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Reportage : Le «marché du mercredi», une verrue à El Othmania

par Houari Barti

C'est un marché dont le périmètre est grand comme cinq terrains de football. Chaque mercredi, il s'installe en plein milieu des cités d'habitation, squattant voies et places publiques et entrées d'immeubles. Son statut : marché informel avec des commerçants débarquant de toutes les régions de l'Oranie qui ne paient ni droits ni taxes à la collectivité.

Produits proposés à la vente : on y trouve de tout. Fruits, légumes, viandes non contrôlées (issues d'abattage clandestin), produits périssables ayant rompu la chaîne de froid, friperie, brocantes? Il s'agit évidemment du seul marché hebdomadaire sur le territoire de la ville d'Oran, connu sous le nom de « Souk Larbaâ » dans le quartier de Maraval (secteur urbain El Othmania). Un marché d'un autre âge qui semble résister au temps et au sentiment de rejet quasi-total qu'il suscite parmi les habitants du quartier.

Difficile d'estimer avec précision le nombre de personnes qui visitent le marché chaque mercredi. Ce qui est certain, toutefois, c'est qu'ils se comptent par milliers, voir des dizaines de milliers. Les autorités locales, en premier lieu la commune d'Oran, restent peu loquaces sur le sujet. Un sujet qui semble même les embarrasser. Les responsables communaux qu'on a pu solliciter évitent de trop s'attarder sur le sujet, laissant sous-entendre qu'il dépasse leurs « minces » prérogatives. Pourtant, le marché est situé sur le territoire de compétence de la commune. « Redorer l'image d'Oran en luttant contre l'anarchie urbaine » est pourtant devenu un leitmotiv dans le discours des locataires de l'hôtel de ville. « Oran n'est pas un douar. On ne peut pas faire n'importe quoi dans cette ville. Il y a des normes à respecter. Oran : perle méditerranéenne». Autant de phrases qu'on entend de manière récurrente dans la bouche de certains responsables locaux, qui ne manquent pas au passage d'afficher, parfois avec outrance, leur attachement pour cette ville qui les a vus naître. Un discours qui sonne cruellement creux si on l'applique au cas de figure de Souk Larbaâ. Un marché que les riverains n'hésitent pas à qualifier de « verrue » dans le quartier d'El Othmania, d'une colonisation (Istiâmar en arabe). Des mots durs et extrêmes qui traduisent un sentiment tout aussi extrême. Pour s'en rendre compte, il faudrait faire un tour par le quartier, le mercredi. Pas au moment où le marché bat son plein, mais juste après son retrait, soit aux environs de 14 h. Le spectacle offert aux yeux évoque tous les aspects d'une zone sinistrée. Des détritus de toutes sortes et à tout bout de champ. Des restes pourris de fruits et légumes, bien sûr, mais aussi des carcasses d'animaux et des bouteilles d'eau minérale remplies d'urine jonchent le sol. Les chiens et les chats errants et même des goélands complètent le décor de cette décharge publique située au milieu des habitations et à quelques mètres seulement du siège du secteur urbain. Les éboueurs de la mairie font ce qu'ils peuvent avec les moyens dont ils disposent pour rendre le site plus ou moins praticable. Mais avant l'intervention des agents de nettoiement, le vent et la chaleur auront fait leur effet.

Des odeurs nauséabondes infestent déjà les lieux et des centaines de sachets en plastique sont déjà accrochés aux arbres ou éparpillés dans des espaces verts déjà très mal entretenus.

INCOMPREHENSION ET MYTHES !

L'attitude des pouvoirs publics et surtout leur passivité face à ce problème restent cependant incompréhensibles pour les centaines de familles du quartier de Maraval. Pourquoi tolère-t-on un marché informel qui n'est soumis à aucun contrôle et dont le danger sanitaire reste avéré, en plein milieu d'une zone à forte concentration d'habitation ? Une incompréhension qui nourrit les explications et les théories les plus grotesques parmi les habitants du quartier. Genre : « le marché de Larbâa est soutenu par des gros bonnets », « C'est une grosse machine à sous où tout le monde trouve son compte » ou encore plus loufoque, « le marché n'est pas prêt à décamper parce que les épouses de gens très influents font leur marché ici ». Voila, en gros, le type d'explications qu'on peut entendre de la bouche de certains habitants du quartier qui semblent pourtant être des personnes très sensées. Sinon comment expliquer l'inexplicable ? Surtout que la zone en question possède désormais depuis le début de l'année deux marchés de proximité, après l'ouverture dernièrement du nouveau marché réalisé par la direction du commerce de la wilaya d'Oran. Un deuxième marché qui s'ajoute à celui des Glycines qui fait l'objet actuellement de travaux de rénovation. Le nouveau marché devait répondre non seulement à une demande réelle des habitants du quartier, mais aussi à un souci des pouvoirs publics à absorber le commerce informel. Mais, ironie du sort, chaque mercredi, les commerçants de ce marché n'ont d'autre alternative que de sortir de l'enceinte du marché couvert pour rejoindre le marché informel de Larbâa. Plusieurs millions de dinars ont été dépensés pour que, finalement, on ne fasse qu'agrandir davantage les rangs des commerçants de l'informel. Du pur gâchis, selon les commerçants du nouveau marché couvert. Pour eux, « ce nouveau marché n'aura aucun avenir tant que le marché hebdomadaire de Larbâa continue de se tenir chaque mercredi ». Ils prédisent même « un arrêt total de l'activité de ce marché » qui risque, disent-ils, tout bonnement de fermer ses portes, si les pouvoirs publics ne font rien pour mettre fin à cette « hégémonie » imposée par un marché hebdomadaire qualifié « d'informel et d'illégal ». Près de six mois après son inauguration officielle, le marché de proximité de Maraval peine toujours à faire recette. Plus de la moitié de ses locaux sont fermés, selon des commerçants rencontrés sur les lieux « faute d'une clientèle régulière ». Pourtant, le marché est situé dans une zone à forte concentration de population et tout le prédestinait à répondre à une véritable demande.

Un succès qui dépendait de la fermeture du marché hebdomadaire de Souk Larbâa qu'abrite le quartier chaque mercredi. L'ouverture du marché de proximité avait suscité, particulièrement parmi les habitants du quartier, de grands espoirs de voir Souk Larbaâ délocalisé vers un autre site plus adapté. « Nous avons saisi par écrit les autorités locales au moins une trentaine de fois pour la délocalisation de Souk Larbâa, mais sans résultat. Tant que Souk Larbâa continue à se tenir, le marché de proximité de Maraval est condamné à la faillite », affirme, dépité, le représentant des commerçants de ce marché.