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Le rude vent du Sud !

par Slemnia Bendaoud

Abdelhamid Benhaddougua* l'y voyait-il déjà venir pour lui avoir consacré tout un fantastique livre, porté admirablement plus tard à l'écran ? Ou alors avait-il à l'époque ardemment été fouetté par son souffle puissant et blessant, pour nous jeter en signe d'avertissement ces quelques étincelles de ses nombreuses flammes ou menus embryons de ses vives braises que nous ne pouvions malheureusement et opportunément bien décoder, faute justement de discernement et de dextérité dans nos analyses et supputations à son sujet ?

Connu pour être un courant naturel, strident, assez sec, bien chaud et très puissant, ce vent du sud que certains qualifient banalement de ''Sirocco'', hurle à présent fort et brûle tout sur son passage. Comme un coup de feu, fou d'espace et de territoire d'errance, il s'attaque en premier à la verdure qu'il noircit, calcine et déracine de plein fouet, et en une seule fraction de seconde. En une seule trainée. Il est cette autre colère de la nature qui crée la tempête de sable, en remuant dans les tréfonds de la terre. Il est cette autre misère qui frappe bien fort et très puissamment dans les profondeurs du désert, faisant rapidement remonter ses slaves vers le nord.

Il fait vraiment peur à ces gens restés tout prêt de la mer, ignorant pour l'occasion totalement le calvaire supporté ou enduré depuis des lustres déjà par ceux habitant du sud du pays, placés souvent dans l'axe de sa véritable trajectoire. Il est la hantise des ces gros bonnets qui y perdent leur coiffure, leur esthétique, leur beau costume, leur éthique et le sens même de leur côté très pratique de la vie, les poussant à se terrer chez eux et complètement se murer dans leur silence complice ou factice qui dure encore dans le temps.

Il frappe sans pitié et sans distinction de grade, de poste, de rang, d'années d'ancienneté, de fidélité au chef ou au pays et à la nation, d'impact physique réel ou même psychologique sur le reste de la population.

Il est donc bien lourd dans son bruit très sourd, bourdonnant au loin et charriant des montagnes de sables, les faisant déplacer de lieu et leur changeant complètement de relief et de forme. Il est ce vent du sud, très rude, absurde, né dans le désert et emporté dans les airs, atteignant grâce à une très grande vitesse ces lointaines contrées du nord du pays, en parcourant ces considérables distances que ni le train très rapide ni même l'avion très récent ne peuvent aussi bien rapidement les avaler.

Ce vent du sud est depuis quelque temps porteur de ces voix humaines exténuées, essoufflées, complètement abattues, brandissant bien haut leurs revendications, criant fort leurs nombreux malheurs et supplices, souffrant de leur misère endémique, de chômage assez critique dans une zone jugée pourtant de très forte offre d'emploi, d'éloignement de sites administratifs et surtout des centres de vie?

L'a-t-on dans cet important intervalle bien entendu ? Ou encore a-t-on sciemment laissé passer ce fol orage qui l'annonçait pour tout oublier après de l'impact très négatif qu'il aura laissé dans ces zones du sud du pays longtemps abandonnées à leur sort, hormis pour leur précieux brut à le leur soutirer ou à astucieusement le leur soustraire ? Aujourd'hui, ces gens du sud -ceux qui auront rencontré sur place ou sur site le premier ministre Abdelmalek Sellal dans sa réunion bien solennelle- lui parlent de ces deux Algérie : celle du nord et celle du sud du pays, qui vivent justement ce paradoxe de la plus totale misère dans un pays jugé plutôt bien riche, objet de toutes les convoitises des grandes puissances mondiales. Ils font cependant ce clin d'œil osé à cette gouvernance rusée qui leur pompe, sans le moindre respect ou retour ni minables indemnités, ces indéniables richesses locales dont ils ne voient malheureusement que cette haute fumée qui les accompagne dans leur voyage vers le nord et bien au-delà du territoire algérien.

Ils se croient bien frustrés à cause justement de leur éloignement des grands centres de décision, et surtout par le fait de cette supposée ignorance de leurs nombreuses doléances longtemps affichée par les gouvernants du pays. Dans leur tête-à-tête au sein de ce mini-conseil du gouvernement ayant eu lieu il y a peu de temps dans la région de Djanet et In Amenas, ils avaient comme cette impression de se parler vraiment à distance, aux prises alors, becs et ongles sortis dehors, avec leur sourde gouvernance.

Ne cherchaient-ils pas après ce bambou de feu Houari Boumediene pour indiquer avec à mi-chemin du nord et du sud du territoire du pays le site à cette future capitale de l'Algérie qui serait plus proche d'eux, plus juste, plus démocratique, plus pratique, plus conforme aux aspects architecturaux et culturels de la nation, objet de plus d'équilibre géographique, plus apte encore à marquer de son empreinte le grand espace et la multitude de diversité du paysage du territoire national? ?

Ils y voyaient donc manifestement cette solution qui couperait court avec leur éloignement qui aura assez duré. Seulement, ils pensaient que ça pouvait venir en guise de fleur ou d'une véritable rose de sable de la bouche même de cette gouvernance qui était pourtant venue leur rendre visite sur site !

Ce ne fut malheureusement pas le cas. Cela pourrait probablement faire l'objet d'une autre ou prochaine revendication ! Maintenant que des marches comme celle engagée de Ouargla vers le peu lointain Hassi Messaoud ne relèvent plus de l'utopie, tout reste possible. Et tout peut donc y arriver, un jour ou l'autre ! Ces hommes habillés depuis jadis tout de bleu n'éprouvent plus comme autrefois cette peur bleue manifestée à l'endroit de l'uniforme. Ils sont donc tous conscients qu'ils ont des droits à recouvrer ou à faire valoir. Ils ne demandent aucun prestige ou avoir sur ces richesses fossiles : ils exigent seulement plus de considération, du travail, une vie descente? et un rapprochement avec cette administration qui gère toujours à distance leur quotidien. Mais depuis que Touggourt est entrée dans le doute, au regard de ce que la mauvaise gestion de son quotidien lui coûte, ces habitants du sud redoutent cette autre déroute qui pointe à l'horizon, forte de ses grandes slaves auxquelles on lui impute toute cette misère qui nous enserre dans ses grandes tentacules. Le long de ses nombreuses voûtes formées en arcades centrées, la ville sort de ses soutes ceinturées, en signe de révolte contre son terrible sort tous ses remords qu'elle n'arrive plus à oublier, les ruminant à tout instant. Cette ancienne et très traditionnelle image féerique du sud fascinant que représentaient nos belles oasis et rebelles très rebelles contrées sahariennes n'existe plus que dans l'imaginaire de ces touristes étrangers qui ont depuis quitté à jamais ce pays-continent où il ne fait plus bon vivre comme autrefois.

Ce vent du sud est donc devenu plus présent que jamais, plus pressent qu'il ne l'aura jamais été, très difficile à supporter, très puissant pour tout emporter sur son passage et long itinéraire. Il dit et crie haut et fort toute cette grande colère de la nature, mêlée à celle humaine, lassée d'attendre le temps passer, sans pour autant rien changer à son quotidien déliquescent et évanescent. En cette fin d'automne 2014, la chaleur est étrangement montée de plusieurs crans, forte de cette ardeur de souffre qui coupe le souffle à cette pourtant très tranquille contrée laquelle refuse désormais la fatalité d'une gouvernance qui fait dans le sélectif et l'inventif. Non dans l'imaginatif et le préventif. Sommes-nous encore bien capables de faire front commun ou barrière unique contre la montée en cadence de ce souffle très puissant et continu d'un vent du Sud en furie ? Ou alors allons-nous à sa rencontre en rangs dispersés pour ne subir que les affres de son ardeur et que la terreur de sa grande misère?

Notre merveilleux Sahara n'en peut plus ! En plus de ses énergies fossiles bêtement dilapidées, il ne supporte plus ce sous-développement endémique de ces esprits retords qui le tiennent toujours coincé et à l'écart du progrès ! A gorge déployée, la ville sinistrée et exténuée, ne supportant plus la gabegie, elle lance ce cri de détresse qui déchire le cœur des algériens: le Sud est tombé dans cette violence aveugle ! Touggourt rejoint sur ce sinistre registre Ghardaïa !

Nanti de toutes ses impressionnantes richesses, le Sud manque encore de véritable considération! Et qu'en serait-il s'il en était complètement dépourvu ?

Quel malheur pour un si beau pays !