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«Vol au-dessus d'un nid de coucous»

par Mourad Benachenhou

Le Hirak, ce mouvement de résurrection nationale, qui n'a rien d'une insurrection ( le peuple peut-il s'insurger contre lui-même?), ce sursaut nationaliste, a pris de court tant les gouvernants que la vaste classe d'intellectuels brillants qui s'est constituée depuis l'Indépendance.

Il a prouvé, au passage, que ces «poids-lourds» qui peuplent la classe politique «officielle,» fabriqués sur mesure pour perpétuer un système prédateur, fondé sur la corruption généralisée, ne sont rien d'autres que des marionnettes sans consistance politique ou intellectuelle, qui s'effondrent aussitôt que leurs marionnettistes les mettent au rancard. Ils sont tellement falots, malgré leurs anciens titres pompeux, qu'ils auraient pu servir d'inspiration à Luigi Pirandello pour sa fameuse pièce de théâtre: «Six Personnages en Quête d'Auteur.» Sans valeurs eux-mêmes, ils ont servi fidèlement et loyalement, jusqu'à l'incarner dans toutes ses dérives, un régime politique qui a fait de l'Algérie et de son peuple un butin de guerre taillable et corvéable à merci. Et ils veulent, profitant de la confusion actuelle, continuer à tirer gloire du rôle de complices et comparses que ce régime leur a assigné dans les temps passés!

Un fossé profond entre le peuple et les gouvernants tout comme entre le peuple et ses Elites

Le Hirak, cet impitoyable révélateur, surgi du fonds du peuple algérien, a finalement fait éclater au grand jour, non seulement la profondeur de la crise politique du pays et la largeur du fossé qui sépare le peuple de ses gouvernants, mais également la gravité de la crise identitaire qui coupe les «élites» politiques et intellectuelles de ce peuple.

Il règne un vaste malentendu tant entre la masse populaire et les autorités publiques, qu'entre cette masse et ceux qui prétendent, quelques soient les bases de leurs prétentions, exprimer ses opinions, ses espoirs et ses craintes, ses certitudes et ses doutes, ses attentes et ses appréhensions.

La société algérienne apparait disloquée, plongée dans un désarroi total, à la recherche de points de repères, et d'un leadership qui puisse faire apparaitre un peu de clarté dans cette confusion généralisée dans laquelle elle se trouve.

L'indépendance de la justice, indispensable, mais pas suffisante pour sortir de la crise sociétale

Ceux qui sont dans des positions où ils maitrisent les instruments de pouvoir leur permettant d'agir effectivement sur le cours des évènements, tout comme ceux qui ont la capacité d'analyse et d'expression des résultats de leurs reflexions, donnent la nette impression qu'ils tatonnent, qu'ils ne savent pas par quel bout prendre ces évènements et ramener un minimum d'ordre dans le système social du pays. De plus, au lieu de tenter de comprendre le Hirak, les uns et les autres veulent à tout prix lui imposer leurs propres schémas, aussi éloignés les uns que les autres du message, pourtant clair, de ses manifestants.

Les autorités publiques analysent ce mouvement comme un appel au secours pour rétablir un minimum de justice dans le système politique, sans en changer la structure, ni la loi fondamentale.

Il faut souligner, cependant, que les poursuites judiciaires contre les prédateurs de tout statut et de tout niveau répondent certainement aux revendications populaires les plus légitimes, mais ne constituent qu'une tentative de rééquilibrage institutionnel qui ne va pas au fonds du problème du grand malaise de la société algérienne.

La période de transition, une démarche procédurale qui laisse de côté le choix de société et ne règle que les aspects superficiels de la crise

De l'autre côté, les élites, quels que soient les parcours de ceux de leurs membres, parmi les plus visibles dans les médias, n'arrivent pas à trouver leur chemin dans ce nouveau paysage politique créé par le Hirak.

Les uns pensent que tout est dans la démarche de sortie de la crise, sans élucider ses causes profondes et les moyens d'y remédier, et concoctent des solutions qui ne touchent qu'aux aspects procéduraux. Les adeptes de cette approche, quelque peu infantile car répéétitive, défendent une approche institutionnelle dont le seul résultat serait de remplacer les gouvernants actuels par d'autres, plus « honnêtes, » approche qui pêche par le fait qu'elle n'a aucun contenu politique, et qu'elle laisse de côté l'interprétation de la crise et les conclusions en terme de choix de société qui devraient en être tirées.

On donne la procédure à suivre pour jouer, mais on ne décrit pas avec quoi on joue. Cette profusion de « plans de sortie de crise, » avancés par toutes sortes d'acteurs médiatiques, usant et ébusant de l'argument d'autorité tiré de leurs positions passées dans le système ou de leur formation universitaire, ressortit clairement de l'agitation à objectifs personnels. Ce «brainstorming» à grande échelle a, sans aucun doute, pour ressort exclusif l'ambition entretenue par ses acteurs de se remettre en piste dans l'espace du pouvoir, en profitant du Hirak. On peut classer toutes ces tentatives, aussi stériles et aussi futiles les unes que les autres, dans la catégorie de l'opportunisme, plus que dans celle du militantisme pour une nouvelle Algérie. Elles sont toutes à jeter, dés leur énonciation, dans les poubelles de l'Histoire, car elles ne méritent pas une ligne dans l'histoire de la pensée politique en Algérie.

De plus, elles mettent au grand jour le désarroi de cette classe de « déchus du système, » qui veut faire croire, a posteriori, qu'elle méritait, même à titre rétroactif, les positions de pouvoir qu'elle avait occupé d'antan.

Ce n'est pas parce que cette approche a une foule de partisans et une floppée d'auteurs, tous pourvus de références hautement recherchées et méritoires, qu'elle est digne d'être prise au sérieux.

Au contraire, c'est la démarche la plus paresseuse, et la plus superficielle, car elle ne va pas au fonds des choses.

Quant à ceux qui insistent sur la nécessité de trouver un «homme consensuel,» pour assurer la sortie du gué, ils ne prouvent rien d'autre que leur incapacité à comprendre ce qui se passe réellement dans la société algérienne. On pourrait faire un jeu de mots facile, mais quelque peu grossier sur cette recherche ridicule, vaine et futile de «l'homme consensuel» cette version moderne et stupide du «mahdi» et du «moul ezzaman.» C'est comme si un quidam quelconque essayait de trouver un chauffeur de taxi qui ne mènerait nul part pourvu qu'il l'éloigne du lieu où il est!

Une analyse du Hirak sur la base d'une grille qui reproduit des schémas inadaptés et obsolètes

Une autre partie de cette élite a choisi le chemin de l'analyse du Hirak. Mais, au lieu de se fonder sur les slogans des manifestants, elle tient à tout prix à retrouver, à travers eux, la preuve de ses propres convictions politiques.

Au lieu de partir, comme le proposeraient les spécialistes des sciences sociales, des faits, paroles, slogans, des manifestants, ces analystes, aussi brillants les uns que les autres, tentent de prouver que le Hirak répondrait à des conclusions qu'eux-mêmes auraient tirés depuis longtemps de l'analyse du malaise algérien. Au lieu d'aller au fonds de l'analyse de ce mouvement spontané, ils veulent y retrouver un scénario qu'ils auraient révélé depuis longtemps, et qui se produirait comme ils l'auraient prédit.

Bref, par leur perspicacité, et selon leurs propres affirmations, ils auraient depuis longtemps découvert le secret profond de ce Hirak, et l'auraient même projeté avant qu'il ne naisse.

En fait, malgré les apparences, ils se délivrent des certificats d'auto-satisfaction, au lieu d'aider le commun des mortels à comprendre ce qui se passe et pourquoi ce peuple, réputé «passif et jouisseur,» se retrouve chaque fin de semaine, dans les rues par millions pour exprimer son ras-le-bol et sa revendication d'une Nation sûre d'elle-même.

En fait, ces «analystes» n'analysent pas. Ils sont dans un exercice d'auto-glorification pas très utile dans ces circonstances. On leur demande de la lumière, ils répondent qu'ils sont déjà éclairés et qu'on n'a qu'à se mettre sous leurs lampes pour voir clair. L'imposture intellectuelle ne peut pas se substituer à l'analyse objective !

Les policiers impitoyables de la pensée unique ont trouvé un terrain propice pour exercer leur mission de redressement

D'autres, enfin, ont choisi de s'imposer unilatéralement comme censeurs du mouvement ; ils décrétent ce qui serait acceptable pour les manifestants d'arborer comme slogan ou affirmation dans leurs banderolles, ceux qu'ils devraient rejeter ou expulser de leurs groupes du fait de leurs tendances idéologiques, et ceux qui devraient être encouragés à mieux marquer leur présence.

Bref, ces analystes se placent en « policiers de la pensée correcte, » sans d'ailleurs se soucier du fait que la liberté d'expression est avant tout le droit de dire ce qu'on veut, accompagné de l'oblagation d'accepter même les idées des autres opposées à ses propres opinions. Paradoxalement, au nom de la liberté d'expression, ils veulent empêcher de s'exprimer ceux qui ne pensent pas comme eux. Ils vont jusqu'à les insulter et à les jeter en pâture à l'opinion publique. Il y a, parmi ces censeurs, des adeptes de le pensée unique qui refusent toute limite à l'expression de leurs propres vues, mais également rejettent et veulent faire disparaitre, même par la force publique s'il le faut, toute pensée à laquelle, pour une raison ou une autre, ils n'adhèrent pas. Ils se sont spécialisés dans les étiquettages, qui fusent contre les adeptes d'une autre pensée que la pensée unique qu'ils veulent faire passer comme « vérité vraie », sans autre arguments que leurs affirmations. Selon eux, leurs vérités n'auraient pas besoin d'être appuyées par des preuves, la seule preuve qu'elles seraient vraies étant qu'ils en sont convaincus. Leur devise est « credo quia absurdum » « j'y crois parce que c'est absurde.» Et, en plus, ils affichent hautement leur laïcité comme leur liberté de pensée, et leur rejet de tout tabou à base religieuse !

Va comprendre quelque chose à cette confusion mentale présentée comme une preuve de lucidité et d'indépendance intellectuelle hautement assumée !

Les arabophones et les islamophobes antinationalistes se déchainent

Ils parlent de l'imposture de telle ou telle position. Ils accusent ceux dont ils rejettent les idées d'islamo-baathistes, de conservateurs, de crypto-islamistes. Bref, quiconque n'est pas d'accord avec eux ne pourrait être qu'un erzatz de futur crypto-terroriste. Certains, parmi eux, ont même trouvé dans le Hirak l'occasion de faire avancer leurs projets secessionnistes. Ils veulent capturer la puissance de ce mouvement, non dans l'intérêt d'une Algérie plus unie et plus forte, et d'une Nation plus sûre d'elle-même, mais pour détruire l'unité nationale née dans le sang versée généreusement par toute une génération aux quatre coins du pays, sans distinction d'origine sociale ou ethnique, ou de langue maternelle.

Cette glorieuse génération, en voie de disparition, s'est regroupée autour du drapeau national, qui symbôlise à la fois les fondements de la Nation algérienne et sa lutte pour recouvrer son indépendance d'un système colonial à la fois fourbe et violent.

Il n'est pas permis que le Hirak soit confisqué ou exploité au profit de ceux qui, à l'étranger, comme en Algérie, concoctent des plans de destruction du pays, et de réécriture de son histoire autour de thèmes popularisés par le système colonial, qui s'est voulu à la fois l'héritier de l'empire romain et de l'Afrique augustinienne, et qui a tenté d'effacer, par tous les moyens, l'histoire de l'Algérie arabo-berbéro-musulmane.

Rejeter toute tentative d'exploiter le Hirak pour détruire la nation algérienne

Il est hors de question de laisser la voie ouverte à ceux qui tentent de légitimer leur mouvement de falsification de l'histoire linguistique, culturelle et religieuse du pays, en arborant un autre drapeau que celui inspiré de nos fondements culturels fusionnés.

Le Général-Major Gaid Salah, chef d'état-major ét vice-ministre de la défense est dans son droit et son devoir constitutionnels d'interdire que le Hirak soit exploité à des fins de destruction de la Nation algérienne, dont les adeptes se cachent derrière des considérations identitaires, qui ne trompent plus personne, pour appuyer les tentatives de déstabilisation et de destruction du pays inspirées et dirigées de l'extérieur.

Le drapeau algérien : une ligne rouge

Le drapeau algérien est une ligne rouge qui ne peut être violée sans risques majeurs. Au-delà du sacro-saint principe de la liberté d'expression et du droit à s'exprimer en sa langue maternelle régionale, il y a le principe qui les suspend au cas où leur respect pose un problème de survie pour la Nation. La démocratie n'est pas un blanc-sein pouvant aller jusqu'à justifier le suicide de la Nation.

De plus, le problème identitaire est un problème national et concerne toutes les Algériennes et tous les Algériens, sans distinction d'origine régionale ou d'appartenance tribale ou ethnique ; il a été créé par le système colonial et il concerne toutes les composantes sociales, ethniques et régionales du pays, et n'est pas le monopole de tel ou tel groupe.

C'est ensemble et sans intervention, ni inspiration extérieures, qu'on peut le régler. Et tenter de tirer la couverture à soi en profitant de la résurrection nationale du Hirak est non seulement un acte de fourberie, qu'aucun principe, démocratique, judiciaire ou autre, ne peut justifier, mais, plus grave encore, un acte de trahison du Hirak lui-même.

En conclusion, et pour éviter tout malentendu, l'auteur de cet article appuye avec force, et sans restriction ni réserve, l'ordre, légitime, légal et constitutionnellement fondé, donné par le Général-Major Gaid Salah d'interdire, dans les manifestations légitimes du Hirak, d'autres drapeaux que le drapeau national, et de faire poursuivre par la force de la loi tous ceux qui contreviennent à cette interdiction qui n'a rien d'arbitraire, mais est, au contraire, une décision courageuse et indispensable de salvation nationale dans ce temps de tourmente et de confusion généralisée.

C'est un déni de justice au détriment du peuple algérien que de ne pas respecter cette interdiction ou d'inciter à son viol ou de l'encourager. En ce temps de redressement de l'appareil judiciaire et de retour à la voix du peuple, ceux qui violent cette interdiction doivent prendre conscience de la gravité de leur crime contre la Nation et en accepter les conséquences. Le Hirak unitariste a frappé d'obsolescence des revendications «identitaires» exclusivistes et tribalistes qui, depuis quelques temps, ne cherchent même plus à cacher des desseins sécessionnistes encouragés et financés par des forces extérieures visibles comme clandestines.

L'obligation de défense de la Nation contre tous les dangers provenant directement de l'extérieur ou suscités par lui fait parti des missions constitutionnelles normales, exclusives et sans partage, de l'Armée Nationale Populaire, et elle se doit de les assumer sans état d'âme et sans autre considération que le maintien de l'intégrité territoire et la survie de la Nation.

Dans la «patrie des droits de l'homme» a été institué un «crime vestimentaire,» visant spécifiquement les femmes musulmanes qui suivent le code de pudeur de leur religion. Pourtant, elles n'arborent pas le drapeau vert du Prophète, ne réclament pas la généralisation de la langue arabe dans les écoles et lycées français, n'exigent pas que la bataille de Poitiers soit déclarée jour de deuil national, ne militent pas pour l'adoption du calendrier hégirien parallèlement au calendrier grégorien, ne revendiquent pas l'inscription des fêtes musulmanes parmi les jours chômés et payés officiels, ne demandent pas que les banlieues à forte présence musulmane soient proclamées autonomes. Pourtant cela n'empêche pas l'Etat français de les poursuivre comme des criminelles politiques dangereuses portant préjudice aux valeurs de la République, menaçant l'ordre public et les fondements même de la société française!

Dans le drapeau national est incluse la dimension berbère, qui n'a pas besoin d'autre symbole, à moins que certains ne considèrent qu'il existerait plusieurs nations en Algérie.

Et le Hirak apporte un démenti clair à cette dérive dangereuse, quoi que le proclament certains. On ne peut pas en même temps être dans et hors de la Nation que notre drapeau symbolise! Pourquoi donc arborer un autre drapeau que lui dans des manifestations visant à confirmer une identité nationale unique? Ce sont ceux qui refusent de se placer exclusivement sous le drapeau national qui jouent avec le feu!

L'auteur de cette contribution mérite-t-il une de ces étiquettes péjoratives dont les partisans de la liberté d'expression à sens unique- car ils considérent qu'ils en ont le monopole, et qu'elle est réservée exclusivement à eux seuls, puisque, selon eux, leurs phobies et leurs lubies, comme leurs haines, seraient les seules rationnelles et légitimes,- collent à ceux qui se trouvent ne pas être d'accord avec eux ? Et bien ! Qu'il en soit ainsi! La fidélité à ses convictions nationalistes n'a rien de condamnable dans cette période où l'opportunisme régne en maitre, et où chacun et son chien se croient choisis pour «sauver l'Algérie de son histoire et de sa culture.»