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Avoir tort quand on a raison trop tôt !

par Bouchan Hadj-Chikh

Ils grognent. Nous aussi. Depuis plus longtemps. Ils sont endettés à hauteur de 2000 milliards d'euros-ils viennent seulement de s'en apercevoir-nous y allons gaillardement avec, en perspective, une sécheresse des coffres et de cette nature qui persiste à nous bouder au moment où le baril de pétrole dégringole.

Tout cela, nous le savions depuis longtemps. Nous n'étions pas les seuls à mettre en garde contre cette fatalité. Il nous paraissait même clair que les germes de cette déliquescence remontaient à la promesse d'« une vie meilleure ». Depuis, nous fûmes cigale quand il fallait être fourmi.

De l'autre coté de la méditerranée ? en dépit de leurs experts financiers, de leurs économistes et théoriciens de talent, et qui savent tout ? ils connaissent le même phénomène que nous. Les Harragas. Sauf que les leurs prennent un vol normal pour aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, si des possibilités de travail s'ouvriraient à eux. Fuir donc un pays en crise, nous connaissons. Pour être terre à terre, ils n'ont pas trouvé de solutions pour retenir les 5 millions de nationaux qui ont fait le bonheur des compagnies aériennes.

Et tout comme nous, pour juguler l'hémorragie, ils tentent un « coup ». Leur premier ministre, apprenait-on le 26 Novembre, dépêchera des émissaires, tous azimuts, pour convaincre les « fuyards » à exécuter un demi-tour. Fissa. Ce que nous décidâmes, voici quelques mois, en envoyant en mission un haut fonctionnaire, du CNES, faire le tour des centres d'attraction de notre émigration, la tranche éduquée, de haut vol, pour l'amener à plier bagages et retourner « pleins d'usage et de raison vivre entre ses parents le reste de son âge ». J'avais prétendu, à l'époque, qu'il perdait son temps. Je serai curieux de prendre connaissance des résultats, éblouissants, sous doute, de cette mission. Je n'en espérais rien et en espère encore moins des initiatives de ce type d'opération considérant la préparation approximative de cette « pêche » et la qualité de l'offre d'une vie que nous pouvions proposer aux « candidats ». Je doute fort qu'une vie faite d'embouteillages, de logements aux prix d'achat ou de loyers exorbitants, sans garantie de mettre son bébé dans une crèche ou ses enfants dans des écoles à proximité, sans jardins d'enfants et de centres de loisirs ou de santé seraient un incentive. On pensait peut-être qu'il suffisait de dire « les portes vous sont ouvertes » pour les voir faire queue devant les guichets de la douane et de police de nos aéroports.

Pourquoi ces évasions ? La mal-vie. Et, surtout, le désir de tous les parents d'assurer un avenir à leurs enfants. Donc une bonne éducation. Celle qui n'en fera pas des chômeurs qualifiés parce qu'ils restent sur le carreau quand nos responsables, à tous les niveaux, on a recours, par atavisme et facilité, aux compétences extra territoriales.

Cette découverte n'est pas singulière. Comme nous, au Nord, eux aussi viennent de découvrir, en cette fin de mois de Novembre, que leur système éducatif ne garantit plus « l'ascension sociale ». On nait fils d'ouvrier et on le demeurera. Que certains veulent éviter l'égalité par le bas. Découverte sociologique que nous avons mis à jour depuis longtemps en autorisant, en Algérie, l'ouverture d'écoles privées avec, en perspective, des universités privées. Nous connaissons, ainsi, les chemins qu'emprunteront les cadres de demain.

Les élèves gouvernants, en termes de gestion des deux pays, ont dépassé les maitres. Ils ont rendu les armes. Car, en sous mains, depuis longtemps, là encore, le patronat définit le cours de la vie politique. On ne nous l'a pas avoué mais c'est la réalité de tous les jours. Le syndicat des patrons, qui vient d'élire son président, a été constitué à cette fin. Soutenir ou prendre le relai du pouvoir quand il est essoufflé. Pour tout dire, c'est le seul « parti » économique, à vocation politique, qui a établi une feuille de route et sait où il va nous conduire. Contre un mur, l'on s'en doute bien, lorsqu'il se sera aménagé une porte de sortie, discrète, comme il vient d'y être autorisé à des conditions qui restent à déterminer, certes, mais que des éclaireurs ont investi. Comme s'il y avait un trop plein d'investissement dans le pays, des « nouveaux riches » placent leur argent à l'étranger. En Italie. En France. Légalement. Sans parler de l'argent qui ne porte pas de nom que l'on trouverait dans le bassin méditerranéen pour peu qu'on y fourre son nez.

En dépit donc de tous ces points communs, il semblerait, pourtant, que les deux peuples ne réagissent pas de la même manière. Quand la morosité frappe les premiers, et manifestent leurs désaccords, mollement depuis quelques années, à force de recevoir des coups et des menaces d'un serrage de vis, les seconds, nous donc, nous, nous serions, pour le moins, apathiques. Une étude récente affirme, elle, que nous serions même submergés de bonheur, au grand étonnement de l'éditorialiste du « Soir ». Ça crève tellement les yeux que ça m'a échappé. J'ai fais donc attention autour de moi et j'ai remarqué, en effet, ce calme, cet absence de stress que certains attribuent au Prozac. Certes, dans certaines cités, hommes et femmes ont gardé leur urbanité et un zeste d'éducation familiale dans leurs comportements. Ce n'est pas encore la jungle. Je n'ai pas encore vu de citoyens grimpant aux arbres. Mais ça viendra. Quand nous n'aurons plus les moyens d'importer les calmants. A moins que.

Je dis « à moins que ». Parce qu'il m'a semblé entendre, sinon lire, les interventions de députés ronchons, critiquant la politique gouvernementale au sein de l'hémicycle de l'assemblée. Ils ont asséné beaucoup de « pourquoi ? ». Sans obtenir pour autant des réponses satisfaisantes.

Vous remarquerez, qu'à ce jour, ils ne sont pas des masses à avoir démissionné (à une ou deux exceptions près) en signe de protestation contre la conduite de la politique du pays. Il ne faut pas trop leur demander. Ils ont fait juste assez pour proclamer, en cas de retour de bâton et de retour à la case départ - aux élections anticipées donc - qu'ils n'ont pas failli à leur mission.

Qu'ils soient rassurés. Je serai bien surpris de voir, ceux qui ont en charge le pays, décider d'élections anticipées, qu'elles soient législatives ou présidentielle. A moins d'une épidémie de démissions dans l'hémicycle qui lui enlèverait sa raison d'être.

Les autres députés, non plus, ne démissionnent pas. Il y eut des ministres qui se sont démarqués en rendant leur tablier. Ce qui ne se verrait pas chez nous. Chez nous, ils attendent d'être éjectés pour « fermer leurs gueules », selon l'expression à la mode.

On est renvoyé donc. Aussi sec. Pour rejoindre, toujours aussi sec, l'autre bord. Celui de l' « opposition ». Ce traitement s'applique également aux Premiers ministres. Démissionnés. Contrairement aux politiques qui se recyclent en reprenant le chemin de l'université pour y enseigner, ou créer un « Think Tank », même un « courant », chez nous, pas de « courant ». Ils sont débranchés du réseau. Ils disparaissent des écrans politiques. Ils rejoignent le club des « anciens quelque chose » et ne souhaitent à personne d'être ministre, comme le déclara récemment un ancien membre de gouvernement. Celle de la Culture qui a laissé derrière elle un désert. Depuis quelques mois, là-bas, ils apprennent à attendre. Eux aussi. Ils attendent la fin du mandat de l'actuel Président. Là-bas, une partie de la classe politique évoque une nouvelle constitution. Une autre République. Tout comme certains d'entre nous. Sauf que nous avons perdu le compte des textes fondamentaux que nous avons adopté, l'un après l'autre, sur le même score. Nous n'en n'avons discuté aucun. Et je ne dis pas ça pour dédouaner le peuple. Le peuple avait confiance. Ou peur. Et puis, il ne savait pas que cela pouvait se faire. D'ailleurs, ceux qui nous ont représenté n'ont rien fait pour nous rendre notre parole et nous associer aux choix sur des questions sur lesquelles nous ne leur avons donné aucun mandat. Voix confisquées. Alors, durant tous ces quinquennats passés, nous avons fait les morts, - au sens propre comme au sens figuré - attendant la prochaine série de promesses. Espérant toujours, parce que nous sommes un peuple héroïque, comme on nous l'a dit. En 1962. Un peuple capable de miracles.

Il va bien falloir changer tout ça. Nous n'allons pas attendre qu'ils se réveillent, ceux du Nord, pour copier leur modèle. Eux, ils sont en panne d'idées. Ici, en revanche, chacun d'entre nous préside un parlement dans sa tête, selon un homme politique algérien. Si on nous lâchait un peu, laisser les initiatives s'exprimer, il n'y a pas de raison que nous échouions dans la construction de l'édifice ou de retourner le champ, en friche depuis si longtemps.

Comme par exemple reprendre langue, si nous pouvions nous rencontrer. En fait, nous avons moins besoin d'une Constitution -même nouvelle, si l'actuelle est inapplicable dans ses termes?que de volonté de nous rencontrer. S'écouter. Discuter. Comme le souhaite le plus vieux parti d'opposition du pays, le Front des Forces Socialistes. Nous avons moins besoin de Constitution que de moyens légaux ? à la portée des actuels occupants de l'Assemblée Nationale - pour disqualifier les mal élus, contestés, à la tête de nos mairies. Et d'un texte qui ferait bouger les « élus » des assemblées de Willaya, sans risque, sans qu'ils sentent des picotements dans leurs dos, qui regardent derrière leurs épaules pour décrypter les mimiques des Wali ? qui ne disposent d'aucun mandat populaire, faut-il le rappeler. Mais oui, il n'est pas élu, lui ! Avec tout cela, il y aura assez de bon sens, de sens commun partagé pour qu'une Constituante s'impose.

Je me réveille ce matin avec une résolution : ne plus montrer, aux instituts de sondage, un visage ravi, trompeur. Moi aussi je vais faire la gueule.

Et si j'entends dire que ceux qui réclament une expression populaire permanente et des consultations politiques courent après des chimères, je leur répondrai bien : « on a souvent tort quand on a raison trop tôt ».