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LES AMES DECHUES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

LE MIEL DE LA SIESTE.Roman de Amin Zaoui. Editions Barzakh, 197 pages, 600 dinars,Alger 2014.

Il n'y a, en fait pas d'intrigue, mais seulement l'histoire, presque banale, d'un jeune homme qui traverse le temps. Enfance (mal-aimé de la mère qui lui préfère le frère aîné, un «efféminé»), jeunesse, des études supérieures, la vie d'adulte? Sauf, sauf que le «héros» (d'une histoire qui n'existe pas) a quelque chose que bien des autres hommes n'ont pas. Il est pourvu de testicules assez «développées»? qui font l'admiration... du père et de certaines femmes sur le retour... et la honte de la maman. On l'appelle désormais Bouqlaoui ! De plus, il est surtout attiré par les femmes vieilles (septuagénaires) et moches. Une seule jeune fille l' «habite», l'obsède, le poursuit, l'inaccessible cousine, Malika, qui finira dans un asile.

Une vie en apparence banale, très banale, trop banale? Mais, avec l'auteur, il faut toujours aller derrière les mots pour «découvrir» le message : Dans ce pays, l'important, pour les gens, c'est de «les» avoir «grosses» et opérationnelles en toutes circonstances. Le reste est condamné à la déchéance morale ou à la folie? parfois meurtrière, comme celle qui a gagné le pays durant les années 90.

Avis : Roman compliqué, avec un faux titre? bien alléchant. Un livre qui relève beaucoup plus de confessions intimes? très intimes d'un «héros» décalé. Dit-il vrai ? Ment-il ? Des «histoires» qui s'entre-mêlent. Du Zaoui? que l'on déguste toujours avec jouissance.

Extraits : «Les noms sont nos vêtements intimes, nos jardins secrets. Ils sont notre miroir non-aveugle» (p 12), «Les couilles sont l'âme du corps masculin. L'essence de la vie. Le point de jonction. Le centre de la terre. La continuité ! La légende !» (p 14), «Seule la magie de l'amour est capable de redonner une vie ardente aux corps fatigués par le fardeau du temps, écrasés par la trahison des jours» (p 34), «Les beaux noms ressemblent aux vieux vins. Le bon vin, à l'image d'une jolie femme, se boit d'abord par le regard. D'abord par les yeux ! Le vin nous parle sans faire de bruit ; de même les jolies femmes. Elles laissent des cicatrices sans faire de bruit» (p 119), «La femme est une pelote de ficelle emmêlée, il est compliqué de la démêler» (p 127), «Comme la naissance et comme l'amour, la mort est le phénomène le plus essentiel dans notre parcours sur terre» (p154), «Le femme en colère est séduisante ; la femme triste est sexy ; la femme jolie est dispensatrice de bonheur» (p 174).

LE ROMAN NOIR D'ALI. Roman de Abdelkader Ferchiche. Editions Alpha, 192 pages, 450 dinars, Alger 2010.

L'histoire est toute simple. Un crime, plusieurs crimes, en territoire français, en pleine guerre de libération nationale. Un policier enquête. Pas trop méchant, seulement soucieux de résoudre les problèmes à lui posés. Bien sûr, la solution de facilité saute aux yeux. Assurément, des règlements de comptes entre Algériens : Mna contre Fln, Fln contre Mna?Peu lui chaut ! Il lui faut trouver le ou les coupables. Foi de policier ! Il ne lâche donc pas le morceau, ce qui gêne énormément les militants Fln clandestins qui, de leur côté cherchent, aussi, le ou les coupables : Mna ? Crime crapuleux ? Il y va de leur crédibilité.

Le héros, un Algérien immigré bien «intégré», marié à une française originaire d'Algérie et elle-même ayant toujours «le soleil dans les yeux», et, devinez, pourvu de beaux- parents pieds noirs? mais «porteurs de valises».

La fin est toute simple pour ne pas dire banale, bien en deçà de l'intrigue ; le coupable du crime principal (l'assassinat d'un pauvre bougre perdu dans la misère, le chômage et l'alcool, n'est autre qu'un pied-noir revanchard, ayant complètement «perdu la boule», et n'ayant pas accepté une réalité galopante : l'Indépendance de l'Algérie.

En fin de compte, le héros? et son épouse sont sains et saufs, s'enfuyant en Suisse? et le policier devient, malgré tout, sympathique, faisant bien son boulot mais «comprenant» la lutte des Algériens

Avis : Un polar bien «torché» par l'auteur, plus journaliste qu'écrivain (d'où énormément d'infos')... avec, pour décor, la guerre de libération nationale? en plein «territoire» ennemi.

Extrait : «La révolution, c'est comme la religion, ici anges et démons cohabitent» (p 38)

KAMAR OU LE TEMPS ABREGE. Roman de Bouziane Ben Achour. Editions Anep, 160 pages, 510 dinars, Alger 2014.

Saber, le bien-nommé, est un héros poursuivi par l'image d'une bien-aimée partie trop tôt (Kamar, comme la lune), assassinée à vingt ans par des terroristes qui en voulait à l?amour. La retraite atteinte, la liberté retrouvée, il va s'escrimer, à coups de burin, en solitaire, la tête dans la lune (Kamar, encore et toujours) et le cœur au bout des lèvres, dans son refuge, ne répondant à aucune question, à la (sa femme) sculptée? Avec, pour seule compagne, Touta, sa chienne? dont il est fou amoureux. Juste avant de terminer, il décède. Crime ? Puisque la police enquête. Suicide ? Pourquoi ?

En fait, ayant «raté» sa vie, il voulait bâtir un mythe. Il voulait «idéaliser avant d'être surpris par la mort». Son idée fixe, il en avait fait une foi et une muraille. Après s'être exterminé au prix de sa vie, son œuvre inachevée elle-même ayant été détruite (un autre assassinat), il se tue pour faire exister Kamar.

L'histoire de Saber n'est pas la seule. Il y en a d'autres, comme celle de celui qui nous la raconte. Histoires encore plus tristes qui se croisent et s'entrecroisent. Histoires de femmes ou d'hommes, seuls ou en couples, encore plus solitaires, encore plus misérables.

En fait, c'est toute l'histoire du «petit peuple». Misère affective. Manque de perspectives. Passage sur terre n'étant qu'une suite de crocs-en- jambe du sort. S'accrochant à des rêves qui rendent encore plus démuni? Seule la mort ne s'imite pas ! Histoire simple, mais traversée par une sorte de crise existentielle qu'il n'arrive pas à théoriser et, pour éviter qu'elle ne le terrorise, il se réfugie dans la jouissance et l'individualisme ou la religiosité et le fatalisme. Problématique civilisationnelle posée crûment ?

Avis : Journaliste. Ecrivain. Critique de théâtre et dramaturge, l'auteur, il a même eu, en 2002, pour Brûlures, le Prix Mohammed Dib. Dg d'El Djoumhouria, il a, déjà, à son actif, une dizaine de romans... et, il mérite amplement actuellement d'être lu. Ecriture recherchée inventant des formes nouvelles. Peinture sociale surréaliste. Tableau des âmes déchues. Mode d'emploi pour vous my(s) thifier si vous vous aimez beaucoup ou pour mythifier ceux que vous adorez.

Extraits : «Etre utile sur terre, c'est s'exprimer autrement» (p 24), «Les politiques, toutes races confondues, ne s'attachent au fond qu'à leur petite personne et n'ont qu'une seule règle dans leur existence : profiter de... la vie en changeant d'avis» (p 65), «La terre tourne à droite et moi je persistais à tourner à gauche pour explorer un passé qui n'était pas le mien» (p 67), «La Turquie, ce pays de la Mosquée Bleue qui nous a montré comment lever l'impôt sans lever le petit pouce »( p 69), «Dans la nuit, on voit tout, surtout du côté des lieux de l'interdit» (p 118), «Nous incriminons le destin, mais c'est quoi au juste le destin» (p 146)