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Digressions

par Belkacem Ahcene-Djaballah

L'ART DU «KOURSI»

Je n'ai jamais bien compris pourquoi - durant des cérémonies officielles, lors de la tenue de rencontres ou de séminaires, surtout locaux et régionaux, la première rangée des personnes présentes - pour la plupart organisateurs et/ou invitées - est toujours assise dans de beaux fauteuils bien rembourrés, alors que celles qui suivent se contentent de chaises presque bancales ou de fauteuils moins profonds.

Ceci donne une image assez étonnante : une assistance composée de deux collèges bien distincts, le premier minoritaire mais seigneurial, puant le pouvoir et/ou le fric, aux fesses fragiles ou bien musclées, et le deuxième, majoritaire, à l'arrière- train pouvant tout supporter, les sièges les plus simples... comme les coups de pied au cul.

C'est, donc, une image qui nous ramène loin, très loin en arrière, au temps d'une organisation du pouvoir, en apparence populaire donc égalitariste, mais en réalité partageant les citoyens en deux catégories bien distinctes : Les assis et les debout, les (bien-) calés et les décalés... ou les recalés de la vie, les discoureurs et les applaudisseurs, les gras et les maigres, ceux du pouvoir et ceux du devoir, ceux de l'avoir et ceux du seul espoir...

Avec Octobre 88, le pluralisme des idées et l'égalité des chances aidant, on avait cru que tout cela allait disparaître peu à peu, mais tout de même disparaître. Les choses avaient certes évolué dans cette direction, sits-in et meetings aidant, allant jusqu'à la disparition pure et simple du dispositif habituel, puisque on en était arrivé, au début des années 90, à assister à des «conférences» ou «points de presse» animés par des «Chioukhs», assis, en compagnie des fidèles et des journalistes... sur des nattes, à même le sol. L'authenticité revisitée !

Plus étonnant encore de nos jours (depuis un certain temps en fait) la tendance s'alourdit... à l'approche de chaque grande échéance électorale, de la plus simple à la plus élevée dans la hiérarchie

Il y a, donc, un retour en arrière, qui, tout en laissant une grande partie du public mal assise, la torturant... doublement (les interventions étant, elles-mêmes, une première épreuve douloureuse), met mal à l'aise toute la Nation vissée devant la petite lucarne de nos multiples «Uniques», donnant, ainsi, une image couleur sépia, très rétro, de notre sphère «dirigeante»? la vraie, calle qui l'est déjà, celle qui ambitionne de l'être... et celle qui veut seulement tirer profit des «occasions» .

Même en Chine, le dispositif protocolaire a évolué vers l'égalité des sièges et la modernité des postures. Au pis, ils sont tous debout? ou au garde-à-vous. Ne reste plus ? peut-être ? que la Corée du Nord. Mais, au moins, ceux-là sont toujours en train d'agiter des petits drapeaux (les années 60 algériennes). A Cuba, les choses sont en train de changer à grande vitesse, plus vite que prévu ! Et, au moins, ils sont toujours en train de danser

Il est certain que, bien souvent, l'organisation des sièges n'a rien à voir avec les vœux de l'invité qui se retrouve ainsi «piégé», au fond de son fauteuil, si bas ou si profond qu'il lui est difficile de s'en dégager.

Cette organisation relève certes d'un comportement hospitalier, mais beaucoup plus d'une relation admirative, phantasmatique avec le «koursi».

Ce «koursi»-là n'est ni celui du public des mezzanines, ni celui du tribun qui sue.C'est celui de ceux qui vous regardent, qui vous jaugent, qui vous jugent, qui vous soutiennent ou vous critiquent, qui font et défont (croient-ils, et croit-on) le pouvoir «réel». Le Peuple, lui, est dehors ou derrière. D'habitude, toujours debout ! Désormais, souvent courant l'émeute

L'ALIBI ET LE BOUC EMISSAIRE

L'homme politique ?en tout temps et en tous lieux ?a deux armes pour combattre ses «ennemis».

La première, la plus largement répandue, et la plus facile car utilisable sous tous les régimes, de l'anarchique au dictatorial en passant par le démocratique et le monarchique, est le «complot ourdi de l'extérieur, avec la complicité de la réaction interne». Tous les «ismes» y passent. Néo-colonialisme, impérialisme, néo-impérialisme, assimilationnisme, féminisme, intégrisme, terrorisme, racisme, crétinisme, bellicisme, sionisme?et même islamisme et christianisme.

La seconde, la moins largement répandue car la moins facile à manier, la liberté d'expression n'existant pas partout, est «l'irresponsabilité de la presse et du journaliste».

D'une manière générale, le politicien (et certains commis de l'Etat proches du politicien par le grade et par les «ambitions») ne vise qu'un seul adversaire à la fois et ce, pour des raisons évidentes :

-Soit l'Etat est fort, autoritariste, dictatorial même, et sa puissance administrative, sécuritaire et informative est bien ancrée. Ici, la presse est donc muselée ou «dans la poche» et seul l'étranger fait peur.

Ainsi, chez nous, de 1962 à 1990, la presse et le journaliste étaient, à quelques exceptions près, globalement et relativement bien «choyés», et seuls prenaient des coups les «comploteurs de l'extérieur» ainsi que leurs «alliés objectifs» de l'intérieur.

-Soit l'Etat est faible, anarchique, et sa puissance administrative, sécuritaire et communicationnelle est faible ou diluée. Ici, l'étranger est très aimé et courtisé. Et, seule la presse nationale, surtout privée (car trop indépendante), fait peur.

Ainsi, chez nous, de 1990, avec l'apparition de la presse de statut privé, à l'an 2000, la presse et le journaliste étaient devenus, peu à peu, pour les officiels, «les perturbateurs et les faiseurs de tous les désordres» ; tout particulièrement en matière de gestion de la nouvelle de type sécuritaire ou liée aux actions terroristes et, parfois, - c'est la nouvelle «épée de Damoclès» depuis 2000 - aux terroristes eux-mêmes, qu'ils soient repentis ou encore «dans la nature», en Algérie ou à l'étranger.

Quand on vise les deux adversaires, en même temps ou en un laps de temps très court, cela devient bien plus grave encore : L'Etat et ses dérivés (l'appareil dans son ensemble, cela s'entend, car il y a, bien sûr, bien de braves gens, compétents et sincères dans la sphère politique ou autres) est alors contraignant pour ne pas dire plus qu'autoritariste, mais il est, aussi, quelques parts, faible et anarchique.

Ainsi, chez nous, à partir de 1991, bien de nos «décideurs» (du sommet au simple sénateur ou député ou président d'Apc en passant par le ministre, l'entraîneur de club de sports qui a raté son championnat ou qui a peur de rater sa Coupe, le président de club de sports (le football tout particulièrement) qui veut encore plus de subventions étatiques, l'athlète qui a raté sa course, le journaliste de service qui rage de ne pas être très lu, l'écrivain qui veut re-devenir Dg ou dont l'œuvre a été critiquée, ...) n'ont eu de cesse de traiter - globalement- la presse et les journalistes «d'irresponsables»... et de dénoncer, dans le même temps, les «complots ourdis de l'extérieur» (du pays? ou de la région?ou du secteur !). En taisant toujours leurs lacunes, leur absence ou leur façon de faire obsolète en matière de com'.

Avec l'étranger comme alibi, et la presse comme bouc-émissaire, l'homme politique algérien contemporain, politicien ou politicard, décideur réel ou virtuel, porteur d'idéologie ou porteur de valises, se croit bien armé pour faire sa carrière et défaire celle des autres..Jusqu'à en oublier l'objet du défi et l'enjeu de la lutte, en l'occurrence le citoyen, l'amélioration de la vie quotidienne, la réussite du projet mis en œuvre, ce pourquoi il été élu ou désigné, l'intérêt général.....

Quant au citoyen, pris dans l'euphorie des discours et solitaire dans la foule des meetings qui renaissent, il accepte généralement toutes les idées aussi sottes et dangereuses soient-elles. Mais, revenant à sa vie quotidienne de citoyen et retrouvant son autonomie de pensée, l'alibi présenté est bien vite jeté aux orties, pour passer aux «choses de la vie» (l'emploi, la bouffe, le logement, les encombrements, les factures, la santé des enfants, leur scolarité et leur avenir, les loisirs, les jalousies de madame (ou de monsieur, c'est selon), la petite amie, le visa, les devises...).

Pour ce qui concerne le bouc-émissaire présenté, peu lui chaut. Notre citoyen n'omet pas d'aller, fidèlement et chaque matin, tout droit chez le buraliste du coin, acheter son journal préféré pour lire, écrit noir sur blanc, tout le mal qu'il (le lecteur lui-même, car le journaliste n'est, en principe que le relais de l'opinion publique) pense de la vie politique et des politiciens ?et, chaque soir, s'en aller, télécommande eu souris en main, «zapper» et «surfer» dans les nouveaux grands fleuves de la mondialisation technologique.