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Le gaz de schiste n'est ni une bénédiction ni une malédiction

par Reghis Rabah*

S'il n'est ni l'une ni l'autre, alors, c'est quoi ? Tout simplement, un calcul raisonnable sous forme d'une fonction « objectif » à plusieurs variables qui lui sont ses propres contraintes pour sa solution. Ces contraintes peuvent être d'ordre technique, économique, sanitaire, environnemental, hydrique, parfois sociétal. Il faut dire que chaque pays intègre ces variables en fonction de ces conditions particulières qui lui sont propres et différentes d'un pays à un autre. Pourquoi en général, lorsqu'un pays opte pour l'option schiste, il a tendance à s'appuyer, voire « mimer » l'expérience américaine. Trois raisons renvoient à cette illusion : la première est leur législation unique au monde que très peu de pays l'ont suivie. Elle consiste par le simple fait que le citoyen américain propriétaire d'un sol, dispose librement de son sous-sol. Contrairement au reste du monde, il est Res Nullius. Ceci implique un suivisme des citoyens propriétaires pour en faire d'une découverte une ruée. Ce pays a connu la ruée de l'or, du pétrole et maintenant le gaz de schiste. Conséquence : l'Etat fédéral n'a de choix que de réguler ou en faire une stratégie. La deuxième raison est incontestablement sa façon d'évaluer ses réserves. La majorité des pays pétroliers et gaziers dans le monde évaluent 3 types de réserves : prouvées (P1), Probables (P2) et Possibles (P3). L'évaluation se fait en fonction de leur probabilité de l'occurrence soit 100% pour P1, 50% pour P2 et 5% pour P3. Les Etats-Unis ne comptent que les 100% prouvées, le reste vient avec. C'est pour cela qu'ils surexploitent leurs gisements jusqu'à l'épuisement total par ce qu'ils appellent les « scratched Wells». Pour épuiser de la sorte leurs gisements, les parapétroliers multinationaux développent une expertise efficace et rapide à la disposition des demandeurs. Justement, les producteurs américains sont revenus aux ressources non conventionnelles lorsqu'ils ont épuisé le conventionnel. Il faut juste au passage souligner que cette notion de « non conventionnel et conventionnel » ne réside pas dans la ressource elle-même, mais dans le « mode d'exploitation ». Ceci nous ramène directement à la « fracturation hydraulique » comme mode d'exploitation des ressources non conventionnelles. Cette forme d'exploitation pour produire la ressource est « hard » par rapport à la fracturation de puits de roche compacte pour extraire le pétrole surtout lorsqu'il est peu profond utilisés dans le conventionnel. Elle se pratique aux Etats-Unis depuis 1860. Ce n'est qu'à la fin de 1940 que l'idée des pétroliers d'utiliser l'eau sous une forte pression pour fracturer une roche pour augmenter sa production de pétrole et gaz. Débutée comme une simple expérience réussie par Floyd Farris de Stanolind Oïl and Gas Corporation en 1947, la fracturation hydraulique a été généralisée dans le monde entier à partir de 1950. Il fallait attendre le 21 siècle pour devenir un sujet de controverse. Pourquoi ? Parce que les organismes fédéraux, comme Energy Information Administration (EIA) ou Environnemental Protection Agency (EPA) manipulent les statistiques en fonction de la stratégie de l'Etat fédéral. Les Etats-Unis, pour dominer le monde, recherchent en permanence un vecteur de croissance ou bulle économique. Ce dernier siècle, on est passé par la bulle d'internet, puis celle immobilière et voilà maintenant le schiste américain qui a fait passer les Etats- Unis d'importateur net de gaz à exportateur de niveau Top 01. Il n'y a aucun doute que les Etats-Unis développent une expertise plus qu'appréciable et validée par le monde entier. Mais la capitalisation et la consolidation de cette expérience, ce pays ne la donne pas gratuitement mais incite ses partenaires à lui offrir un plan de charge.

Donc, se référer sur les impacts de la fracturation hydraulique sur le quotidien des Américains de cette ruée vers le gaz schiste, c'est se leurrer comme l'est l'Argentine depuis 2013. Pourquoi ? L'EIA et l'EPA manipulent les statistiques, ce que nous montrerons plus loin.

1- Pour la prise de décision, l'Algérie n'a jamais été emballée par l'expérience américaine

En effet, préoccupé par un déclin qui a débuté à partir de 2008 dans la plupart des gisements matures notamment Hassi Messaoud et Hassi R'mel qui a commencé à partir de 2012 auxquels s'ajoute les contraintes de ses engagements avec ses clients dans le cadre des contrats long terme qu'elle a passé, avec eux, Sonatrach, a commencé à réfléchir sur les voies et les moyens pour pallier sur le moyen et long terme à cette situation qui pourrait lui créer un goulot d'étranglement. D'autant plus que la consommation interne du gaz naturel lui prenait le tiers de sa production globale et s'accroît au rythme de 7% par an. Dans ce cadre justement il a été demandé à partir de 2009 à la Direction Planification et Stratégie, relevant de la vice- présidence amont et la division Production Engineering et Développement (PED) de constituer une équipe pour prendre en charge ces axes de réflexion. En effet, une équipe a été constituée sous la direction d'un jeune polytechnicien de rang magistral ayant fait ses études aux Etats-Unis et disposant d'un background solide dans l'exploitation du gaz de schiste pour l'avoir pratiqué dans le milieu pétrolier américain y compris le Canada. Le parcours atypique, regrettable et honteux pour l'approche de l'évolution des carrières à Sonatrach, est raconté par l'intéressé lui-même dans une vidéo diffusée par la chaîne El Hayat TV (02). Moins d'une année après, une communication scientifique sous sa plume a vu le jour le mois de mai 2010. Elle identifie en détail, les régions susceptibles de renfermer les roches mères contenant ce qu'elle appelle le Shale Gas en général, c'est-à-dire le gaz de schiste, le gaz de houille dit CBM (Coal Bed Méthane) et les hydrates de méthanes. Une cartographie complète de leur âge géologique qu'elle situe à l'étage supérieur du Dévonien de l'ère paléozoïque dit Frasnien et l'autre Silurien avec une appréciation de leur richesse en carbone, aussi leurs épaisseurs et leur étendue, voire même l'identification des régions. C'est certainement sur ces données que l'EIA du département américain a établi en avril 2011 une cartographie mondiale du gaz de schiste donnant à l'Algérie 230 TCF qu'elle révise 2 ans plus tard à 707 TCF pour en faire la troisième réserve mondiale en gaz de schiste. C'est cette information qui, de par son initiateur, a fait le tour du monde et commencé à emballer les uns et les autres pour sauter sur cette occasion et l'utiliser comme tremplin pour minimiser la crise économique que connaissent pas mal de pays. Le lobby notamment français avait poussé pour déstructurer l'équipe qui a initié ce travail pour le confier aux entreprises parapétrolières dont Schlumberger et Haliburton qui se sont donnés à cœur de joie dans le nombre de fracturations hydrauliques en facturant en dollars pendant que la population algérienne bout dans les protestations. C'est donc en définitif, le potentiel donné par l'EIA avec lequel travaillent les responsables de Sonatrach à ce jour, soit 707 TCF l'équivalent de 20.000 milliards de m³. Pourtant cette agence qui prône le chaud et le froid, précise dans sa publication que ces estimations pour le monde et, en particulier, pour l'Algérie, sont des estimations sommaires. Seuls les bassins des États-Unis sont suffisamment bien connus pour faire l'objet d'évaluations crédibles, en raison des nombreux travaux d'exploration et d'exploitation qui y ont été réalisés. Elles ont été établies par un consultant extérieur, Advanced Ressources International (ARI), qui est une entreprise dédiée à la fourniture de services de consultation et de recherche dans les domaines des hydrocarbures non conventionnels et de la séquestration du CO2, à l'intention d'organismes publics américains de compagnies gazières et pétrolières et d'autres entreprises du secteur de l'énergie. Elles sont fondées sur des paramètres incertains (proportion de matière organique, épaisseur de la couche, étendue du bassin, taux de récupération...). Compte tenu des incertitudes sur l'ensemble des paramètres pour le bassin sud-est, les estimations de gaz récupérable peuvent varier de 1 à 1.000. Il s'agit des informations publiques, de littérature technique et « de données publiées par les entreprises des pays concernés ». Elles se fondent aussi sur de précédents travaux non confidentiels d'ARI. Elles portent sur les ressources techniquement récupérables, étant considéré que celles-ci représentent généralement 20 à 30% des ressources en place. Elles n'intègrent pas de variables économiques (coûts de production, prix du gaz) et ne portent donc pas sur les réserves. Elles ne prennent pas en compte de données de surface (urbanisation des bassins, régime de propriété des sols et sous-sols, disponibilité d'eau pour la fracturation...). Elles n'incluent ni le pétrole et le gaz dits de réservoirs compacts, ni le gaz de houille, ni les hydrocarbures de roche-mère offshore. Elles restent donc des estimations sommaires réalisées par extrapolation de données de teneur en hydrocarbures issues de quelques sondages à l'ensemble de la superficie des bassins supposés, sans tenir compte de leur variabilité géologique. Les auteurs de ces estimations sont eux-mêmes très circonspects sur la portée de ce travail, qualifié en toute modestie en avril 2011, de : « Premiers pas vers des évaluations à venir plus exhaustives des ressources en gaz de roche-mère ».

Des études crédibles ont montré que cette ressource n'est rentable qu'aux Etats-Unis

Le prestigieux cabinet conseil Wood Mac-kenzie, dans son rapport de juillet 2014, juste au moment de l'amorce de la chute des prix du baril avait publié un article sous le titre « Algeria's Shale : big ressource, big challenges » (le schiste algérien : importante ressource, grands défis). Ressource sans « s » mais les défis, sont nombreux. Cet article démontre que dans les conditions actuelles économiques et technologiques, il n'y a que les Etats-Unis et dans une moindre mesure le Canada qui pourront dans la décennie qui suit produire le gaz de schiste qu'elle désigne par le terme « commercial » (02). D'autres études menées par Bloomberg New Energy Finance (BNEF) démontrent que le modèle américain n'est extrapolable nulle part ailleurs, et ce, pour plusieurs raisons. La théorie du « first mover advantage » donne un avantage compétitif aux acteurs économiques arrivés en premier sur le marché, donc aux entreprises américaines. Les réserves de gaz de schiste hors des Etats-Unis sont très difficiles à évaluer. Même les estimations des organismes gouvernementaux américains, qui font référence, manquent de crédibilité. La structure de coûts soutiennent ces études que l'exploitation de gaz de schiste aux Etats-Unis n'est pas transposable à d'autres pays, du moins à court terme, puisque certaines infrastructures comme le réseau routier ne sont pas nécessairement adaptées. La différence de taille entre les Etats-Unis et l'Algérie implique également des différences dans les économies d'échelle au désavantage de l'Algérie bien entendu. La seule similitude serait dans la faible densité de population dans les Etats américains producteurs de gaz de schiste, comme le Texas et donne moins d'échos aux problématiques de mitage du paysage et de contamination des eaux. C'est du moins ce que pensent certains experts algériens à commencer par le président de la République actuel pour les gisements situés au Sahara algérien. Peut-être aussi la qualité et la quantité du gaz de schiste dans les gisements si l'on croit l'US Energy Information Administration qui prévoit dans les gisements algériens un TOC (3) moyen de 6%, soit situé dans la tranche de l'excellence.

3- L'Algérie a pris deux très bonnes décisions en conséquence.

Il faut dire par ailleurs si l'EIA par sa cartographie de 2013 a chauffé pas mal de pays pour placer leurs activités et vendre l'expertise américaine dans l'exploitation du gaz de schiste. Les impacts du gaz de schiste sur le quotidien du citoyen américain est biaisé car une enquête menée par des milliers de chercheurs et scientifique de l'EPA en 2008 ont révélé que des centaines d'entre eux affirment avoir été l'objet de pressions politiques pour modifier les conclusions de leurs analyses ou pour tripoter les données de leurs recherches (04). L'Algérie cartographiée comme 3e réserve du monde en gaz de schiste après les Etats-Unis et l'Argentine n'a pas foncé comme ce dernier pays mais elle a opté pour évaluer son potentiel à travers des puis pilotes. Ensuite en 2020, après un débat houleux, le gouvernement Djerrad 1 devait surseoir à l'exploitation de cette ressource non conventionnelle en instruisant les responsables du secteur de :

1- Poursuivre l'évaluation du potentiel

2- Préparer une étude rentabilité économique

3- Préparer une étude environnementale

4- Présenter les impacts sur les nappes phréatiques

Aujourd'hui, on sait que le 5e appel d'offres qui devait être soumis aux investisseurs a été reporté, mais on parle du côté d'Alnaft que des discussions sont en cours avec des géants américains sur deux grands projets que de nombreux observateurs « disent » schisteux. Ce qui est sûr, la stratégie de Sonatrach est réorientée vers les gisements matures en déclin pour améliorer leur productivité et cet axe donne des résultats excellents. Maintenant, si les investisseurs, très avantagés par la loi 19-13 avec une baisse de 20% de la fiscalité au détriment du Trésor public concrétisent leur Mémorandum of Understanding (MOU) pour prendre le risque avec Sonatrach dans les zones vierges, peu importe la nature de la ressource, tant mieux. Maintenant, s'ils persistent dans leur intention de camper Near Field, ce n'est pas rentable pour l'Algérie. Depuis la promulgation de la loi 86-14 instaurant le régime du partage de production, 80% des 10 milliards de dollars investis par les étrangers dans le cadre de cette loi, sont dans cette situation qui a donné des résultats appréciables. Sonatrach, par contre, en a investi le double pour un bilan décevant durant la même période parce qu'on lui laisse les zones difficiles en supportant seule le risque. Est-ce normal ?

*Economiste pétrolier

Renvois

(01)https://www.youtube.com/watch?v=gvO7Ac Fj11c&feature=share&fbclid=IwAR3 BpBl2sdvfRkWkMGrY3VL 2sLBngKf9P bUcKuREREYMQUdBUHpEgoiibV0 (02)https://www.woodmac.com/ IL FAUT ACHETER LE RAPPORT EN LIGNE SUR CE SITE (03)Qualité du Carbone Organique Total qui détermine la richesse en hydrocarbures (04)https://www.ledevoir.com/monde/etats-unis/188354/politisation-croissante-de-l-agence-de-protection-environnementale-des-etats-unis