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Le dialogue national

par El Yazid Dib

De chaque écrivain une prose, de chaque artiste une œuvre, de chaque politicien un éveil, de chaque paysan un épi ; de chaque enfant un sourire; et voilà le roman national d'un utile dialogue sous n'importe quel titre.

C'est l'une des grosses vertus que l'homme doit avoir vers son semblable de pouvoir se parler librement, exposer son avis et non pas l'imposer. Car selon les exégètes, même le Tout Puissant avait eu de longs dialogues avec ses créatures sur qui pourtant, avait-Il toute la puissance divine. Restons tout de même sur cette planète tantôt maudite, tantôt bénie et voyons ce qui suscite l'obstruction d'aller vers une symbiose collective afin de pouvoir gérer le relationnel qu'exige de nous la vie en commun. Il est indispensable pour l'homme de dire, d'écrire, de psalmodier, de gémir et inversement valable pour l'autre de l'écouter, l'apprécier et/ou le contredire. L'essentiel demeure dans cette haute faculté d'avoir, les yeux dans les yeux; à se dire des choses, à convertir des opinions loin de toute opiniâtreté ou acte d'étouffer une conversation ou d'étrangler une plume ou un chant.

Il ne peut aucunement avoir de dialogue sans cette sacrée liberté d'expression. Si c'est l'homme qui est venu aléatoirement lui tracer des frontières ; c'est d'abord la nature humaine et toute la morale sociétale s'y rattachant qui sont la genèse de cette nécessaire limitation. L'on ne peut proférer des insanités ni des propos injurieux, ni porter atteinte à ce qui forme le socle d'une nation unie par l'histoire et consolidée par l'idéal ancestral. La nature à fait que le premier acte d'un homme est de crier ; nouveau-né. C'est là, toute le symbolique de la primaire liberté d'expression qui, à cet instant là, atteste bel et bien de la viabilité ou non de ce futur être. S'il lance une intonation phonique, donc un ensemble instinctif de syllabes c'est qu'il est viable, il a le droit naturel de croître.

Ce sera une aubaine stratégique pour le projet libérant l'expression en son sein, après la levée de scellés de toutes ces ex- compétences et celles qui se forment. La magnanimité restera une culture et un savoir faire. La vengeance sur les sorts par contre n'amoindrira que son auteur. L'on a vu, pendant vingt ans, des personnes totalement effacées, voire anéanties des agendas du pouvoir d'alors. L'étiquetage clanique était brandi sous la forme de la bonne gouvernance, et parfois se hissait en un essentiel silencieux d'une mise à l'écart progressive et tacite. Une équipe n'est pas forcement un clan, à la différence que l'équipe se connaît et ainsi se cimente, par des liens d'adhésion à des objectifs communs, alors que le clan n'est qu'une réduction de l'esprit ! C'est une satisfaction interne d'avoir à rendre service. Ce n'est en fin de compte qu'un concept hilarant et horripilant qui comptait régler des comptes. Ce mode de gestion, né et affermi dans un unilatéralisme grégaire excluant toute impulsion d'écart et n'admettant que l'obédience, s'est vite désagrégé par la clameur insurrectionnelle de ceux qui en étaient hors circuit. Les individus citoyens du pays.

Les tentatives du genre ont été déjà mises en branle sous formes de loi de la Rahma, Concorde civile puis réconciliation nationale. Cela ne visait en sa primauté que ce souhait général de rompre avec l'hydre terroriste. Certes le terrorisme n'existe plus en son ampleur d'antan ne subsistant qu'en quelques « résidus » ; la réconciliation n'avait pas atteint les buts sous-jacents. Une grande cohésion nationale dans une immense harmonie sociale manquait à sa sacralisation. Il manquait l'odeur de « la réconciliation » dans les langes du pouvoir envers ceux qui faisaient l'Etat. Des cadres bannis, d'autres marginalisés. Rien en fait ne pourrait se décider sans qu'il y ait cette assurance même probable de vouloir installer dans la durée un Etat de droit. Un Etat égalitaire pour tous es enfants. Sa reforme, l'un des segments le plus important commencerait par la reforme de la vision des critères de sélection et d'élimination. L'ossature de cet édifice n'est mise en relief que par l'existence de poutres et autant de pylônes qui sont en finalité les cadres et le cortège subséquemment employé. En poste ou marginalisés, ils constituent toujours un stock d'approvisionnement pour le pouvoir ou au profit d'une opposition intellectuelle.

Cependant toute action politique tendant à rassembler les différents acteurs d'une société, de surcroit s'il semble s'annoncer inclusif ; doit se parer de bonne volonté d'aller vers le tout. D'être général, n'excluant nulle disponibilité partageant les mêmes vertus. Il doit faire impliquer ceux qui font la dynamique politique du pays, qu'ils soient en harmonie avec le pouvoir factuel ou s'inscrivant à contre-courant de ses feuilles de route. C'est justement de ce dialogue qu'émergera l'embryon consensuel à bâtir un projet d'avenir acceptable pour tous. L'on ne perd rien à dialoguer. L'engagement est autre chose. Le plus fondamental est dans l'écoute de l'autre.

Personne ne daignerait éluder de telle approche de ramasser les morceaux d'un pays en proie à des déchirements, si l'absolue détermination venait à agir dans la profondeur des causes qui ont fait que chacun fasse de son ego une passion et bloque ses tympans. Discuter est une manière culturelle de comportement que l'homme n'en a fait qu'une affaire, parfois personnelle par excès de certitude. Ouvrir le débat, le provoquer en cas de d'inertie ou de léthargie de la société, lui assurer les l'opportunité de réussir, l'élargir a toutes les sonorités béantes serait l'une des opérations les plus démocratiques depuis la charte nationale. Tiens ! Et si l'on s'inspire de ces moments où pourtant sous une ère frappée d'une chape de plomb, à la limite d'une dictature selon certains ; et où tout un chacun pouvait dire ce qu'il veut sur son comment voit-il son Algérie de demain. Tous les espaces en débattaient. De l'université, des campus, aux usines, jusqu'aux champs et campagnes ; tout ce que l'on appelait les forces vives de la nation prenait le droit à la parole. Il n'y avait pas ce sobriquet baroque de « société civile » ou de « mouvement associatif ». Juste de la conscience nationale, de la maturité politique et de l'engagement patriotique.

Et pour un rajout substantiel dans la crédibilisation de cette approche, tant dans son enracinement que sa légitimation ; le dialogue est appelé à refuser à ne paraitre qu'un monologue, si c'est comme l'on parle à soi-même.     

C'est bien beau de recevoir ceux qui sont dans la sainteté, il serait plus lumineux d'avoir aussi un regard et une oreille envers ceux qui ne le sont pas. Ne pas partager un avis sur une affaire de gestion publique n'est pas forcément une adversité, mais certainement une diversité. Elle n'est pas blâmable, elle n'est pas coupable tant elle tend, selon ses référentiels à aimer le pays et à aspirer à son épanouissement autrement. Le dialogue ne s'entend pas se faire, quand il s'efforce de vouloir porter des coups mortels à tout ce pour qui l'entièreté du peuple avait sacrifié des âmes dans le fer et le sang. L'unité nationale, l'intégrité territoriale, la noblesse de l'histoire, la mémoire des martyrs demeurent à l'éternité des zones imprescriptibles et indébattables. L'on ne peut en faire toutefois des épouvantails, mais des lignes continues que l'on ne peut franchir. Ce seuil doit être exigible à toute propension animée de bonne foi et présumée apporter sa contribution dans le renforcement des facteurs d'union et non de destruction.

Peut-on imaginer un dialogue avec qui veut diviser l'espace territorial du pays et semer la désunion populaire ? Peut-on le faire avec qui se rallie et s'incorpore au titre d'un recrutement de mercenariat médiatique au dépens de son pays et au profit de l'ennemi de sa patrie? Peut-on le concevoir avec qui à longueur de live, insémine ses aigreurs venimeuses et réduit au désespoir tout ce qui bouge au pays même en cahin-caha. ? L'autre rajout qui s'érige quant à lui comme un pivot coaxial et conditionnel, est le devoir de réinstaller la confiance dans le cœur de tout l'Etat-nation. De cette vertu humaine perdue depuis des lustres à cause de pirouettes et des girouettes insidieusement élaborées et pratiquées par les tenants du pouvoir dépendra la félicité nationale souhaitée. Une question reste à poser : le peuple a-t-il confiance en les partis qui animent la paysage politique ? D'où le devoir de jeter un regard sur la Loi des partis. Un toilettage réinstitutif rigoureux parait impérieux. L'on peut néanmoins admettre qu'un pré-requis de critères conditionnels soit dressé. Que ces partis déclarent en primo s'inscrire dans la mouvance du Hirak, disons « originel », de bénir et mettre en exergue les revendications populaires et désavouer les pratiques de l'ancien régime, en faisant une espèce de mea-culpa. Les plaidoiries déculpabilisant devraient foisonner chez eux.

Ils sauront, audacieux qu'ils sont, avoir le verbe pour difficilement se déresponsabiliser des gabegies et des basses besognes commises le long d'une double décennie. Ils trouveront dans la menace, le chantage, l'influence, la domination, l'infiltration pas mal de subterfuges pour ce faire. leur appellation, abréviation, initiales doivent être reléguées. C'est sur ce plan de la résonnance et de la phonologie, en dehors de leur substance politique, que le peuple ne veut plus percevoir, ni voir aussi se répéter ces indications, noms, sigles, dénominations ou génériques.

Ainsi un nouveau paysage structurellement politique naitra ou au moins donnera la sensation que nous sommes déjà dans le commencement d'un changement. Un climat quasi-prometteur. Nous aurons en finalité, par cette illusion, par ces évocations métaphoriques à la limite d'un délire nationaliste imbu d'un vœu pieux ; des partis réaménagés, des personnes neuves. L'on ne perd rien à écouter, comprendre et pouvoir répondre. Le droit s'érige dans l'exposition d'un avis et le devoir dans son non-imposition.

Restreindre ainsi le cénacle d'échange à quelques partis, à certaines personnes n'aura pas l'ingrédient de toute l'essence auquel pense-t-on, il aspire. Car, de l'avis de tous ; le système de la représentativité élective souffre encore de scories du déficit de la légitimité. Il y a toujours cette grosse différence entre un électeur et un citoyen.

Le premier est un militant, le second un résident. L'on se rappelle du « panel de discussion » que présidait Karim Younes où les partis dits de l'alliance présidentielle en étaient exclus. Cette exclusion était argumentée comme « étant une revendication populaire ». L'on ne saurait pas assez sur ceux dits d'opposition, si toutefois ceux-ci avaient une certaine apparence d'existence. Ceci pourrait jusque là paraître populairement logique. Puisque ces partis étaient derrière tous les mandats de Bouteflika, ils étaient par ricochet indésirables dans la construction de l'après-Bouteflika. Mais nous faisions la distinction qui demeurait entre les personnes et les instances partisanes.

Cette nouvelle Algérie dont rêve tout le peuple et qui s'est projetée dès le 22 février et qu'avec la compromission, la désinvolture et la propagande de ces partis ; elle s'était noyée dans les abysses de la médiocrité. Mais, s'agissant d'une commission à caractère politique, loin de tout populisme ; le « panel » disions-nous à l'époque était dans l'obligation politique de pouvoir rassembler tous les acteurs de la scène nationale. Son rôle était éminemment politique. Il devait en tirer et user de toutes les diplomaties qu'offrent les techniques du dialogue. L'essentiel reste le partage de responsabilité de par la concertation flexible, modulable et sereine. Maintenant que la République tend sa main, toutes les mains doivent également se tendre sauf celles entachées de trahison, de séparatisme et de sentiments antinationaux.

Toutefois et comme toute opération d'envergure nationale, il y a toujours des risques quant à l'introduction par effraction et aversion de certains esprits malveillants.

En plus de ceux qui sont d'office déboutés par la non-conformité à l'essence fondatrice du dialogue, il faudrait bien veiller à son effraction par les faux dévots. Les pique-assiettes, ces nuisances au silence maléfique qui s'adaptent à tout par l'excellent exercice des pires opportunismes. Il faudrait savoir débusquer les volontés virales et vicieuses qui croiront faire, en une seconde aubaine, à l'instar des défunts et sinistres comités de soutien ; une couverture artificielle. L'Algérie en réalité n'a pas besoin de mains qui ne savent qu'applaudir, mais de mains qui travaillent et savent bien le faire.

Les avantages de tout dialogue sont toujours rentables pour l'ensemble des communicants. Ils s'écoutent et se transvasent de l'un à l'autre les préoccupations de tout un chacun. De chaque écrivain une prose, de chaque artiste une œuvre, de chaque musicien une symphonie de chaque politicien un éveil, de chaque paysan un épi ; et voilà le roman national d'un utile dialogue sous n'importe quel titre.

Le soucieux propos est de dire, que le pays est dans le strict besoin, à peine de périlleux envasement de sortir sa tête des entêtements, des haines et des menaces qui l'étranglent de part et d'autre. Seule la voie d'un dialogue concertationnel, serein, franc et loyal saura faire la décantation à tout imbroglio.