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Hommage à Mohamed Boudiaf : L'Homme qui parlait au nom du vent

par Salah Lakoues

Avant que ne tombe la poussière.

Ils l'avaient cru lointain, effacé par l'oubli,

Un nom parmi d'autres, un rêve ralenti.

Mais le désert n'oublie pas ses lions, Ni les serments gravés dans l'horizon.

Il revint sans faste, sans or, sans armée. Avec pour seule arme une parole aimée.

Et quand il parla, le silence se tut : C'était l'Algérie qui reprenait vertu.

Il était revenu comme on revient d'un long exil intérieur,

Non pas pour prendre, mais pour donner ;

Non pas pour régner, mais pour réparer.

Son nom flottait dans les mémoires,

Comme un murmure oublié du 1er Novembre,

Comme une promesse laissée en jachère

Dans les silences d'un peuple trahi.

Mohamed Boudiaf,

Homme de l'aube, homme de la roche sèche et du verbe clair,

Avait le regard de ceux qui ne se sont jamais compromis,

Et le cœur des bâtisseurs de nations.

Il n'avait pas vieilli dans les salons dorés du pouvoir,

Mais dans les marges de l'histoire,

Là où les justes attendent que le temps se souvienne.

Quand il reparut,

Ce ne fut pas sous les hourras d'un peuple hypnotisé,

Mais sous les soupirs d'une patrie épuisée,

Qui reconnaissait enfin un de ses enfants les plus purs.

Il parlait de justice, De redressement, De réconciliation.

Et chaque mot sonnait comme un clou enfoncé dans le cercueil de l'imposture.

Mais les ombres, elles, n'ont pas de patrie.

Elles ont des intérêts, des comptes à solder,

Et des silences à acheter au prix du sang.

Alors elles l'ont tué.

À Annaba,

Sous le regard d'un drapeau figé,

Le vent s'est levé.

Un vent de poussière et de honte.

Le sang d'un fondateur a coulé

Sur la tribune de la République,

Et l'histoire s'est arrêtée quelques instants, suffoquée.

Mais le vent ne meurt pas.

Il continue de souffler dans les cœurs libres,

Dans les rêves des jeunes qui refusent la fatalité,

Dans les marches silencieuses de ceux qui savent.

Boudiaf n'est pas mort.

Il est devenu souffle.

Souffle d'espoir,

Souffle d'éveil,

Souffle d'avenir.

Et un jour viendra,

Où ce souffle deviendra tempête,

Et où la République, lavée de ses trahisons,

Gravera dans la pierre ce que le peuple porte déjà dans son âme :

Ici repose un homme debout.»



Le Vieux Lion et la Promesse de l'Aube

Il était une fois, dans les confins d'un désert aussi vaste que les douleurs d'un peuple, un vieux lion que l'on croyait à jamais endormi dans l'exil. On l'appelait Si Tayeb el Watani, mais les plus jeunes ne connaissaient de lui qu'un nom oublié, soufflé par les vents de l'histoire : Mohamed Boudiaf.

Pendant des années, ce lion solitaire avait marché loin des siens, banni des arènes par la meute qui avait dévoyé le rêve de la savane libre. Il n'avait pas voulu plier, ni rugir pour le compte des traîtres au Serment du 1er Novembre. Alors il s'était tu. Il avait préféré le silence digne à la compromission, le combat de l'ombre à la chasse corrompue des puissants.

Mais un jour, la terre d'Algérie - cette mère blessée, aux entrailles déchirées par la voracité des chacals et des hyènes - lança un cri. Un cri rauque, venu du fond des entrailles d'un peuple meurtri. C'était en 1992. Le pays vacillait, entre le feu des extrémismes et le poison de la bureaucratie. Alors, on se souvint du vieux lion.

On alla le chercher au-delà des dunes, dans sa tanière marocaine, là où les mirages de gloire ne l'avaient jamais tenté. Il fut surpris. Mais pas hésitant. Il savait que l'on ne refuse pas l'appel du sang et de la terre. On l'invoquait non comme un roi, mais comme un père, un justicier, un redresseur de boussole dans la nuit algérienne.

Quand il revint, le ciel d'Algérie parut s'éclaircir. Le vent changeait, les cœurs s'ouvraient, et l'espoir, ce phénix trop souvent brûlé, battait à nouveau de ses ailes. Boudiaf ne promettait pas de miracle. Il parlait de devoir, d'éthique, de justice. Il voulait purifier la source, déraciner l'arbre tordu, dénoncer les voleurs de la révolution.

Mais il avait oublié une chose : dans une jungle infestée de serpents, le rugissement du lion dérange plus que la morsure. Ses mots étaient des torches dans les couloirs obscurs du pouvoir, et les ombres n'aiment pas la lumière. Alors, ils décidèrent qu'il devait se taire. À jamais.

Un jour de juin, dans une ville appelée Annaba - la perle oubliée de l'Est - une balle venue des entrailles de la trahison fit tomber le vieux lion. Devant les caméras, devant le peuple. Il s'effondra comme s'effondrent les mythes : debout, puis lentement, dans un fracas silencieux. Il ne put même pas achever son rugissement.

Ce fut un coup de tonnerre dans un ciel déjà chargé. Certains dirent que c'était un fou, d'autres un pion, mais le peuple, lui, sut. Il sut que l'on venait de tuer l'honneur, la mémoire, et peut-être la dernière chance de réconcilier le rêve algérien avec sa réalité. Aujourd'hui encore, sous les oliviers du souvenir, on entend parfois son nom murmuré par les anciens. Boudiaf n'est pas mort. Il dort dans le cœur de ceux qui rêvent d'une Algérie juste, fière, droite. Il est l'ombre qui veille, l'esprit du lion, prêt à revenir quand les chacals auront fini de se déchirer.

Et quand l'aube se lèvera enfin sur cette terre d'honneur, on entendra peut-être son rugissement, doux et ferme, dire au peuple : « Debout, fils d'Algérie. Le rêve n'est pas mort. Je suis là. Je vous regarde.»