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Construire avec le peuple

par Bouchan Hadj-Chikh

Si l'Egypte fit don à l'humanité d'un architecte de génie comme Imhotep - qui veilla, à Saqqarah, au cours de la troisième dynastie, à la construction de la pyramide de Diéser ? nous lui devons d'avoir récidivé, à travers Hassan Fathy.

Pour cet autre architecte l'acte de construire n'est pas affaire de béton. Mais de recherche de matériaux et, surtout, de traduction de la vie des peuples en habitat. Brillant préfacier de « le M'Zab, une leçon d'architecture », d'André Ravéreau, il écrivait : «Si quelqu'un doute de la possibilité de laisser le peuple construire ses maisons, qu'il aille voir en Nubie. Il y verra la preuve matérielle que des paysans sans instruction [...] peuvent faire beaucoup mieux qu'aucune politique du logement ».

En 1969, il développa ses observations et idées dans un remarquable ouvrage : « Gourna, histoire de deux villages », traduit en français, l'année suivante, sous le titre « Construire avec le peuple ». Somme d'observations in-situ et de voyages et d'études au service du projet la « Cité du futur » du cabinet grec Constantin Doxiadis.

Il n'est pas un seul architecte algérien, digne de ce nom, qui ne soit familier des travaux de Hassan Fathy. Sauf que cela ne se voit pas. Ni de près, ni de loin. Il n'est pas un seul architecte algérien qui n'ait été secoué par l'ouvrage d'André Ravéreau qui parcourut les villes du M'Zab, dès 1949, encore étudiant, et qui y demeura, à partir de 1959, pour y installer son « atelier du désert ». Là, il puisa dans le géni de ce peuple, une autre architecture respectueuse de l'environnement qu'il qualifia d' « exemple le plus achevé d'une adaptation aux conditions du milieu ».

En 2012, à l'âge de 93 ans, ce natif de Limoges fut élevé au rang d'Achir de l'Ordre du mérite national d'Algérie. Il fut chargé de mission de l'UNESCO pour sauver la citadelle de la Casbah. Il obtiendra la classification au Patrimoine de l'UNESCO de la ville de Ghardaïa et de la mosquée de Sidi Okba menacée de démolition suite aux dégâts occasionnés par des inondations. Il aura surtout fait découvrir aux architectes ce qui était sous leurs yeux et qu'ils ne voyaient pas.

Hassan Fathy et André Ravére au se lamenteraient, aujourd'hui, à parcourir les campagnes et les villes de l'Algérie, devant le désastre urbanistique et architectural. Ils rejoindraient, dans leurs lamentations, celles du journaliste d'El Watan, Meziane Ferai, qui me grilla la politesse ? et je l'en félicite - en abordant le sujet dans un article publié le 31 Mai. Mon confrère s'interroge sur « l'alliance du béton et de la bêtise qui fonde l'entreprise d'enlaidissement systématique du pays » Il ajoute : « Pourtant, nombre de décideurs, de retour de voyage, ne manquent pas dans leur intimité ? et avec poésie parfois ? de louer la beauté et l'harmonie des villes étrangères qu'ils ont visitées ! ».

Les bonnes questions avaient été posées pourtant.

Dans les années 70 un jeune architecte de la ville d'Oran s'interrogeait sur ce que devrait être le plan d'urbanisme de la ville. Je serai curieux de savoir ce qu'il est devenu. Lui. Et ce qu'il advenu de son plan. Dans les années 80, ceux qui prirent en charge certaines villes passaient leurs vacances ailleurs et en revenaient éblouis, comme le soulignait le chroniqueur d'El Watan. D'accord. Ca ne les a pas empêché de signer des attributions de terrain et pris d'autres décisions qui conduisirent à « cochonner » des quartiers entiers, hideuses constructions de maisons d'un étage dont les rez-de-chaussée sont consacrés au commerce du gros. Avec ce qui sous tend ces activités, des camions livrant et chargeant des produits de toutes sortes. Dans un charivari de l'autre monde.

Une insulte au bon goût. A l'esthétique. A la vie, simplement.

Où logent-ils donc ces responsables qui sont coupables d'agressions et de tortures de la ville ?

Ailleurs, sous d'autres cieux, des villes s'humanisent progressivement en encourageant le « vertical farming », les fermes verticales, qui tapissent les murs des immeubles de New York de plantes pour couvrir quatre fois la superficie de Central Park. Là, on prend aussi possession des toits des immeubles pour planter des légumes et des herbes. Ailleurs, on régénère la vieille coutume de la culture vivrière le long des voies ferrées ? non pas pour concurrencer le commerce mais pour se réapproprier l'espace de vie ? quand nous en sommes à cultiver l'absurde, importer des voitures particulières en même temps que nous développons, ou tentons de le faire, les réseaux des tramways ou de métro.

Nos cités nouvelles, et celles que nous nous promettons d'occuper sont ? et je le crains, seront, davantage - les copies des anciennes agglomérations post indépendance dont les murs sont aujourd'hui parcourus d'eczéma. Le poète entendra les anciennes constructions promettre aux plus récentes le même sort que le leur, pointant du doigt le ravalement des façades qui n'auraient pu se faire sans appel à une entreprise espagnole. Toute honte bue des habitants et des promoteurs de l'idée.

Arrêtez vous un instant devant ces ensembles anarchiques dans les quartiers périphériques de nos ville. Promenez vous dans la périphérie des villes et vous y verrez ce que deviendront les cités actuelles dans une dizaine d'années. Ni centres de socialisation ou de rencontres, ni centres de loisirs, de jardins pour s'aérer les poumons. Ni perspectives. Du béton. Et, au bout, le « charme » des violentes banlieues.

Des quartiers résidentiels d'Oran sont devenus zone de commerce effréné, agréé par des irresponsables locaux. A Alger, du 8ème étage de l'immeuble le Paradou de Hydra, la vue plongeante vers l'horizon se heurte aux constructions de béton de là où, un temps, le regard pouvait se perdre dans les plaines du lointain.

Hassan Fathy combattait la prétention européo-occidentale de donner des leçons de vie dans un habitat prétendument décent et moderne quand lui s'acharnait à valoriser la continuité et l'amélioration de l'habitat de nature et de dimension humaine qui se construit autour de l'homme. Il a travaillé « en vue de développer une identité architecturale qui pourrait renforcer celle de la nation ». Il a « révélé la manière dont l'architecture pouvait être considérée comme un outil pour la transformation et la résistance sociale et politique ». Au profit de l'homme.

L'homme ? Qui le mettra au centre des préoccupations ?

Qui en fait son souci ?

Sabrina Rahmani, médecin généraliste et militante écologiste (mais oui ! Ca existe et ça milite même), déclarait dans un entretien publié par « Reporters » le 2 Juin : « il est temps de nous organiser pour la défense de l'environnement ». Et l'habitat en est sans doute le pilier.

Elle ajoute : « une étude du CNES a mis en évidence que nous avions un engagement associatif des plus faibles ».

Et pourquoi donc, Madame ?

Parce que « beaucoup d'associations rencontrent des difficultés après la mise en application de la nouvelle loi sur les associations. »

Qui sont les empêcheurs de tourner en rond ?

Ceux qui s'acharnent à gérer une ville, un pays comme on gérerait une miteuse épicerie familiale. Qui ne savent pas conjuguer le verbe consulter pour construire avec le peuple.