansons kabyles). Et « à tout seigneur tout honneur » une biographie détaillée de Cheikh Sadek Bejaoui marque le dernier chapitre de mon livre. |
|