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Faut-il détester la Coupe du monde ?

par Cherif Ali

Ils préfèrent un ballon qui roule, à la construction d'une école ! (parole de brésilien).

L'agitation au Brésil a commencé en 2013, lorsque le peuple est descendu dans la rue pour protester contre l'augmentation des prix dans le secteur des transports publics. Le mouvement s'est par la suite intensifié allant jusqu'à prendre les contours d'une fronde populaire, pour dénoncer les dépenses excessives du gouvernement à l'occasion de l'organisation de la coupe du monde.

En 2008 déjà, un brésilien sur dix y était opposé ; aujourd'hui ils sont quatre sur dix à se révolter, presque quotidiennement, contre la décision de la présidente de la République, Dilma Youcef, d'abriter cette compétition, alors que le pays est en difficulté ; l'Etat d'urgence aurait été même instauré à Rio de Janeiro où 250 000 personnes ont été déplacées et leurs habitations de fortune détruites pour faire place à un parking.

D'ordinaire, tout s'arrête au Brésil pour la coupe du monde de football ; mais cette fois c'est différent, on est loin de la carte postale de la samba, du carnaval et les habitants veulent montrer l'image d'un pays où règne des disparités.

La coupe du monde 2014, se jouera, très certainement, au Maracaña, mais elle risque, aussi, de se dérouler dans les rues des favelas et d'ailleurs ; la contestation sociale d'ailleurs, ne faiblit pas et beaucoup pensent, qu'en définitive, cette coupe du monde ne profiterait qu'à Sepp Blatter et la Fédération Internationale de Football. (FIFA), au moment même où la population a besoin de plus d'hôpitaux, d'écoles, de logements, de transports et d'emploi.

Cette dernière a commencé déjà à imposer son diktat :

1. d'abord par la voix de Michel Platini qui, commentant, cyniquement, les manifestations au Brésil, avait déclaré à la presse internationale : « (?) si les brésiliens peuvent attendre un mois avant de faire éclater leur colère, ça serait déjà bien (?) »

2. ensuite, en imposant au pays organisateur sa propre loi, qui met sous l'éteignoir, le temps du championnat du monde, toutes les dispositions légales en matière de libertés individuelles notamment celles relatives à la grève ou au droit de manifester ; on prétend même que la FIFA a demandé au Brésil de mettre en place des « tribunaux d'exception », le temps de la coupe du monde.

Cela n'impressionne pas, pour autant, les brésiliens qui n'en démordent pas et le font savoir : « FIFA rentre chez toi ! », lit-on sur certaines pancartes vues à la télévision.

Vu de l'extérieur, cela paraît incroyable ! Des brésiliens qui s'opposent à l'organisation d'une telle manifestation existent réellement ! Ils ne proviennent pas des quartiers défavorisés, comme on serait enclin de le croire, car ces derniers dans leur grande majorité ne regardent pas le football à la télévision ; ils ne vont pas, ou presque pas, au stade compte tenu de la cherté du prix des billets d'accès mais aussi pour une autre raison : ils sont occupés, tout le temps, chômeurs qu'ils sont, à le pratiquer, dans les terrains vagues mitoyens à leurs habitations faites de bric et de broc. Pour oublier leur condition sociale difficile.

Ceux qui contestent la coupe du monde appartiennent aussi à la classe moyenne ; ils sont contre le gouvernement et contre la FIFA dans ce qu'elle représente comme hydre capitaliste : une multinationale itinérante et inhumaine, de celles qui décident de l'implantation d'énormes temples dédiés à la pratique du ballon rond et qui, en définitive, ne serviront plus à grand-chose, une fois la coupe du monde terminée.

Comme en Afrique du Sud où les autorités instruites par Blatter et Consorts ont bâti d'énormes stades aussi dispendieux que disgracieux et qui aujourd'hui, ne pourront jamais faire le plein de spectateurs ; les économistes appellent ça « des éléphants morts ».

Au Brésil, les habitants en crise parlent de gabegie et pensent que Brasilia et les stades du Nord-est ne serviront plus, une fois la coupe du monde terminée. La facture est salée et elle tournerait autour de 10 milliards d'euros selon ce qu'on a pu lire dans la presse ; c'est la coupe du monde la plus chère de l'histoire, dit-on :

Et les brésiliens n'ont en pas fini avec les dépenses et les dettes qui en résulteront, puisque Rio et leurs villes accueilleront dans deux ans, les jeux olympiques !

Quant aux cariocas, ils tiennent, paradoxalement, à leur coupe du monde et espèrent même la gagner une sixième fois ! Et si demain la FIFA décidait de retirer au Brésil l'organisation de ce championnat, pour cause d'agitation sociale, la moitié des brésiliens s'insurgeraient.

Mais voilà, le pays connait des soubresauts régulièrement, depuis maintenant, une année ; les gens manifestent aux cris de « FIFA go home, retourne en Suisse ! » Ils pensent que leurs revendications sociales sont légitimes ; leur mouvement produit des ondes de choc et fait trembler les pontes de Genève !

Dans un pays que l'on nous disait totalement envahi par cette religion du football, c'est étonnant tout de même ; l'explication pourtant est simple affirme-t-on du côté des observateurs de la politique nationale brésilienne : le gouvernement est de gauche et il fait une politique de droite !

C'est une des raisons, sinon la raison principale de l'impopularité de la coupe du monde.

Il y en a d'autres :

1. les billets d'accès aux stades sont chers : situés entre 20 et 60 euros, ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses

2. les transports publics sont rares et hors de prix

3. l'attachement sentimental des brésiliens à leur équipe nationale a diminué d'intensité, comparativement aux autres éditions de la coupe du monde où tous les joueurs sélectionnés étaient des locaux ; dans l'équipe actuelle, il n'y aurait que le joueur Fred qui joue dans un club local d'où le détachement des cariocas

De ce qui précède, peut-on espérer que, cette coupe du monde va faire rêver ? Et dans quels domaines ?

L'ECONOMIE, PAR EXEMPLE ?

Là, les avis divergent :

1) Selon certains experts, il existerait des retombées positives sur l'économie du pays organisateur en cas de victoire finale. Celle-ci, sans être une conséquence systématique peut, aussi, être un facteur important, comme en France, par exemple, où le P.I.B (produit intérieur brut) a maintenu une progression de manière confortable en 1998 (3,5 %) et 1999 (3%), après la victoire des Bleus.

Cela s'expliquerait par :

? l'afflux des étrangers dans le pays durant le mois de la coupe du monde et également les périodes qui s'en suivent, ainsi qu'une manne touristique qui profiterait au commerce tous secteurs confondus

? la victoire en finale, du club local stimule le moral de la population et accélère la consommation et partant améliore la production dans tous les secteurs

2) Pour d'autres, il n'existerait pas de corrélation et l'exemple de l'Espagne, champion d'Europe et champion du monde est là pour le démontrer ; le pays n'est pas sorti de la récession économique et connait un taux de chômage supérieur à 25% malgré les succès footballistiques de son équipe nationale.

3) Certains, plus pessimistes, comme Marc Touati, du cabinet AC Défi, ne voient même pas « l'effet coupe du monde » et prétendent que certains secteurs vont profiter du mondial et cela va impacter, temporairement, sur le moral des ménages, mais la réalité restera la même partout, avec comme en France en 1998, un chômage élevé, une croissance atone, une pression fiscale élevée ; il y a un petit répit pour le gouvernement, sans plus.

LA POLITIQUE ?

Oui, certainement, l'organisation d'une coupe du monde permet au gouvernement concerné de souffler et de faire oublier ses erreurs de gestion, voire même le peu de cas qu'il fait de la bonne gouvernance ou de la démocratie en temps normal. Ce même gouvernement promet à la population de « raser gratis » le temps de la compétition et affiche les meilleures dispositions pour passer aux yeux des étrangers qui séjournent chez lui, comme un gouvernement modèle. Badigeonnage et bricolage ! Ce sont ses deux mamelles pourvu que les quartiers « livrés » aux étrangers, le temps de la compétition, apparaissent comme des havres de paix où il fait bon vivre.

Il ne lésinera pas sur les budgets, notamment celui de la publicité, la sienne en fait, et au passage, il ne manquera pas d'arroser sa clientèle.

LE MONDE DES AFFAIRES ?

Il est plus qu'intéressé, à l'exemple de l'argent des sponsors qui coule à flot pendant la coupe du monde. Et le retour sur investissement qui s'en suit ne profite pas aux citoyens ! Comme dit l'adage, dans le fond, le football ressemble à l'économie, donc aux affaires ; une majorité de personnes assiste au spectacle, souvent en se privant de choses essentielles, mais seulement une minorité commerçante et agissante en profite et perçoit les dividendes.

Et en chef d'orchestre, règne la FIFA et la longévité du règne de ses présidents : Blatter, par exemple, 76ans est à son 5ème mandat, alors qu'en comparaison, le Secrétaire Général de l'ONU n'en fait que deux !

En matière de rififi, la FIFA n'est pas en reste ; l'exemple le plus frappant nous vient, peut être, du Qatar qui aurait « acheté son mondial » selon le Sunday Tunis, ce journal londonien dans lequel on a pu lire des révélations fracassantes sur ce pays qui a décroché, à la surprise générale, l'organisation de la coupe du monde en 2024.

On a ainsi appris que Mohamed Bin Hammam, ancien haut responsable du football de ce pays, suspendu de ses fonctions depuis, aurait versé 5 millions de dollars pour obtenir le soutien de quelques 30 représentants de la puissante FIFA ; quelques 200 000 dollars auraient été versées, à partir de caisses noires, à des associations sportives plus 1,6 million au président de la CONCACAF et ex-vice président de la FIFA pour avoir leur soutien. Le Qatar, malgré ses avatars et sauf rebondissements de dernière minute, organisera le mondial 2024, en hiver ; aujourd'hui Sepp Blatter qui avoue que cela a été une erreur de confier le mondial à ce pays du Golf, n'est pas crédible, lui qui a été jusqu'à autoriser le port du voile et du turban dans les stades, pour faire plaisir aux émirs ; il a été aussi jusqu'à fermer les yeux concernant les dures conditions de travail auxquelles sont soumis les ouvriers asiatiques employés dans les chantiers qataris.

CHEZ NOUS ?

L'heure est à l'euphorie de la qualification de l'EN et la polémique joueurs locaux Vs joueurs professionnels est dépassée ; il faut désormais, à j-7, faire bloc autour de l'équipe nationale de football et surtout ne pas critiquer les choix de Vahid Hallilozïc !

Rêvons d'un deuxième tour historique ! Dans l'absolu, ni les formations Belge, Russe ou Sud-Coréenne ne sont supérieures à la notre, même si les bookmakers donnent l'équipe de la Belgique favorite du groupe ; les formations partant à égalité, pourquoi s'agite-t-on alors dans le landerneau, s'est interrogé un journaliste ?

Les raisons sont, certainement, multiples et peut-être même d'ordre extra-sportif ; laissons-les à ceux qui ont en fait leurs choux-gras et qui seront les plus zélés admirateurs des fennecs et de leur entraineur en cas d'une première victoire face à la Belgique.

Qu'est-ce qui ne va pas alors ? Pourquoi faire la fine bouche alors que le mondial se présente, « footballistiquement » parlant, sous les meilleurs hospices, nonobstant l'absence de Zlatan Ibrahimovïc et peut-être celle aussi de Franck Ribery ; le spectacle en pâtirait, peut-être pas, quoique !

Sont-ce alors les déclarations d'Abdelmalek Sellal qui, dans l'euphorie de la campagne présidentielle a déclaré : « si l'équipe nationale s'est qualifiée, à deux reprises, au mondial, c'est grâce à Abdelaziz Bouteflika », ou les propos attribués par une chaine de télévision privée algérienne à Samir Nasri « qui aurait affiché son soutien aux fennecs, leur souhaitant de passer au tour suivant et prédisant, dans la foulée, une branlée aux bleus dès le premier tour » ?

Non, pas vraiment, en fait, ce qui dérange est contenu dans le slogan officiel de l'équipe algérienne baptisée, pour la circonstance, «Les combattants du désert arrivent au Brésil», au moment où la France affiche le fameux «Impossible n'est pas français», l'Allemagne «Un matin, une équipe, un rêve», le Chili «Chi, chi, chi, le, le, le allez le chili !», l'Argentine «Nous ne sommes pas une équipe mais tout un pays » ou encore le Brésil avec son «Préparez-vous la sixième arrive !».

Les slogans de nos adversaires directs, la Belgique, par exemple, avec son «Attendez vous à l'impossible », la Corée du Sud «Profitez ce sont les rouges !» ; ou la Russie affichant «Personne ne peut nous attraper !» tranchent avec notre «Combattants du désert?» qui fait pâle figure et pour le moins, prête à équivoque au regard des turbulences que connaissent le Sahel et certains points du Sahara.

FRANCHEMENT, QUI A EU CETTE IDEE SAUGRENUE :

d'affubler des jeunots comme Boudebouz, Mendy, Mahrez ou encore Bentaleb du haut de ses 19 ans et les autres de cette appellation « guerrière », eux, respectueux des adversaires et de l'arbitre et qui ne connaissent du désert que les abords du centre de Sidi-Moussa ou les parties sablonneuses de Tchaker ?

de faire l'impasse sur le fameux et le non moins génial « one, two, three, viva l'Algérie !» qui a, non seulement, ébranlé la dynastie des « Al moubarek » mais aussi résonné dans les cinq continents où notre emblème national a été, fièrement, déployé par d'intrépides et non moins patriotes algériens, nullement, impressionnés, aujourd'hui, par les menaces du front national qui, d'avance, veut leur interdire de manifester leur joie à venir, dans l'hexagone,

Alors, disons-le sans ambages, il faut :

primo, abandonner l'appellation inappropriée citée supra ! en faire le label des fennecs et le breveter

Tertio, puisqu'on y est, constitutionnaliser ce slogan et le déclarer patrimoine national.

En conclusion, faut-il détester la coupe du monde de football au motif que ce sport appelé « religion » par certains, « opium du peuple » par d'autres, permet toutes les dérives politiques, économiques et mêmes humaines, dès lors que les joueurs ne sont plus maîtres de leur destin, puisqu'aujourd'hui, ils relèvent des clubs et sont transférés, par devers eux, au gré de leur propriétaire ?

Faut-il détester la coupe du monde au motif que ceux de chez nous qui se permettent de voyager au Brésil, tirent leur revenu, pour certains, du secteur de l'informel voire même d'activités occultes ?

Faut-il détester la coupe du monde au regard du risque épidémiologique encouru par les supporteurs qui, fatalement, pour un certain nombre d'entre eux, laxistes, n'échapperont pas, à la fièvre jaune comme leurs congénères qui se sont déplacés à l'époque, au Burkina Fasso et qui ont ramené dans leurs bagages et dans leurs corps la malaria ? En plus du corona virus, qui lui n'a pas attendu le grand pèlerinage pour se manifester dans notre pays ?

Alors vraiment, faut-il détester la coupe du monde dont beaucoup d'entre nous ne pourront même pas voir l'ensemble des matchs voire même ceux des fennecs, par la faute de l'intransigeance d'El jazeera et de sa filiale « Bein sport », qui, ironiquement, répètent à l'envi qu'il faut supporter les fennecs dès lors que l'équipe représente l'ensemble des pays arabes ?