|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Suite et fin
Cependant un indécidable de Godël est seulement relatif, on ne peut pas tirer de son théorème que nous sommes supérieurs à nos propres machines, restons donc modestes. Positivisme, instrumentalisme, nominalisme et formalisme, voilà les noms de doctrines qui tentent de libérer les idées, et c'est avec détermination que l'esprit humain est imprégné de l'existence de certaines vérités qu'il n'arrive pas, à l'heure actuelle à démontrer, et que le futur de l'humanité espérera trouver. Le dilemme entre le rêve d'Einstein d'une équation déterministe et l'indéterminisme de la mécanique quantique ne pourrait être résolu que par une théorie à venir. Certains insinuent (en s'appuyant sur les résultats en biotechnologie, le code ADN et la différentiation inouïe de milliards d'être humains) que l'Univers tout entier ne serait qu'un super Ordinateur dont nous ne serions que de simples instruments simulés, le tout dans une hallucination collective aux mains d'un «grand programmateur». Descartes (je pense donc je suis) tente de se persuader que le monde n'est pas un rêve. Les plus audacieux disent que la réalité n'est qu'informations, comme quelqu'un qui verrait le monde qu'à travers son ordinateur, il ne doit pas déduire qu'il est «pixélisé». «Le but de la physique n'est pas de découvrir ce qu'est la nature mais ce que l'on peut dire sur elle» disait Niels Bohr. Reconsidérer aujourd'hui les sciences fondamentales comme des vecteurs de l'information à la lumière des avancées en informatique, peut être une épistémologie pure qui concentre le savoir dans une métathéorie sur, non pas le système lui-même, mais sur l'information que nous disposons sur ce dernier. Le vivant applique, plus qu'il n'invente, la propriété selon laquelle le complexe émerge du simple par auto-organisation. Ceci conforte l'approche évolutionniste dans une dynamique de populations au détriment de celle de l'individu et où la sélection naturelle ne garde que les meilleurs pour se reproduire. Les systèmes multi-agents sont un exemple de cette modélisation comportementale, «La vie n'est qu'une affaire d'organisation et de structure» énonce J.P. Rennard d'où l'idée pour un informaticien de la reproduire sur un support visuel. Les simulations à l'instar de celle des colonies de fourmis, montrent que l'individu, tel que postulé dans la théorie Darwinienne, se sacrifie au profit de l'intérêt général. L'adaptation génétique des futures générations tient compte de l'environnement dans lequel vivent présentement les populations. Stephen Wolfram pense, par exemple qu'une exploration systématique sur ordinateur nous permettra de trouver «le programme simple à la base de l'Univers», et donc qu'en fait, le hasard de la nature n'est qu'un pseudo-hasard, ou un hasard simulé. La science semble vouloir dépasser la fiction; les projets de fusionner l'homme et la machine ne sont plus au stade de laboratoires, les mécanismes tels que la vision artificielle sont là pour témoigner que rien ne peut être un handicap. Néanmoins une modélisation ultime qui met en commun, à travers les réseaux d'échange d'information, les principales disciplines autour de l'informatique reste, pour l'instant un grand chantier. Cette nouvelle Informatique ouvre quelques perspectives intéressantes dans une définition thermodynamique de l'intelligence en donnant un aspect pragmatique à tout objet de raisonnement. Un concept dont on a prouvé l'existence n'est pas plus utile qu'un objet abstrait tant que la preuve de son existence n'est pas constructive, ceci pour dire qu'un concept inutile a peu de chance d'exister statistiquement parlant. Le problème sémantique entre entropie physique et statistique (qui est une mesure du «désordre») est résolu en ajoutant à cette dernière une entropie algorithmique pour retrouver la première, et ce afin de rendre compte de l'effet mesure. Selon W.Zurek, et de façon lapidaire, quand on effectue une mesure on diminue l'ignorance (l'entropie statistique diminue) mais on s'encombre de résultats (l'entropie algorithmique croit), d'où l'idée que l'effacement de l'information a bien un coût thermodynamique incompressible. Cette lame de fond informationnelle, favorisée par des simulations numériques sur les systèmes dynamiques bouleverse notre vision du monde et même notre raisonnement logique. La modélisation informatique a fait voler en éclats les frontières entre le système réel et celui qui le représente en machine, faisant des mathématiques, de la physique, de la biologie et de l'informatique des sœurs ayant pour origine «la complexité». En vertu de cette réduction computationnelle, tout (ou presque) a son équivalent numérique au point où il n'est pas étonnant d'avoir une image numérisée de l'entropie. Cette «machinisation» de l'homme dans le monde contemporain montre que l'immatériel, dont l'idéologie n'est qu'une lecture obscurantiste, marque cette civilisation technique, et asservit l'homme à ses propres produits technologiques. Le réalisme scientifique est la croyance qu'il existe quelque chose indépendamment de notre observation. Notre soif de valeurs universelles devient notre seule parade contre cette globalisation matérialiste qui envahit notre quotidien, elle doit stimuler nos recherches dans la refonte de notre éducation et l'analyse de nos repères dans la société. C'est la clairvoyance qui donne conscience à l'homme du bienfondé des éléments de connaissances qu'il produit. Si les mathématiques sont universelles, c'est qu'elles ne dépendent pas de l'individu, les concepts précèdent le but pour lesquels ils auraient été conçus ou seraient appliqués. En physique, ce réalisme est abstrait pour certains qui pensent qu'il y a un réel, mais que ce dernier demeure inaccessible à notre compréhension. Ne pouvant s'affranchir de ce regard extérieur pour nous évaluer, la science peut-elle vraiment donner une description non subjective des phénomènes ? En mathématique le réalisme finitiste se limite aux objets finis (graphes, entiers, ..) où toutes les démonstrations se représentent par des computations de symboles (systèmes formels). Le théorème des quatre (04) couleurs ou la conjoncture de Robbins ont été démontrés par ordinateur grâce à l'exploration d'un nombre «inhumain» de cas à vérifier. Est-ce qu'un programme infini pourrait prouver un théorème ? Est-il admissible pour l'esprit humain de se contenter de ce genre de démonstrations ? Est-ce qu'un mathématicien pourra vérifier (et donc accepter) un théorème de six cent pages produit par ordinateur ? Un exemple de théorème prouvable par ce genre de programme est le suivant : «il existe une infinité de nombres n tels que n et n+2 sont premiers». L'informatique, nouvelle science pratique mais qui pose les fondements du calcul possible repousse les limites de notre connaissance, et fait jouer au hasard un rôle clé au cœur même des mathématiques. En effet, que signifie un théorème vrai à 99 % ? Ces découvertes stipulent la supériorité des mécanismes de démonstrations formelles, mais il est quand même intéressant de savoir qu'une solution n'existe pas, cela peut nous épargner tous les efforts (de toute nature qu'ils soient) de la rechercher. Cette asymétrie logique qui fait qu'une loi peut être définitivement réfutée mais jamais définitivement acceptée nous pousse parfois à chercher dans la «mauvaise» direction (ou bonne c'est selon). Montrer l'inexistence d'un objet, même au péril d'une frustration n'est pas moins intéressant que de montrer son existence. Les ordinateurs, à l'opposé de l'homme ne sont pourtant pas conscients de la puissance de leurs résultats. Malgré qu'ils arrivent à nous battre dans les échecs, ils ne peuvent savoir d'eux même qu'ils sont non contradictoires, ils nous débarrassent heureusement de notre impuissance à fouiner dans l'infini mathématique quoique cette immensité possède quand même une limite : L'ordre de 10 puissance 10 puissance 98 est l'horizon de tout comptage imaginable même dans le cas privilégié d'une machine de la taille de l'univers. Apte à appréhender objectivement le réel ne signifie pas pour autant écarter l'analogie entre vocation scientifique et vocation apostolique afin de rentrer en communion avec les savants authentiques. Pour nous musulmans, elle nous incite à repenser l'enseignement de l'histoire et de la philosophie des sciences de manière à contribuer au développement de notre société, de faire prévaloir l'humanisme dans ce monde de «bits» (apostropher à de «brutes»), dans le sens surtout de l'ouverture de l'islam vers la modernité. Nous avons cette prédisposition par le fait de croire en un au-delà qui est la finalité de nos actions, d'agir dans le sens de la recherche du paradis. Je ne vois pas pourquoi être complexé devant une institution qui écarte toute méthodologie en dehors de celle basée sur un examen impartial des faits ? Il n'y a pas de voie royale comme il n'y a pas de honte à affirmer sa personnalité, ce statut inconfortable de la recherche fait qu'elle ne peut être monopolisée. La théorie de la complexité telle qu'abordée sous le prisme de l'intelligence artificielle, tout en reproduisant les comportements humains par la machine, nous a ouvert la porte vers un nouvel espace de débats sur l'intentionnalité et l'impuissance de la science à tout expliquer, débat qui va durer aussi longtemps que la science n'aura justement pas tout expliqué. Il y a plusieurs programmes qui font la même chose, plusieurs manières de faire de la musique ou de la peinture, alors pourquoi s'imposer une seule rationalité scientifique ? On vient également de voir que nul n'est apte à s'autoproclamer détenteur de la vérité ou s'en porter garant. S'aventurer à montrer l'existence, ou au contraire l'inexistence dans la métaphysique en usant de procédés scientifiques risque d'être confronté au problème de l'indécidabilité, mais à en croire les déclarations de Davis et S.Hawking, la métaphysique serait davantage l'horizon de la science que sa préhistoire. La plupart des scientifiques croyants maintiennent leurs convictions en raison du sens qu'elles donnent à leur vie, et de la finalité que cette dernière nous fait prendre conscience. L'homme à travers la recherche de la servitude volontaire et idéalisée qui le rendrait maître et possesseur de la nature, se serait donné à travers les ordinateurs, les outils et le prolongement de ses activités intellectuelles dont il fabriquerait non seulement une image, mais en serait capable de retracer tout l'historique. En dehors du fait indéniable qu'elle procure aux chercheurs dans le partage des connaissances à travers Internet les TIC, qu'elle a mis à la disposition de l'analyse des données en particulier, un moyen de calcul et de précision par excellence, l'informatique vient en outre, nous apporter aujourd'hui un appui de taille à la philosophie des sciences. Elle nous aide à comprendre les limites de l'exercice de la pensée et sa projection dans le monde des machines auxquelles elle s'acharne (à ses risques et périls) à déléguer une partie de l'intelligence humaine. Mais enfin, si notre imagination peut monter de niveau de raisonnement et d'abstraction, si la méthode informatique mise en exergue nous aide à assimiler notre origine, notre évolution et surtout vers quel ultime destin nous aspirons, si les arguments anthropique, cosmologique et ontologique réunis marqueraient pour toujours la science d'un goût d'inachevé, si on est capable de se poser toutes ces questions parce qu'il est écrit que nous sommes nés pour réfléchir, peut être celle de savoir si l'Univers est simple ou complexe nous restera à jamais et délibérément insoluble. *Professeur en Informatique, Université d'Oran |
|