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Calquer un modèle est un non-sens

par Mourad Daoudi*

La transition est un passage d'une situation initiale n'offrant plus d'équilibre à une situation finale dotée d'un nouvel équilibre. C'est un changement d'un mode de gouvernance politique à un autre.

Un système politique est décrié par la population lorsqu'il ne répond plus à ses aspirations et lorsque l'injustice se généralise pour être un obstacle à son épanouissement et son développement. Les tares de pareils systèmes se manifestent à travers l'absence des rudiments de l'expression démocratique et l'enrichissement excessif d'une frange minoritaire de la société au dépend de la majorité de la population. Ces systèmes politiques se maintiennent au pouvoir par la dictature.

Différents pays, à travers le monde, ont connu des transitions. L'Algérie en a connu plusieurs et on peut citer celles de 1962 et de 1988.

La première a vu l'Algérie recouvrir son indépendance après une longue lutte armée de libération. Cette transition avait eu comme objectif : mettre sur rail l'Algérie indépendante.

Le premier pas fut la mise en place de la première institution : l'assemblée constituante. Cette dernière avait été élue suite aux recommandations des accords d'Evian. A l'époque, l'été de 1962, l'Algérie a passé l'épreuve du référendum d'autodétermination acquis grâce une lutte révolutionnaire ayant duré plus de sept ans.

Cette Assemblée, dont le mandat devait expirer après une année, avait pour mission surtout de désigner un gouvernement parmi la composante de l'assemblée. Chaque clan voulait donc se positionner pour imposer des critères qui lui seront favorables dans le choix des constituants.

C'est ce qui a fait ressortir les divergences qui ont menées à la crise de l'été 1962 et s'est soldée par une guerre fratricide. L'enjeu était le pouvoir et le jeu consistait à se positionner le mieux possible. Le choix des constituants a été fait sur la base d'un critère essentiel ; le soutien ou non au bureau politique du FLN donc à Ben Bella.

En plus de désigner un gouvernement provisoire, cette assemblée avait aussi comme mission de légiférer et d'établir une constitution. Elle s'est dotée d'un règlement intérieur et a effectué ses prérogatives en tant qu'institution légitime et normale et non comme institution qui avait comme unique objectif l'élaboration de la première constitution. Les députés se considéraient beaucoup plus comme représentants du FLN que représentants du Peuple.

C'est pour cela qu'en Algérie la constituante est une revendication qui date d'après l'indépendance. Elle a été reprise donc après le sabotage de la première assemblée constituante de l'Algérie.         L'histoire change et évolue, elle n'est pas immuable, ce qui était vrai en 1962 ne peut pas l'être en 2019. Reprendre cette revendication aujourd'hui, sans la confronter avec la réalité socio-économico-politique actuelle, fait figure d'une naïveté politique.

En 1962 on sortait d'une révolution, le Peuple était organisé derrière le FLN qui a justement détourné sa volonté et a brisé la marche vers une véritable libération de l'Algérie. En 2019, nous sommes devant un soulèvement populaire qui n'arrive pas à s'organiser pour muter en révolution. Peut-on prendre le risque d'appeler à une constituante, alors qu'il n y a aucune emprise organique sur la société ? Certes, les forces démocratiques détiennent l'initiative, mais le projet pour une société libre, démocratique et moderne est loin d'être une revendication populaire.

Le seul projet de société qui est encore ancré dans la société est bien celui qui est justement antagonique à celui proposé par les démocrates. On risque donc de voir la constituante renforcer un état passéiste ou instaurer une nouvelle dictature. La naïveté de la majorité des démocrates iraniens et soudanais lors de leurs transitions démocratiques, a propulsé dans leurs pays respectifs des systèmes théocratiques. Le système iranien semble encore durer alors que le Soudanais, à la faveur des derniers événements est sur le départ.

Ironie du sort l'armée Soudanaise essaye de polluer les négociations avec l'opposition en voulant leurs imposer le maintien de la charia comme un point non négociable. La constitution telle qu'elle est aujourd'hui doit changer, mais pas forcément par une constituante. Son changement constitue l'une des taches fondamentale de la transition. Un groupe de spécialistes peut être constitué pour apporter les amendements nécessaires. Son adoption pourrait se faire par référendum.

Alors que la deuxième a été la conséquence d'émeutes populaire suite à une situation économique et sociale très éprouvante pour la population. Malgré un fond politique indéniable au problème, la population n'avait pas exprimé d'exigences politiques particulières ni d'ailleurs de revendications démocratiques. Ceci, n'empêche que les forces démocratiques, qui avaient une activité clandestine et/ ou semi-clandestine, ont investi le terrain pour contre carrer essentiellement la répression qui s'est abattue sur de simple citoyens en plus des militants politiques.

Le pouvoir en place à l'époque présidé par Chadli a jugé utile de procéder au changement de la constitution pour introduire dans la nouvelle, entre autre, une mesure institutionnelle permettant la création et l'existence d'associations à caractère politique.

C'est le multipartisme. Chadli a voulu par cette manœuvre diriger la transition démocratique. La scène politique a été dominée par un parti religieux profondément antidémocratique et qui considérait même que cette dernière est kofr. C'est le seul parti qui a pu présenter au vu de la société algérienne un projet de société fiable. Car, il a su utiliser l'une des composantes majeures de la société : l'ISLAM. Par la suite, l'aventurisme de ce parti et avec la complicité directe et indirecte d'une grande frange du pouvoir et d'une partie de l'opposition démocratique a conduit l'Algérie à vivre l'une des plus sanglantes parties de son histoire.

Cette transition a été menée à l'échec car la seule force organisée capable de la diriger est une force rétrograde qui avait comme objectif l'édification d'une société gouvernée par la charia où la démocratie n'avait pas de place.

La transition algérienne de 1988 a été un échec à l'image de celle de la Yougoslavie où celles menées dans certains pays d'Afrique comme l'Ethiopie, le Gabon, La Somalie, ... Certaines transitions ont connus une réussite économique mais une stagnation socio-démocratique. Prendre, comme exemple une transition ou autre , vécue par un pays pour dire que c'est la bonne ou essayer de calquer un modèle pour l'appliquer à un autre , relève du non-sens scientifique. Chaque pays est à un état initial particulier et son point d'arrivée ne pourrait jamais se confondre avec celui d'un autre.

Une transition réussit si les transformations englobent, en plus de la pluralité politique et des libertés individuelles et démocratiques, les aspects socio-économiques. Dans le cas de l'Algérie la transition doit prendre en compte, en plus de tout le reste, l'aspect passage à la modernité. La modernité sous-entend un mouvement permanent de la société vers un système qui a la capacité d'évoluer au grès des nouvelles conceptions scientifiques et technologiques.

*Dr.Enseignant chercheur