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Suite et fin
La question qui se pose aux «penseurs» du Pentagone, qui croient que la meilleure approche pour «triompher», en Afghanistan, serait de se rapprocher de la population civile et lui démontrer que les forces étrangères sont là pour la protéger et lui permettre de se développer, est : «Comment procéder». «Arrêteront-ils les raids aériens meurtriers et les «bavures» qui ne feront qu'augmenter les victimes, et, donc, l'insurrection afghane». De plus, appliquer les principes contre-insurrectionnels, qui ont joué en Irak, serait contre-productifs en Afghanistan, pour la raison bien simple qu'il n'y a pas une homogénéité politique dans le système afghan, comme il l'a été dans le système irakien. En Irak, il y avait ce qu'on peut appeler un «triumvirat», c'est-à-dire les trois tendances (chi'ites, kurdes, sunnites) formaient le gouvernement central. Or, cette situation n'existe pas en Afghanistan, une politique de contre-insurrection n'aura aucun impact sur la population. Et l'Afghanistan ne peut se contenter d'un Karzaï pachtoune qui n'a pas derrière lui toutes les tribus pachtounes. De plus, le nouveau concept «long war» (la longue guerre) dans la QDR 2006, si on l'applique pour l'Afghanistan, évacue toute sortie de crise. Ce qui se confirme dans les déclarations de hauts responsables américains et européens, rapportées par les médias, qui parlent de guerre de dix ans? voire de 40 ans en Afghanistan. L'inquiétude américaine sur les chances de résoudre le conflit est réelle. M. Richard Holbrooke a récemment déclaré (Foreign Affairs, octobre 2008) que la guerre en Afghanistan pourrait être plus longue que celle du Viet Nam, et que définir une bonne politique à l'égard d'Islamabad «sera absolument critique pour la prochaine administration, et très difficile. De tous les défis auxquels la politique afghane est confrontée, le plus rude est celui des sanctuaires d'insurgés établis dans les zones tribales du Pakistan». Il est clair que le pronostic sur la nouvelle stratégie américaine n'est guère prometteur. L'Afghanistan, pays montagneux et pauvre, isolé géographiquement, avec un peuple habitué à une vie rude, ne peut que rendre difficile toute intervention militaire. Surtout que les Afghans ne sont pas à leur premier combat contre une occupation étrangère. La guerre va continuer et les limites de cette «nouvelle doctrine» seront atteintes par l'usure, la lassitude et surtout les «coûts financiers», comme cela a été au Viet Nam. 9. Une approche de sortie de crise en AfghanistanLa question qui se pose : «Comment les forces alliées peuvent sortir de la crise en Afghanistan, tout en procédant à une mise en ordre des affaires politiques au sein de ce pays ?» Et d'autres termes, sortir de l'Afghanistan, sans perdre de sa crédibilité, donc, sans «abandon», comme cela a été dans le théâtre viet namien. On ne peut oublier que, tant pour les Américains que pour les Européens, ils doivent gagner la guerre, la défaite leur est interdite, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il en va pour la crédibilité des pays membres de la FIAS, une défaite équivaudrait pour l'OTAN, le retour à son théâtre d'origine et la fin des campagnes lointaines. Le deuxième point, c'est l'échec de la lutte contre le terrorisme, prônée haut et fort par Washington. Le troisième point, ce sont les enjeux plus élevés que seule la lutte contre le terrorisme, et concernent la perte de l'influence occidentale sur une des régions les plus stratégiques du monde. L'Afghanistan se trouve au cœur d'un «chaudron» de puissances nucléaires, entouré directement ou «proche» indirectement des principales puissances nucléaires, en Asie centrale : la Chine, la Russie, l'Inde, le Pakistan et éventuellement l'Iran, devenue déjà puissance régionale, voire mondiale. Ce qui voudra dire que les Américains perdront leur leadership mondial, et les conséquences seront désastreuses pour leurs intérêts vitaux. De gros risques sur l'équilibre des rapports des forces au Proche et au Moyen-Orient. La visite du roi Abdallah en Syrie, en octobre 2009, après des années de froid, est révélatrice du tournant qui est en train de s'opérer dans l' «arc de crises». Par conséquent, parler de «war long», c'est-à-dire une longue guerre, n'est qu'un artifice de la sémantique pour les stratèges américains, car la réalité surprendra tôt ou tard les alliés, et le prix à payer sera très cher. Ceci étant, avec une situation qui empire en Afghanistan, la question qui se pose : «le modèle irakien peut-il constituer une alternative ?» On a déjà dit que sans équilibre de tendances ethniques dans le gouvernement central afghan, il est illusoire de croire que le «surge» à l'irakienne puisse éviter une faillite militaire aux forces alliées. Cependant, un «surge à l'irakienne adapté à la crise afghane» peut apporter un succès. En d'autres termes, la stratégie du général d'armée David Petraeus, commandant de l'USCENTCOM, «révisée politiquement» a toutes les chances d'aboutir. Pour cela, les Etats-Unis doivent être réalistes et surtout pragmatiques. Quels sont les motifs qui plaident pour une «adaptation du surge à l'irakienne» ? D'abord, la SOFA en Irak. Elle a permis l'établissement d'un échéancier qui a permis de coordonner les passations entre les forces armées américaines et les forces irakiennes de tous les points du territoire qu'ils occupent pour un retrait programmé de leurs troupes d'Irak. Cette SOFA n'existe pas en Afghanistan. Deuxième motif, dans le «surge» et la tactique de «contre-insurrection» américaine, en Irak, qui a permis de «s'allier les Sunnites», il y a eu une évolution favorable de la situation sécuritaire. La fin des attaques sunnites contre les forces américaines, et l'affaiblissement de al-Qaida grâce encore au concours des Sunnites, a contribué considérablement à une baisse de la violence. Pour les Américains, cela s'est traduit par une baisse des pertes en vie humaine et en matériel. Ce cas de figure n'existe pas en Afghanistan. Les insurgés afghans sont dilués dans la population. Al-Qaida est affaibli, et la «contre-insurrection» prônée par les Américains ne peut retourner aucune faction afghane pour la raison bien simple, les opposants aux Taliban sont au pouvoir, ils forment le gouvernement central. Quant aux Pachtounes et à leur tête, le président Karzaï, ils sont considérés plus des collaborateurs que des représentants de tribus pachtounes. Par conséquent, ce qu'on nomme «Taliban» sont les insurgés pachtounes, hostiles au pouvoir. Leur credo est ««sortir les Etrangers de leur pays». De plus, il n'y a pas de Taliban modérés ni de Taliban extrémistes, il n'y a que des Pachtounes pour qui la patrie est une donnée intangible et sacrée. Ces pachtounes nationalistes, par rapport aux autres ethnies, sont majoritaires sur le plan démographique, ils comptent quelques treize millions. Avec les tribus de l'autre côté de la ligne Durand (du nom de Sir Mortimer Durand), ils sont quelques quarante millions. Il faut rappeler que les Pachtounes n'ont jamais reconnu la ligne Durand, frontière artificiellement fixée par les Anglais, en 1893, entre l'Afghanistan et le Pakistan, qui traverse leur zone tribale. Troisièmement, combien même, avec leur nouvelle stratégie, les Américains cherchent à limiter leurs actions aux régions denses, la situation restera quand même bloquée. Les Taliban, n'ayant aucun intérêt politique immédiat à faire la paix, et disposant de l'avantage d'un terrain sur lequel ils vivent, peuvent faire durer le conflit, jusqu'à ce qu'ils acceptent de déposer les armes en échange de l'obtention d'une partie du pouvoir. En outre, ils conduisent une guerre à moindre coût financier que les pays de la FIAS et les États-Unis, qui subissent les contrecoups budgétaires de la crise financières. Quatrièmement, depuis la Résolution 1386 du 20 décembre 2001 du Conseil de sécurité de l'ONU qui donne mandat à la FIAS en Afghanistan, se sont succédées huit Résolutions du CS/ONU, prorogeant toutes un mandat de douze mois. La dernière Résolution N° 1890 qui vient d'être adoptée par le CS/ONU, le 8 octobre 2009, proroge de nouveau le mandat de douze mois. Donc, la FIAS a encore jusqu'au 13 octobre 2010, en Afghanistan. Pour l'Operation enduring Freedom, bien qu'elle n'a pas de mandat spécifique du Conseil de Sécurité, on doit penser qu'elle est intégrée à la mission de la FIAS. D'autant plus que les deux missions militaires ont été récemment unifiées et sont sous commandement américain. Et ces missions, sur le plan sécuritaire, au lieu d'aider le gouvernement afghan comme il est stipulé dans les Résolutions onusiennes, au contraire, sont en train de dévaster le pays. Cinquièmement, le conflit qui s'étend au Pakistan peut déstabiliser gravement la région, sans pour autant qu'il débouche sur une solution. Les questions qui se posent, au vu de ces données : «Peut-on sérieusement continuer d'aller de Résolution en Résolution, sans perspective de sortie de crise ? Peut-on continuer de marginaliser l'ethnie la plus forte de l'Afghanistan, les Pachtounes, et les Taliban qui en sont pour ainsi dire leurs mandataires, les isoler et continuer à les attaquer de loin, surtout au Pakistan ? Peuvent-ils les forces alliées aller de bavure en bavure ?» Les Taliban, dans le conflit afghan, pèsent lourd, et les Américains ne peuvent en disconvenir. Une guerre qui dure depuis plus de huit années. Parler de «war long» (longue guerre) ne résoudra rien. «Les Américains peuvent-ils réellement, par la guerre, protéger leurs intérêts vitaux dans cette région ? Ne risquent-ils pas de perdre précisément ces acquis, comme ceux qu'ils ont perdu au Viet Nam ?» Il y a nécessité que les Américains fassent preuve de réalisme. «Et enfin, comment ramener les Taliban à négocier ?» Car tout est là, pour mettre fin au conflit. Evidemment, il faut une donne fondamentale qui puisse convaincre l'establishment américain, à choisir une autre option que la guerre. Et c'est la réponse à cette question qui peut donner quelque espoir. «N'y a-t-il pas un enjeu susceptible de convaincre les Taliban à s'asseoir sur la table des négociations ?» Précisément, l'expérience irakienne peut nous aider dans le conflit afghan. «Et si le futur président de l'Afghanistan (le Président Karzaï ou celui qui aura remporté les élections en novembre 2009) procède comme le Premier Ministre irakien Nouri al-Maliki et demande un accord-cadre aux Américains, c'est-à-dire le Status of Forces Agreement » (SOFA).» En accord tacite avec les Américains, il met en place un cadre légal pour le maintien des troupes américaines, en Afghanistan, avec trois dates butoir : 1) une date butoir de retrait des forces armées américaines et alliées des villes et leur remplacement par les forces afghanes, le 31 décembre 2010, 2) une date butoir pour le retrait de toutes les troupes américaines et alliées d'Afghanistan, au 31 décembre 2011, 3) la date butoir de «prise d'effet, le 14 octobre 2010», conformément à la dernière Résolution N° 1890/ CS/ONU du 8 octobre 2009. Les dates sus-indiquées ne sont données qu'à titre d'exemple, du fait qu'elles doivent faire l'objet de négociations tant avec le gouvernement afghan qu'avec tous les autres puissances (Chine, Russie, Inde, Pakistan, Iran et Arabie saoudite). Il est nécessaire que se dégage un consensus dans les négociations multilatérales et bilatérales entre les parties, condition sine qua none pour le succès du processus de règlement du conflit. Un échéancier précis, comparable à la SOFA irakienne, démontre, si besoin est, que l'intervention militaire américaine ne vise ni une conquête, ni une occupation prolongée, cherchant à implanter des bases. Il est clair que, devant le consensus international, les Talibans seront obligés de déposer les armes et entamer des négociations pour rétablir leurs droits dans la gestion politique et économique du pays. Encore une fois, il faut souligner que toute insurrection armée est tributaire de trois donnes, le peuple, l'armement et le contexte international. En procédant au consensus international dans la crise afghane, les Taliban perdront deux donnes, le contexte international et l'armement qui lui est pendant. Ce qui veut dire qu'ils n'auront d'autres solutions que de négocier pour le partage du pouvoir. A ce sujet, on peut citer des conflits, comme la guerre en Tchétchénie, au Cachemire, au Sahara occidental, et ailleurs, qui n'ont pas trouvé encore de solution, parce qu'ils ne répondent pas entièrement aux trois principes. Pour les Américains et les l'OTAN, l'avantage est qu'ils gagneraient en baisse de violence, et le retrait qui suivra ne sera pas assimilé à une défaite, mais plutôt à une sortie volontaire, avec un apport appréciable, la mise en ordre des affaires politiques en Afghanistan. De plus, le règlement du conflit afghan influera favorablement sur la crise au Pakistan. Si le contrat politique n'est pas respecté, les Américains pourront toujours arguer que la crise en Afghanistan n'est pas résolue. Le gouvernement central pourra demander une reconduction du mandat de la FIAS, pour une durée déterminée, au Conseil de Sécurité. Quant au radicalisme et à l'ordre social que les Taliban avaient imposé à leurs compatriotes, par la terreur, il faut dire que les Occidentaux, qui étaient leur soutien, ont longtemps fermé les yeux depuis la prise de Kaboul, en 1996. Par conséquent, s'il y a eu précédemment un ordre social rétrograde, il sera difficile de l'appliquer de nouveau pour des raisons bien simples : 1) les donnes ont changé 2) toutes les factions ethniques sont représentées 3) les puissances pourront imposer des conditions à leur aide à la reconstruction. Ceci étant, les Américains et leurs alliés feront-ils preuve de réalisme et de pragmatisme ? Iront-ils à cette solution ? Mettront-ils à profit l'expérience irakienne ? Tout ce qu'on peut dire, si les Américains ne font pas preuve de bon sens qui les invite à comprendre la réalité complexe de l'Afghanistan et du Pakistan, ils risquent de déboucher sur une situation qui sera plus grave que celle qui a été en Irak. Le temps est venu de conclure cette contribution. Dans cette approche de sortie de crise tirée de l'expérience irakienne, il nous semble que c'est la seule perspective de résolution durable du conflit en Afghanistan. Que le lecteur puisse en juger, surtout de l'intérêt qu'elle représente, «arrêter le massacre». S'il y a une autre possibilité de sortie de crise, que les lecteurs se penchent sur ces conflits et essaient d'apporter une réflexion susceptible de donner une vision stratégique sur un dénouement à ces guerres qui ensanglantent le monde. *Chercheur |
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