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Une menace inflationniste ?

par Ahmed Bouyacoub *

L'Algérie enregistre de grands déséquilibres financiers depuis plusieurs années (budget et trésor), et avec la chute du prix du baril de pétrole, son commerce extérieur devient déficitaire en 2015, alors que sa balance des paiements a déjà enregistré un déficit important, en 2014. Il apparaît, très vite, que ces déséquilibres ne sont pas conjoncturels.

La fièvre inflationniste commence à se manifester de manière insistante et durable, dès le dernier trimestre de l'année 2014 risquant de remettre en cause de nombreux autres équilibres économiques et sociaux. Quels sont ses caractéristiques et ses impacts sur le reste de l'économie et quels moyens de lutte doit-on mobiliser?

Un rythme soutenu d'inflation depuis 2015 ?

Ce problème crucial de l'Economie nationale a fait l'objet de peu d'études de la part des institutions concernées et des chercheurs. Seule la Banque d'Algérie, fournisseur important d'informations fiables, a publié une note concernant l'inflation, apparemment, rédigée en décembre 2015. Cette note résume la question de l'inflation qui s'est relancée à partir de l'année 2015. En effet, pour 2015, l'inflation a atteint le taux de 4,8% contre seulement 2,9 % en 2014. Que dit le rapport de la Banque d'Algérie ?

Il part du constat qu'au cours de la période allant de septembre 2014 à octobre 2015, il y a eu une accélération de l'inflation due, en grande partie, à la hausse des prix enregistrée par les produits alimentaires et à un degré moindre par les biens manufacturés. Il passe en revue les principales causes habituelles de l'inflation en Algérie. On peut les résumer de la manière suivante :

1. Le marché mondial des produits agricoles a été de tendance fortement baissière, au cours de l'année 2015. Les cours internationaux ont chuté de manière importante (A titre d'exemple, la tonne de sucre poudre coûtait 400 $, en août 2014 et seulement 250 $ en août 2015, le blé dur passe de 264 à 210 $ /tonne).

2. En Europe et aux Etats-Unis d'Amérique l'inflation est quasiment nulle et les calculs réalisés par la Banque d'Algérie montrent le très faible niveau de l'inflation importée pour les 24 biens et services, à fort contenu d'import, et représentant un poids de 23,4 %, dans l'indice de consommation. Par ailleurs, elle précise que « l'indice national des valeurs unitaires (IVU) des biens alimentaires importés a reculé de 2,5 points de pourcentage à -0,2 % en 2015 ».

3. L'examen détaillé des données concernant l'offre et la demande des produits agricoles frais (légumes, viandes et lait) révèle, aussi, que la hausse des prix n'est pas la résultante d'une insuffisance d'offres.

4. Enfin, l'expansion monétaire (M2) a été « historiquement faible » en 2015, et limitée à 0,1 %, alors qu'elle a été de 14,6%, en 2014. Habituellement considérée comme une source d'inflation, cette fois-ci cette cause est écartée.

La conclusion de cette étude est intéressante, et je la rappelle pour les lecteurs, car le rapport déclare que « l'ampleur de l'inflation, en 2015, ne peut s'expliquer, ni par l'expansion de la masse monétaire, dont le rythme a été quasi nul, ni par l'inadéquation de l'offre à la demande, ni par l'évolution des prix mondiaux des produits de base importés » ( Note de conjoncture de la Banque d'Algérie, 4ème trimestre 2015).

Ce même rapport, comme l'étude, sur l'inflation conclue qu'il « convient, plutôt, d'en rechercher les causes profondes dans les dysfonctionnements du marché, et notamment de celui des produits agricoles frais, caractérisé par une traçabilité limitée des transactions et une faible régulation ».

La pierre est jetée au secteur chargé du contrôle et de la régulation des marchés. Un rapide coup d'œil sur le rapport de conjoncture publié par le ministère du Commerce révèle, pour sa part, que pour l'année 2015, « les opérations de contrôle se sont soldées par 747.109 interventions permettant la constatation de 149.112 infractions et l'élaboration de 136.546 procès-verbaux ». En revanche, sur ces contrôles dont le nombre semble très important, la « pratique des prix illicites représente 3.245 infractions, soit 2,1% ». La pratique des prix illicites, qui serait un facteur d'inflation, est donc « très marginale » selon les contrôles effectués par les directions de contrôle économique et de répression des fraudes.

Pour répondre à votre question, nous avons un grand besoin de recherches scientifiques dans ce domaine. Les facteurs, habituellement, invoqués pour expliquer cette « inflation » sont donc écartés par les institutions concernées par ce problème. La question sur l'origine de cette poussée inflationniste reste posée.

Une inflation à deux chiffres pour 2017 ?

Il faut rappeler aux lecteurs que le dernier taux d'inflation à deux chiffres a été enregistré, en Algérie, il y a exactement vingt ans, en 1996, avec 18,68 %. A ce moment, l'Algérie était en pleine application du Programme d'ajustement structurel (P.A.S) avec ses difficiles conditionnalités, au plan économique et social. Par ailleurs, notre pays qui tentait de sortir de l'économie administrée a échappé à l'hyper-inflation que tous les anciens pays socialistes ont enregistrée au cours de cette période (1990-2000). Au cours de cette décennie, l'indice des prix à la consommation a été multiplié par 4,5 en Algérie, par 6,2 en Hongrie, par 11 en Pologne et par 770 en Russie. Oui, les prix ont été multipliés par 770 fois dans ce grand pays pétrolier entre 1990 et 2000.

En Algérie, tous les économistes qui ont étudié, sérieusement, cette période, avaient reconnu que si notre pays a pu libérer totalement ses prix (grâce à la loi sur les prix de 1989, aux réformes qui s'en suivirent et au P.A.S) sans trop de dégâts économiques et sociaux, c'est en grande partie, sur le plan purement économique, grâce à l'autonomie de la Banque d'Algérie, instituée en 1990, mais remise en cause, en partie, depuis plusieurs années. Car la surveillance de l'inflation et sa réduction relèvent, principalement, de ses missions puisqu'elle est garante du pouvoir d'achat de la monnaie nationale. Actuellement, est-elle en situation de résister aux sollicitations des puissants acteurs économiques (producteurs, importateurs, investisseurs nationaux et étrangers, spéculateurs, ?) qui poussent à l'ouverture de l'économie, dans tous les sens, y compris en vue de la consommation rapide de ses réserves de change, et contestent toute forme de régulation?

Cette situation de crise économique (et ses nombreux déséquilibres ?), qu'on perçoit, nettement, en 2016, ouvre la porte à tous les risques de dérapage économique, y compris une inflation à deux chiffres (pour 2017) qui remettrait rapidement, en cause, toutes les réalisations économiques et sociales du pays et la première d'entre elles, soulignée dans le dernier Rapport mondial sur le développement humain de 2015, l'arrivée de l'Algérie au groupe de pays à développement humain élevé ( grâce aux réalisations en matière de santé, d'éducation et de revenu) et la première place qu'elle occupe, à ce titre, à la tête des cinquante quatre pays africains indépendants, en 2015.

Pour cette année, 2016, le dinar ne s'est pas fortement déprécié, à ce jour, notamment par rapport au dollar américain comme, en 2015, année qui a enregistré une chute du dinar de 22%. Et la Banque d'Algérie considère que le taux de change réel du dinar reste au-dessus de son niveau d'équilibre. Cette dépréciation cumulée ne manquera pas de se répercuter sur les prix intérieurs de cette année et de 2017.

Inflation élevée et subventions de certains prix ?

L'analyse de l'inflation comme celle des déséquilibres financiers (budget et trésor) ont immédiatement entraîné, chez les experts, la question des subventions. Il faut préciser que les subventions sont de plusieurs natures et touchent des biens et services très différents qui représentent des poids différents dans la consommation des ménages et surtout des catégories de ménages à faible revenu (déciles 1 et 2 des enquêtes sur la consommation).

Selon la Banque d'Algérie, les 14 biens et services à prix réglementés, et donc subventionnés, n'ont pas connu de hausse très notable, pour 2015, et pour certains d'entre eux comme l'énergie (carburants, électricité et gaz) des réajustements sont introduits, en 2016 entraînant une hausse des prix sentie, différemment, par les différents groupes de ménages. Les impacts doivent être étudiés de manière détaillée par rapport aux différents groupes de consommateurs.

De plus, il y a une forme de mystification de la notion de subvention. Selon les données du ministère des Finances, la subvention qui sert à soutenir les prix des produits alimentaires tels que lait, sucre, farine, blé, huile, légumes secs? a représenté, en 2015, la somme de 225,5 milliards de dinars, soit au total, 13,7 % des transferts sociaux de l'Etat. La loi de Finances de 2016 prévoit de faire passer ce taux à 12,8%. Quant à la subvention qui concerne les prix de l'énergie et de l'eau, elle a atteint la somme de 73,6 milliards de dinars, en 2015, et passera à 62,8 milliards de dinars en 2016. Pour rester, seulement, dans le domaine de l'inflation, les subventions totales concernant le soutien des prix (alimentation et énergie) représentent, donc, 1,7 % du PIB et « seulement » 4,4% de la valeur de la consommation totale des ménages, en 2015. Ce faible pourcentage doit être comparé aux autres types de transferts sociaux, dont la totalité représente 9,6% du PIB. A titre d'exemple, les seuls « soutiens à l'habitat » dépassent en 2015, de 20%, la somme dédiée aux subventions des prix.

En conclusion, on ne peut pas mettre « dans le même sac » toutes les subventions directes et indirectes. Elles sont destinées à des catégories sociales différentes et leurs justifications ne relèvent pas, seulement, du champ économique ou du champ social.

Lutter contre l'inflation : quelles pistes ?

Le rythme d'inflation prévu, dans la loi de Finances 2016 est de 4% avec un taux de croissance de 4,6%. On sait, dès maintenant, que le taux de croissance sera plus faible et que l'inflation sera plus forte. L'examen des données des quinze dernières années (2000-2015) montre qu'il y a une forte instabilité de l'indice des prix à la consommation même si au cours de cette période, en dehors de l'année 2012, le pays a enregistré une faible inflation. Cette instabilité des prix ne concourt pas à créer un bon climat des affaires, à attirer des investissements étrangers et à favoriser l'épargne des ménages. D'un autre côté, l'enseignement le plus important qu'on puisse tirer à l'examen des données, à long terme, est que le taux d'inflation a été inférieur au taux de croissance entre 1998 et 2006. Après 2006, le taux d'inflation a été plus élevé que celui de la croissance économique. Mais ce qui est important à souligner est que le taux de croissance économique a été plus élevé, au cours de la première période marquée par une faible inflation.

Bien sûr, la lutte contre l'inflation passe par le renforcement d'une dynamique de croissance des principaux secteurs d'activité (agriculture et pêche, industrie, BTPH..) et la levée de toutes les contraintes qui freinent cette dynamique. L'élimination progressive des déséquilibres qui caractérisent cette période (commerce extérieur, budget, trésor, balance des paiements, ?) permettraient de redresser l'économie et de lui éviter une crise profonde.

En fin de compte, la lutte contre les poussées inflationnistes qui se manifestent, passe par la lutte contre les principaux facteurs de la crise économique actuelle.

*Université d'Oran 2

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